Je me suis beaucoup interrogée sur les articles que je souhaite écrire, les livres dont je veux parler.

Dois-je faire un article pour chaque livre ? Ou uniquement ceux qui m'ont vraiment plu ?

La réponse je l'ai trouvé en pensant à mon club de lecture ; nous y sommes pour parler de tous les livres que nous lisons, pour échanger, discuter, alors comme l'idée est de faire un peu pareil ici, j'ai décidé de tout mettre. Il y aura donc des articles courts, des plus longs, des passionnés et des plus ternes. Certains vous donneront peut-être envie de lire le livre concerné, d'autres vous donneront peut-être envie de me convaincre...

Alors soyez indulgents, et surtout n'hésitez plus à faire un commentaire !

Au plaisir de (vous) lire.

lundi 30 septembre 2019

"La chaleur" de Victor Jestin


C'est l'été, il fait chaud, très chaud.
Un camping où les jeunes s'amusent, font la fête le soir sur la plage, se draguent.
Et puis il y a Léonard, 17 ans, qui ne se joint pas aux autres et qui une nuit arpente le camping et en arrivant au parc pour enfants assiste à la mort d'Oscar qui s'étrangle avec une balançoire. Il ne fait rien pour le sauver, le regarde droit dans les yeux, le regarde mourir.

Le lendemain c'est la dernière journée de vacances, Léonard doit repartir avec ses parents, mais la journée est longue, s'étire... Plusieurs fois il se dit qu'il doit parler, à la mère d'Oscar, à ses parents, à Luce, aux gendarmes... mais à chaque fois il n'y arrive pas. Léonard ne sait pas pourquoi il agit ainsi.

La journée est chaude, lourde. On la vit avec Léonard, dans sa tête, l'ambiance s'épaissit, s'alourdit, l'orage approche.
Les relations entre les adolescents sont compliquées, il y a les jeux de séduction, de pouvoir, de sexe.

Léonard a-t-il tué Oscar ? Est-il responsable ?

Ce premier roman, qui se lit d'une traite, est terriblement perturbant ; l'atmosphère est extrêmement bien rendue, on sent l'air poisseux, la chaleur lourde dans le chant des grillons, les questions qui tournent dans la tête de Léonard, le cerveau qui s'embrume.

C'est flippant de voir l'écart entre la raison et l'inconscience, au moment du passage à l'acte et ensuite.
Brrrrr j'en tremble encore.... et pas sûr d'avoir saisi le message.


Flammarion, 139 pages. Mai 2019

vendredi 27 septembre 2019

"Les choses humaines" de Karine Tuil


Jean Farel est un journaliste/présentateur politique de télé depuis plus de 30 ans, il s'est construit seul ce qui le rend intransigeant ; il est ambitieux et ne veut laisser sa place à aucun prix bien qu'il ait déjà atteint les 70 ans. La vieillesse et la mise à l'écart le terrorise.
Il est marié à Claire Farel, une franco-américaine, essayiste et féministe, 30 ans plus jeune que lui.
Ensemble ils ont un fils unique, Alexandre, brillant étudiant à Standford en Californie.

Cette famille va être bouleversée, renversée, écrasée, par une accusation de viol. Accusation qui survient juste après l'affaire Weinstein  et en plein #metoo et #balancetonporc.

Karine Tuil nous décrit avec finesse et précision le milieu journalistique de la télé, le pouvoir, la peur de vieillir et d'être évincé. Encore une fois elle ne cache rien de ses personnages et en fait des être humains complets avec leurs qualités, leurs défauts et surtout leurs questionnements ....

C'est un roman qui parle de viol, de sexe, de consentement, mais aussi de zone grise.
Un roman qui parle très bien de notre société mais sans simplification, elle nous montre parfaitement l'ambiguité des situations, les rouages de la justice, l'ambivalence des personnages.
Un roman qui fait beaucoup beaucoup réfléchir, il n'y a pas de parti pris mais l'exposition d'une histoire, de faits, de ressentis, et honnêtement, c'est perturbant.
Que l'on se mette à la place de chacun des personnages et nos émotions, nos impressions changent et évoluent, pour ça ce roman est brillant.

