dimanche 14 août 2016

"L'étranger" d'Albert Camus et "Meursault, contre-enquête" de Kamel Daoud


L'envie première était de lire le livre de Kamel Daoud, cependant ayant compris qu'il s'agissait d'une "réponse" au livre de Camus j'ai pensé qu'il fallait d'abord que je lise ce "classique" de la littérature française.

Pour être tout à fait honnête je m'attendais un peu à un livre "prise-de-tête" ce qui est probablement du à son étiquette "classique".
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une écriture simple, presque enfantine. Attaquant cette lecture vierge de toute notion de l'histoire j'ai découvert un Meursault, français de l'Algérie française, visiblement porté sur lui-même tout en étant incapable de ressentir une vraie émotion ; serait-il ce qu'on appelle un sociopathe (?), la suite de l'histoire le laisse un peu penser.
Il raconte sa vie, la mort de sa mère, les relations qu'il entretient avec son voisinage, sa petite amie, tout ça dans une grande indifférence émotionnelle et sentimentale. Il n'éprouve apparemment aucune sensation, aucun émoi, aucun frisson ; il m'est apparu d'une grande froideur et j'ai ressenti beaucoup d'écoeurement face à ce personnage.

Ce qui nous amène au second livre où le narrateur, un vieux monsieur assis dans un café, revient soir après soir sur son histoire, la face cachée de la précédente.
Il est le frère de Moussa, l'Arabe tué dans "L'étranger" et toute sa vie il l'a vécu avec "Moussa lui tenant la main et sa mère juchée sur son dos."
Le décès de ce frère, non nommé (dans "L'étranger") , ignoré, lui gâchera si ce n'est la vie, la relation avec sa mère qui ne vit plus que par et pour son fils mort. Elle poussera ainsi notre conteur à une faute qui lui permettra enfin de "venger" son frère mais surtout de se libérer de sa mort et de sa mère. Mais cette vie, et cette mère (un peu comme Meursault) l'empêcheront de croire en l'Amour ou du moins de pouvoir s'y consacrer.
Haroun nous fait la "confession" de sa vie, il nous fait traverser l'Algérie de la guerre d'indépendance à nos jours avec parfois un regard assez cru sur la société d'aujourd'hui et en particulier ce qui concerne la religion.

J'ai trouvé très intéressant cet exercice de lecture de deux textes écrits "l'un en face de l'autre" tout en étant très éloignés dans le temps, dans le style, dans le message.

Citations de "Meursault, contre-enquête"
"Le vendredi ? Ce n'est pas un jour où Dieu s'est reposé, c'est un jour où il a décidé de fuir et de ne plus jamais revenir. [...] J'ose te le dire, j'ai en horreur les religions. Toutes ! Car elles faussent le poids du monde. J'ai parfois envie de crever le mur qui me sépare de mon voisin, [...] de lui hurler d'arrêter sa récitation de pleurnichard, d'assumer le monde, d'ouvrir les yeux sur sa propre force et sa dignité et d'arrêter de courir derrière un père qui a fugué vers les cieux et qui ne reviendra jamais."

"Comment peut-on croire que Dieu a parlé à un seul homme et que celui-ci s'est tu à jamais ? Je feuillette parfois leur livre à eux, Le Livre, et j'y retrouve d'étranges redondances, des répétitions, des jérémiades, des menaces et des rêveries qui me donnent l'impression d'écouter le soliloque d'un vieux gardien de nuit."

"J'ai tué le français vers 2h du matin. Et depuis ce moment, M'ma a commencé à vieillir par nature et non plus par rancune, des rides la plièrent en mille pages et ses propres ancêtres semblèrent enfin calmes et capables de l'approcher pour les premiers palabres qui mènent vers la fin."

Verset tiré du Coran :
"Si vous tuez une seule âme, c'est comme si vous aviez tué l'humanité entière." 

❤️❤️❤️ "La vie devant soi" de Romain Gary


GONCOURT 1975

Un classique que je découvre.
J'avais déjà lu "La promesse de l'aube" que j'avais beaucoup aimé ; dans un tout autre style, Romain Gary nous livre ici une histoire touchante, attachante, drôle.

Mohammed, dit "Momo", vit chez Madame Rosa, une juive polonaise qui fut enfermée à Auschwitz.
Après avoir raccroché de son métier de prostitué, elle s'occupe dorénavant des enfants de ses anciennes collègues.
Momo raconte sa vie chez Madame Rosa, avec ses doutes, ses questions, mais aussi et surtout avec sa tendre et fidèle amitié pour celle qu'il considère comme une mère.

Romain Gary a choisi d'écrire son livre en se mettant complètement dans la peau de son personnage, un gosse de 10 ans (en fait 14 ans) sans éducation, pensant être arabe et musulman, un gosse plein de bonté et d'humour, qui déforme la langue française à sa guise, à son envie, à sa compréhension, ce qui donne un langage d'une drôlerie absurde et totalement cocasse et charmant à la fois. L'auteur crée une langue parlée familière sans être argotique où Momo modifie les mots, la grammaire, la langue française. On accroche totalement, on suit Momo pas à pas, en vivant ses émotions, sa tendresse.

A lire et à faire lire à nos ados !!

Quelques extraits :
"Bien sûr elle n'était jamais tout à fait tranquille la dessus car pour ça il faut être mort. Dans la vie c'est toujours la panique. "
"Lorsqu'on s'occupe des enfants il faut beaucoup d'anxiété, docteur, sans ça ils deviennent des voyous."
"[...] - c'est pas nécessaire d'avoir des raisons pour avoir peur, Momo -  ça, j'ai jamais oublié parce que c'est la chose la plus vraie que j'ai jamais entendue."
"Quand on lui amenait un nouveau pour quelques jours ou à la petite semaine, Madame Rosa l'examinait sous tous rapports, mais surtout pour voir s'il n'était pas consterné. [...] c'est comme s'ils étaient pas de ce monde [les enfants consternés] et c'est pour ça qu'on les appelle les antiques."
"Je ne sais pas du tout de quoi Madame Rosa pouvait bien rêver en général. Je ne vois pas à quoi ça sert de rêver en arrière et à son âge elle ne pouvait plus rêver en avant."
"Elle n'avait pas de taille et les fesses chez elle allaient directement aux épaules, sans s'arrêter. Quand elle marchait, c'était un déménagement."
"Le moins que j'ai compris, c'est lorsqu'il m'a dit que Madame Rosa était trop tendue et qu'elle pouvait être attaquée d'un moment à l'autre."
"Monsieur Soko a lui-même des enfants qu'il a laissé en Ivoire, parce qu'il a là-bas plus de femmes qu'ici. Je savais bien que je n'avais pas le droit de trainer dans un débit d'ivresse publique sans mes parents..."