Chahdortt Djavann s'est inspirée d'un fait divers réel survenu dans la ville sainte de Mashhad en Iran où 16 corps de femmes - de prostituées - ont été retrouvé gisants dans la rue ; il fut question d'un tueur en série qui "nettoyait" la ville de ses femmes impures...
Chahdortt Djavann a décidé de donner une parole à ces prostituées, une vie, des mots qui racontent d'où elles viennent, ce qu'elles vivent, comment elles le vivent....
Ainsi tout en suivant le destin de deux fillettes, nous découvrons celui de plusieurs de ces femmes devenues des prostituées pour diverses raisons.
Elle ne mâche pas ses mots pour nous emmener dans l'horreur et la misère, en nous tenant la main elle nous fait venir au plus proche de ces femmes, de ce pays, de ces lois qui n'ont aucune considération pour une moitié de l'humanité. C'est un grand cri d'alarme, non, la femme n'est pas au bout de ses peines et même si nous avons beaucoup obtenu depuis le siècle dernier il reste malheureusement encore un très long chemin à parcourir pour beaucoup, beaucoup d'entre nous. Je ne suis pourtant pas une féministe engagée mais je réalise que j'ai eu tellement de chance de naître dans un pays "civilisé" où nos droits sont tellement plus développés, où nous sommes considérées - presque - à l'égal de l'homme.
Ce livre puissant m'a bouleversée, émue, perturbée... J'ai noté de nombreux passages à lire, relire, méditer...
Je vous en livre quelques uns ici.
"Comment expliquer aux hommes occidentaux, dont les yeux se repaissent à volonté des jambes interminables des mannequins, des culs moulés dans les bikinis des filles blondes ou brunes, des nichons pigeonnants superbement mis en valeur par des décolletés généreux... comment expliquer à ces hommes occidentaux que dans la ville sainte de Mashhad, lorsqu'un bref instant un tchador noir s'entrouvre, le feu d'artifice s'allume dans le regards des mâles frustrés qui ne pensent qu'à y pénétrer ?"Ce constat déjà lu chez Saphia Azzedine, à force d'empêcher on crée la frustration, frustration qui amène (à) la viol-ence.
"Un rien fait de vous une pute dans cette contrée. Femme, dès qu'on vous remarque, pour quelque raison que ce soit, vous êtes forcément une pute. Une femme vertueuse est une femme invisible."Et l'homme qui la regarde et en qui naît de mauvaises pensées, est lui admirable....
" « Cinq corps de femmes de rue - façon pudique de nommer celles qui font le trottoir - ont été trouvés. [...] Quelqu'un les a éliminées.» Ce mot «éliminées» évitait soigneusement le terme «assassinées», qui pouvait heurter les plus farouches des fanatiques. L'assassinat est condamnable selon la charia, tandis que l'élimination de fessad (mot persan d'origine arable qui désigne ici la prostitution) est le devoir de chaque musulman."C'est le début du chapitre intitulé "le sang sans valeur" où il nous est expliqué que tuer une personne dont le sang est sans valeur ne revient pas à commettre un assassinat puisque "sans valeur" on ne commet pas de péché et l'on n'est donc pas punissable par la loi... bien entendu une prostituée est de sang sans valeur, et c'est le discernement islamique qui permet de savoir si une personne est de sang sans valeur...
"La sécurité des femmes n'a jamais été aussi en péril que depuis que les dogmes islamiques font office de loi dans ce pays." [...] dès que les extrémistes islamistes s'emparent du pouvoir, ils s'en prennent tout de suite au plaisir en général, et au plaisir sexuel en particulier. [...] Pour eux, la sexualité des femmes est diabolique. Ils ne supportent pas l'idée que leur mère ait écarté les jambes pour les fabriquer. Remarquez, elles auraient mieux fait de s'abstenir."
"Être pute, tout le monde l'est, plus ou moins je veux dire ... y a des centaines de millions de femmes dans le monde qui couchent avec leur mari sans plaisir. Femmes au foyer, elles s'occupent du ventre et du bas-ventre de leur mari et n'ont nulle part où aller. C'est dire que coucher avec un homme sans plaisir, ça arrive tous les jours et à des centaines de millions d'épouses. [...] C'est dire qu'il n'y a qu'un pas entre se prostituer et se marier. Et pourtant, ces femmes mariées nous condamnent du haut de leur vertu mercantile. Alors que dans les deux cas, on demande, avant toute chose : combien ? À ceci près que dans le mariage, les épouses se vendent à un seul homme pour un prix global, tout compris. Mais nous, une fois le client parti, nous sommes libres. Le prix n'est pas le même. Les avantages et les inconvénients non plus."
"Plus ils interdisent, plus les jeunes deviennent avides. Alors que mettre du rouge à lèvres est interdit aux femmes, Téhéran a été surnommée "la capitale du rouge à lèvres". Et rien que ça en dit long sur l'opposition entre la population et ce régime. [...] Ce pays est devenu un merdier pas possible. Trente-cinq ans de répression, de privations, d'interdits et d'humiliations en tout genre ont rendu les gens avides, malhonnêtes et tricheurs."
Et pour aller plus loin je vous invite à lire ou relire Saphia Azzedine sur le thème des islamistes "Bilqiss" et Delphine Minoui pour l'Iran "Je vous écris de Téhéran".
Grasset, 205 pages.
Même avis. Un livre coup de poing, puissant, dur et brutal que j'ai aimé.
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