Mais cette ambivalence fait un peu peur, on voudrait que les choses (humaines) soient plus simples que ça...
Ce que Karine Tuil pointe du doigt est la complexité de l'humain et des relations, la complexité du jugement mais aussi des émotions ressentis, des moments vécus.
Ce qui est effrayant c'est que chacun est sincère, et pourtant chacun voit sa vie détruite.
Un livre remarquable qui pousse à la réflexion. Une fois la dernière page tournée on ne peut pas le quitter comme ça, on a besoin d'y penser, d'en parler, de discuter.

Gallimard, 342 pages. Juin 2019

mercredi 25 septembre 2019

"Le ciel par-dessus le toit" de Nathacha Appanah




Dans ce court roman, l'auteur met en scène Loup, un jeune garçon de 17 ans pas tout à fait comme les autres, qui se retrouve en prison après avoir pris une voiture sans permis pour retrouver sa soeur et provoqué un accident.
Sa mère, Phénix, a élevé ses deux enfants seule, après une enfance difficile qui lui a fait fuir sa famille.
Paloma la soeur de Loup a fini par partir elle-aussi, fuir l'oppression, le poids de cette famille.
Les deux femmes sont obligées de reprendre contact pour aider Loup.

L'écriture de Nathacha Appanah est fine, jolie, on dirait de la dentelle et pourtant ce qu'elle raconte est sombre, en peu de mots elle arrive à nous en dire tellement, elle manie parfaitement l'art de la suggestion.
Mais malheureusement c'est aussi pour moi mon petit bémol, j'ai eu la sensation d'être observatrice derrière un voile, d'assister à des scènes auxquelles je n'ai finalement pas réussi à m'attacher. Je suis restée trop "loin" des personnages, et je le regrette bien car tout était là pour me plaire.

Ce roman reste un livre magnifiquement écrit avec beaucoup de poésie.

Gallimard, 125 pages. 2019

"le bal des folles" de Victoria Mas



1885, la Salpêtrière est un lieu d'enfermement, enfermement de femmes, de femmes "folles".
Mais ce mot de "folle" englobe beaucoup de définitions.... la plus simple étant ⟨toute femme qui dérange⟩.
De la femme adultère à la prostituée, de l'hystérique à la mélancolique, celle dont on a honte, celle qui ne doit pas entacher un nom...
Bien entendu ce sont souvent les hommes qui font enfermer ces femmes, les maris, les pères, les frères....
Dans ce célèbre hôpital parisien, le docteur Charcot officie, et notamment il hypnotise. Alors son cours du vendredi est toujours plein, d'hommes, bien sûr.
Et une fois par an il organise le bal de la mi-carême, bal auquel le tout-Paris voudrait assister car y sont "exposées" les aliénées de l'hôpital.

Des destins de femmes se croisent, se télescopent, s'entrelacent... et particulièrement Louise la jeune adolescente amoureuse et ingénue, Thérèse l'ancienne prostituée qui tricote et a trouvé un refuge dans cet asile, Geneviève la fidèle et dévouée infirmière et Eugénie la fille de bonne famille, la rebelle.

Une description très fine de l'époque, de Paris, on entend le bruit des sabots sur les pavés, on voit les moustaches et les chapeaux, les tenues des femmes, les rues le long de la Seine, on entre très facilement dans ce très beau premier roman et on se laisse happer par l'histoire.
J'ai beaucoup aimé l'histoire et me suis attachée aux personnages, j'ai même maintenant envie de croire aux esprits...😉

Un premier roman tout à fait réussi, une auteur à suivre !

Albin Michel, 251 pages. Août 2019


dimanche 22 septembre 2019

"Sale gosse" de Mathieu Palain




Le sale gosse c'est Wilfried, dont l'histoire est le fil conducteur du roman.
Il n'est pas tout seul, il y en a d'autres, des "sales gosses", et aussi des éducateurs, des juges, des parents.

Ce roman nous parle des enfants mal-traités, mal-aimés, abandonnés ; des enfants qui doivent apprendre à vivre et à se construire malgré des blessures profondes, des enfants qui volent, qui violent, qui agressent, qui se prostituent, qui se droguent.

Ces enfants là ne vivent plus chez leurs parents, ils sont en famille d'accueil ou en foyer ou encore dans des "prisons" pour jeunes.

Et avec eux -autour d'eux - il y a les éducateurs, les assistants sociaux, les psychologues, qui font tout pour les aider, les soutenir, les pousser ; pour qu'ils changent de vie, pour qu'ils changent leur vision de la vie....
Combien d'enfants perdus pour un de sauvé ?

Un roman qui nous plonge au coeur de la misère affective, au coeur de l'insécurité liée à l'absence de cocon familial.
Un premier roman très bien construit, que j'ai dévoré en une journée, qu'on lit presque comme un documentaire ;  je me suis attachée à ces gamins et surtout je suis extrêmement admirative du boulot fait par les travailleurs sociaux, un boulot pas facile au quotidien et qui doit être difficile de laisser à la porte de sa maison en rentrant le soir.


L'Iconoclaste, 350 pages. Août 2019

vendredi 20 septembre 2019

"Les déracinés" de Catherine Bardon


"Regarde-les donc bien ces apatrides,
toi qui as la chance de savoir où sont ta maison
et ton pays [...]. Regarde-les bien, ces déracinés, 
toi qui as la chance de savoir de quoi tu vis
et pour qui, afin de comprendre avec humilité à quel
point le hasard t'a favorisé par rapport aux autres. Regarde-les
bien, ces hommes entassés à l'arrière
du bateau et va vers eux, parle-leur, 
car cette simple démarche, aller vers eux, 
est déjà une consolation."
Stefan Zweig, Voyages

"Les déracinés" c'est l'histoire de 30 années de vie d'Almah et Wilhelm qui démarre avec leur rencontre à Vienne en Autriche en 1932.
Ils sont jeunes, ils sont beaux, insolents de vitalité, et devant eux, un bel avenir à construire. Ils sont très amoureux et ne veulent pas voir ce qui se passe autour en Allemagne mais aussi en Autriche jusqu'à ce que cela devienne inéluctable et que leur judéité les conduise à l'exil.
Ce sera un long, très long voyage pour arriver à leur destination finale, la République Dominicaine, où le dictateur en place, Trujillo, accorde des visas à des émigrés juifs afin de bâtir un kibboutz dans le nord de l'île et d'y installer une nouvelle communauté juive.
Comment Almah et Wilhelm vont-ils parvenir à vivre sur cet île, loin de leur famille, de leur pays, loin des rêves qu'ils avaient pour eux-mêmes ? Comment une communauté peut-elle naître de rien au bout du monde, loin de ses racines ? Peut-on justement se créer de nouvelles racines ?

Ce premier roman très dense explore tout un pan de l'Histoire par le biais de ce couple et de cette future famille que l'on suit avec tendresse tout au long de leur vie.
Pour ma part c'est une découverte, encore, que cette communauté de juifs qui ont été envoyés en République Dominicaine. Était-ce une expérimentation en vue de la création d'un état d'Israël, ou réellement une volonté de sauver des vies ?
On réalise encore plus à quel point des gens, à cause de leur religion/origine, ont été déplacés sans que l'on ne tienne compte de leurs désirs, des liens avec leur famille.
Les déracinés est un mot très fort mais qui représente bien ce que ces familles ont vécu.

Je découvre aussi la République Dominicaine et un peu de son histoire, la violence de la dictature, encore et toujours, mais aussi la chaleur, le sourire, la bienveillance des dominicains.

C'est un roman fleuve dans lequel on se jette et lorsqu'on relève la tête on ne peut qu'être bouleversé par ce couple magnifique et la vie qu'ils ont mené.
J'ai particulièrement aimé le personnage d'Almah, une femme forte et tendre à la fois, une femme heureuse, gaie et déterminée.

Un très beau premier roman.

Les escales, domaine français, 608 pages. Mai 2018

mardi 17 septembre 2019

"Soif" d'Amélie Nothomb



J'avais décidé de ne plus trop lire les livres d'AN mais ayant lu des bribes de ce dernier opus ma curiosité a été fortement aiguisée....
AN se met dans la peau de Jésus Christ et prend sa voix. Depuis la fin du procès de JC, jusqu'à la passion, la crucifixion et la résurrection.
Bien entendu c'est très perturbant (d'essayer) d'accepter de rentrer dans ce jeu (je) là. Est-ce d'avoir été élevée dans une famille catholique ou de toucher à une "icône" de notre tradition culturelle ?
Quoi qu'il en soit c'est une lecture extrêmement intéressante une fois que l'on a accepté le postulat de départ.

Au cours de ces dernières heures, Jésus revient sur certains grands moments de sa vie, ainsi on les lit avec "son" point de vu, son ressenti.
On découvre un Jésus humain, avec des pensées pas toujours positives, un amour parfois défaillant ou déficient pour ses acolytes, un Jésus amoureux, un Jésus fils de sa mère et protecteur.
AN n'est pas tendre avec lui, elle nous le dépeint comme n'importe quel être humain avec ses faiblesses, ses imperfections. La relation à son père (Dieu) est aussi très curieuse. La manière dont il voit Pierre, Judas ; son omniscience qui lui permet de savoir ce que les uns et les autres vont dire, faire, écrire.

Le titre de la soif est très bien expliqué, j'aime beaucoup l'idée que Jésus donne de la soif, son lien à Dieu et à la foi.

AN démonte le principe essentiel de tout (bon) chrétien qui est "aime ton prochain comme toi même"; comment Jésus peut-il enseigner ce principe si il n'est pas capable de s'aimer suffisamment pour se "sauver" de la crucifixion .... Un bon débat philosophique en perspective !

Mon seul petit bémol sur ce livre est le ton et le vocabulaire employés qui sont pour moi beaucoup trop contemporains et qui parfois m'ont gênée pour adhérer à l'idée du texte.

Un livre dérangeant,
forcément,
mais exaltant,
assurément !

Un point de vue original, à ne pas prendre au premier degré, mais à réfléchir et penser.

"Il y a des gens qui pensent ne pas être des mystiques. Ils se trompent. Il suffit d'avoir crevé de soif un moment pour accéder à ce statut. Et l'instant ineffable où l'assoiffé porte à ses lèvres un gobelet d'eau, c'est Dieu.[...] Tentez cette expérience : après avoir durablement crevé de soif, ne buvez pas le gobelet d'eau d'un trait. Prenez une seule gorgée, gardez-la en bouche quelques secondes avant de l'avaler . Mesurez cet émerveillement. Cet éblouissement, c'est Dieu"
"Aime ton prochain comme toi-même. Enseignement sublime dont je suis en train de professer le contraire. J'accepte cette mise à mort monstrueuse, humiliante, indécente, interminable : celui qui accepte cela ne s'aime pas." 

Albin Michel, 152 pages.

lundi 16 septembre 2019

"Un coeur pur" de Jérôme Abranel


Lorsqu'Etienne décède c'est son ancien voisin Sam qui se retrouve en charge de la liquidation de sa maison, c'est à dire la vider et la vendre. Aux funérailles de l'homme ne sont présents, en dehors de lui, que Pierrette sa femme de ménage et une mystérieuse femme qui quitte l'endroit avant que Sam n'ai le temps de lui poser des questions.

Sam ne conserve pas grand chose de son ami, hormis des carnets et les clés d'une maison qu'il louait sur l'île de Groix.
En se rendant sur cette île Sam va découvrir qui était réellement son ami Etienne, d'où il venait et quel homme il était, un coeur pur...

Ainsi en alternant la lecture des carnets d'Etienne on découvre aussi la vie de Sam, ancien parisien venu s'installer à Nantes la tête pleine de rêves et de projets.

Ce premier roman se lit assez rapidement car on est vite pris par les histoires de chacun de ces deux hommes, l'alternance est bien faite et pousse notre curiosité à continuer.
C'est une histoire pleine de douceur, d'empathie, de bienveillance.

Mon petit bémol est plutôt sur le style littéraire qui est parfois un peu poussif et lourd, on sent que l'auteur veut bien faire, mais parfois la simplicité est ce qu'il y a de mieux. La deuxième partie du roman est nettement supérieure, ce qui me laisse penser qu'il faudra suivre cet auteur sur son prochain roman.

Je tiens à remercier l'auteur qui m'a contactée pour que je lise son livre, je lui sais gré de sa confiance.

Librinova, 196 pages.

"Le coeur de l'Angleterre" de Jonathan Coe




Nous retrouvons la famille Trotter qui évolue en même temps que son pays au gré des aléas de la vie quotidienne et de l'histoire politique de l'Angleterre de 2010 à 2018.
Toute une décennie qui passe par la cohabitation, les émeutes de 2011, la liesse des Jeux Olympiques et bien sur le référendum qui amène au Brexit.

Lorsque nous reprenons le cours de la vie des Trotter, Benjamin vit depuis quelques mois dans un moulin, il ne travaille plus et tente de devenir écrivain. Sa conscience politique mettra beaucoup de temps à s'éveiller, ce n'est pas quelque chose qui l'intéresse, mais lorsque la question de quitter l'Europe va se poser, son intérêt va rapidement évoluer.
Pendant ce temps sa soeur Loïs vit toujours à York où elle est bibliothécaire, sans être vraiment séparée de son mari elle ne vit pas dans la même ville que lui, toujours obsédée par ses vieux démons, à savoir l'attentat dans un Pub où elle était présente à la fin des années 70 avec son amoureux de l'époque.
Sa fille Sophie est universitaire, spécialisée dans l'histoire de l'Art, elle va enfin rencontrer quelqu'un mais les divergences politiques sont parfois cruelles dans un couple.
Et puis il y a Doug le vieux copain d'école de Benjamin, un journaliste politique reconnu et qui régulièrement rencontre Nigel le responsable de la communication du 10 Downing Street, leurs échanges réguliers sont assez bien vus et plutôt amusants vu de l'extérieur.

De nombreux autres personnages apportent une vision plus précise sur la société et l'on se rend compte que les magouilles politiques et la langue de bois sont décidément les mêmes quelque soit le pays.
La vision des hommes politiques et de la politique en général est assez critique et parfois sarcastique mais comment en vouloir à nos personnages !
L'approche du référendum augmente les tensions, les discussions, et même au sein des familles et des couples les désaccords se font de plus en plus ressentir, et on voit très bien comment les politiques et les gens du "peuple" n'ont pas la même lecture des évènements ni les mêmes attentes.
Et puis il y a ceux qui cherchent à profiter de toutes situations... ceux qui n'ont aucun scrupule et ne pensent qu'à leurs propres bénéfices.

Bref un roman passionnant qui se dévore grâce à la fluidité de l'écriture, et une excellente traduction.


Gallimard, 545 pages.
Traduction de l'anglais par Josée Kahoun.

mardi 10 septembre 2019

❤️❤️❤️ "Jolis jolis monstres" de Julien Dufresne-Lamy


"Jolis jolis monstres" est un roman qui nous parle de l'univers des drag-queens aux États-Unis des années 80 à nos jours.

James et Victor se croisent dans un pub, le premier, une cinquantaine d'année, afro-américain, est client, le second, petit jeune de 23 ans, d'origine mexicaine, est le barman.
Dans une première partie ils vont se raconter jusqu'à cette première rencontre, puis dans la seconde on les suit après, ce qu'ils deviennent ensemble.

Chacun raconte l'autre dans un tutoiement qui donne une vigueur et une énergie au texte incroyable.

James fut Lady Prudence du temps de sa splendeur, il n'a pas démarré à NY mais c'est là qu'il a fait sa vie de drag-queen, il nous dit toutes les difficultés qu'il a rencontré mais aussi ses joies et ses bonheurs.
Victor est un jeune homme, marié, déjà papa mais qui sent ce besoin confus, mystérieux et intense de devenir une drag-queen.

Ces deux personnages sont tellement attachants et touchants, ils sont restés avec moi et ne me quittent  plus. Avec eux on découvre ce milieu si particulier mais qui a bien changé en 40 ans.
L'arrivée du sida, la fermeture des clubs, et puis aujourd'hui l'hypermédiatisation avec les émissions de télé-réalité.

Beaucoup de personnages valsent autour de nos deux protagonistes principaux, chacun a sa particularité, chacun nous émeut, chacun nous attendrit mais nous enflamme aussi.

Il y a de la musique, de la danse, la fête et les rires, mais aussi de la violence, le rejet, l'incompréhension et la maladie.

C'est un livre qui renverse tous les codes, en tout cas les miens, il m'emmène dans un lieu que je ne connais pas et que j'ai aimé découvrir, il casse des tabous et des préjugés, il ouvre notre esprit à la différence.

Remarquable et bouleversant, encore une preuve que la lecture est une ouverture sur le monde, sur l'autre, sur nous. Un livre qui m'a rendu heureuse de lire, encore une fois !

❉ Dans ce livre on retrouve des personnages qui ont réellement existé, à la fin il y a des photos, mais vous pouvez aussi voir le documentaire "Paris is burning" sur Netflix de Jennie Livingston.
"« Monstres », ça revient toujours. C'est drôle quand on y pense. Certains répètent inlassablement qu'on est des monstres. Des fous à électrocuter. Alors que d'autres pensent que l'on est les plus belles choses du monde."
"...Nous sommes des centaures, des licornes, des chimères à tête de femme. C'est vrai que nous sommes les plus jolis monstres du monde."
Belfond, 416 pages.

jeudi 5 septembre 2019

❤️ "Rouge Impératrice" de Léonora Miano



Nous sommes en 2124, le Katiopa unifié regroupe 9 régions d'Afrique, à priori donc une très grande partie du continent. C'est un État qui s'est formé en agrégeant les anciennes nations coloniales.
Cet État est fermé au reste du monde avec très peu d'ouverture au niveau des frontières, et aucun échange commercial, il s'autosuffit.
C'est un pays moderne tout en étant respectueux de sa terre, avec une conscience écologique développée.
Le mokenzi (président) du Katiopa se nomme Ilunga, il a été choisi par ses pairs ; il est marié à  Seshamani avec qui il a un fils.
Au début de l'histoire Ilunga rencontre Boya, une jeune femme "rouge" qui tout de suite exerce un pouvoir d'attraction très fort sur lui, sans qu'elle ne le sache.
Boya vit dans le quartier de "Vieux Pays", elle est universitaire, se bat pour la cause des femmes et fait des recherches sur les fulasi, cette petite communauté en marge de la société katiopienne.
A savoir que les fulasi sont des français qui ont émigré en Afrique après que le Pongo (l'Europe) n'ai pas réussi à assimiler la vague migratoire venant d'Afrique.

Voilà pour planter un peu le décor.
Beaucoup de choses vont se jouer à partir du moment où Ilunga va rencontrer Boya car non seulement ils vont vivre une magnifique histoire d'amour mais elle va influer sur la vie politique du pays, sur des enjeux importants concernant notamment ce groupe communautaire que sont les fulasis, et bien entendu ce n'est pas au goût de tout le monde.

Moi qui n'avais pas spécialement aimé le seul autre roman lu de cet auteur (Crépuscule du tourment), je suis là sans voix, car j'ai tout aimé malgré un démarrage un peu compliqué.
Ce livre est d'une force, d'une puissance incroyable, il y a tellement, tellement de choses que l'on pourrait en parler pendant des heures. Je vais tenter d'être le plus concise possible.

On retrouve beaucoup de thèmes déjà présents dans "Crépuscule du tourment" mais traité avec moins de colère (c'est mon ressenti).
Il y a toute une réflexion sur le colonialisme et ses conséquences sur l'Afrique, et ce qui a amené à la création de ce nouvel État ; mais aussi sur la gestion de l'Europe, et donc des anciens colonisateurs, des vagues migratoires venues d'Afrique. Une analyse (de notre monde actuel) de notre société qui amène à la chute de l'Europe et au développement du continent Africain.
Il est question d'identité, d'ancêtres, d'âmes, de culture, tout ceci teinté de magie noire et de sciences occultes.
On trouve aussi une grande part de féminisme dans ce roman, avec des femmes qui se prennent en charge, qui sont autonomes, maitresses de leur corps et de leurs désirs, il y a beaucoup de sensualité, de beauté.

C'est un gros roman, un pavé comme on dit, mais il ne faut pas avoir peur, car c'est un livre qui vous emmène dans un autre monde, un futur possible ; c'est une histoire magnifique, pleine de sensibilité, d'une très grande intelligence.
J'ai aimé, j'ai adoré, je garde près de moi Ilunga et Boya ce couple intense, solide, infaillible, un couple modèle d'écoute et de respect.

Bref je ne peux que vous recommander cette lecture, et pour finir de vous convaincre écouter Léonora Miano parler de son livre, c'est encore elle qui le fait le mieux 😊
https://www.youtube.com/watch?time_continue=258&v=-FjyK9hDXf4

Merci @NetGalleyFrance et aux Éditions Grasset pour la découverte de ce roman.
"Une déficience spirituelle les empêchait de comprendre une loi élémentaire : ce n'était pas parce qu'il était possible de réaliser certaines choses qu'elles devaient être mises en oeuvre."
"Il y avait d'ailleurs une hypocrisie à prétendre se soucier de la planète quand on s'inquiétait surtout pour la survie des humains. La Terre s'adapterait à toutes les mutations, aux ères géologiques encore inconnues..."
"Le sujet qui les occupait , il voulait y insister, n'était donc pas celui d'une éventuelle menace fulasi. La question était de savoir si on avait fait la paix avec la part de fulasi et, par extension, de Pongo à l'intérieur de soi. Il me semble que le problème est là, dans notre capacité à accepter que ce fameux nous-mêmes à défendre et à élever, se soit formé dans le contact avec les agresseurs d'hier, dans le long frottement des peaux et des cultures. En prenant le pouvoir, l'Alliance avait renommé le Continent pour témoigner de la conscience de soi retrouvée."
"Que l'on se soit choisi un nom ne suffisait pas à effacer les faits : nous-mêmes était encore constitué d'une part significative de Pongo. La manière dont on traitait les évadés du pays fulasi révélait le confort ou l'intranquillité dans lesquels on se trouvait pour affronter cette vérité : qu'ils étaient des membres de la même famille. [...] Il répondrait que telle avait été l'origine du Sinistre : le refus de cette autre présence à l'intérieur de soi, la résistance aux transformations qui s'étaient produites aussitôt que l'on avait posé les yeux sur l'autre, avant de le toucher."
Grasset, 608 pages.

mercredi 4 septembre 2019

"Nous étions nés pour être heureux" de Lionel Duroy



Cet été j'ai lu "Priez pour nous"car je voulais lire "Nous étions nés pour être heureux"qui est en quelque sorte une ‹suite›, 30 ans après.
En effet, lorsque Lionel Duroy publie son premier roman qui raconte son enfance et celle de ses neuf frères et soeurs dans une famille assez dysfonctionnelle,  toute cette famille lui tourne le dos et le bannit, lui mais aussi sa femme et ses enfants. 
Ce nouveau roman est celui de la réconciliation, de la résilience familiale.

⊂∞⊃⊂∞⊃⊂∞⊃

Paul, le narrateur, est un écrivain de qui toute sa famille s'est détournée après la parution de son premier roman ; 27 ans plus tard, suite à une première approche de certains frères, toute la fratrie (ou presque) se retrouve au cours d'un déjeuner chez Paul.
Il manque le frère ainé, qui avait décidé de la mise au ban de la famille de Paul et des siens.
Les quatre enfants de Paul sont là, ceux-là même qui ont souffert injustement de cette mise à l'écart. Il y a aussi la première épouse, Agnès, qui a bien connu cette famille au début de sa vie de couple, la seconde fera un passage éclair.

Au cours de ce déjeuner la parole va se libérer. 
Tout d'abord la fratrie va s'excuser et notamment auprès de leurs neveu et nièces, puis ces derniers vont exprimer comment ils ont vécu cette situation, chacun à sa façon.
Ce sera aussi l'occasion de reparler de ce premier livre mais aussi des suivants, car "Paul" s'est fait une spécialité d'écrire sur sa vie, et donc sur celle de sa famille, des gens qui l'entourent. 
C'est pour lui vital, il ne sait pas traverser les évènements importants de sa vie sans les écrire..., oui mais pourquoi les éditer, est la question d'une soeur....sujet très intéressant, et comme dit "Paul" pourquoi un peintre expose ses oeuvres au lieu de les ranger sitôt terminées ?
On parle d'amour, de reconnaissance, de place dans la famille et dans notre monde.

J'ai beaucoup aimé ce livre qui tout en étant autobiographique est une très belle image de la famille en générale, de la société, des relations des uns avec les autres, de notre incapacité parfois à essayer de comprendre ce que l'autre ressent, des malentendus, des non-dits.... ce qui fait de nous des êtres humains...
L'analyse des comportements et des réactions est d'une très grande justesse, la psychologie des uns et des autres est passionnante, on s'attache à chacun, on a tous envie de les prendre dans nos bras, et on se dit " quel gâchis"ces 27 dernières années, et en même temps c'est ce qui a permis d'arriver à ce très belle échange autour d'un déjeuner, mais que de souffrance.

Je comprends le questionnement de certains membres de la famille quant à la nécessité d'écrire sur leur vie privée, je comprends leur rejet, et en même temps c'est tellement bien fait, cela apporte tellement au lecteur, que je comprends aussi l'auteur.
Je vais continuer à découvrir ses écrits, maintenant je veux tout lire de lui, car j'aime son écriture, j'aime ce qu'il raconte et surtout la manière qu'il a de le faire.
Il est juste et il est vrai, il m'a touchée, émue, attendrie, il m'a poussé à la réflexion sur les relations familiales et humaines.

Juillard, 222 pages.