dimanche 19 novembre 2017

❤️❤️❤️ "Marx et la poupée" de Maryam Madjidi



GONCOURT DU PREMIER ROMAN 2017

Maryam Madjidi est née en 1980, en Iran où elle a vécu jusqu'à l'âge de 5 ans, elle est ensuite partie en exil avec sa famille en France, à Paris.

Dans ce roman/récit elle revient sur les différentes étapes de sa vie, entre l'Iran et la France, entre ses deux langues, ses deux cultures. 

Elle nous parle de son enfance à Téhéran, y compris de sa vie de foetus - en effet sa mère enceinte manifestait dans les universités - de la révolution, des manifestations, des arrestations... puis le départ en France et cette nouvelle vie qui commence pour elle. Elle qui décide de ne plus être iranienne, de ne plus parler cette langue, de devenir complètement, totalement française. Ce qu'elle fera.
"Ainsi, dans la tête de la petite fille, s'est tu le persan. Sa langue a foutu le camp. [...] Ainsi s'est tu le persan. La petite fille comprend qu'ici, il ne sert à rien de le parler. Personne ne lui répondra.  Alors il se passa quelque chose d'étrange : elle avala sa langue. Elle ferma les yeux et elle engloutit sa langue maternelle qui glissa au fond de son ventre, bien à l'abri, au fond d'elle, comme dans le coin le plus reculé d'une grotte."
Et lorsqu'elle sera une jeune femme, étudiante, elle va renouer avec cette langue, le persan, et retourner pour la première fois dans son pays natal. Retour qui sera difficile, elle retrouve sa famille, sa grand-mère, elle rencontre un homme, ne veut plus repartir ; mais sa famille la pousse dehors, elle a été élevée dans la liberté !
"C'était le premier voyage, le premier retour à la terre-mère, la première descente vers l'origine. Une descente ou une chute, je ne sais pas. J'ai failli perdre la tête. J'ai glissé sur mon identité. Je suis tombée."
Dans ce texte, les chapitres sont courts et presque séparés les uns des autres, chacun a son style, chacun à son message, chacun a son émotion. Elle joue avec les mots, elle joue avec la langue, les langues, elle en joue dans le livre, elle en joue dans sa vie. 
Et elle en joue très bien.

C'est beau, très beau
Touchant, émouvant, 
Fort et magnifique

Une puissance incroyable se dégage de ce texte, en même temps qu'une douceur intense et un amour fou, pour son histoire, son pays, sa famille, sa vie.

Je pense que son choix narratif peut en perturber quelques uns, moi il m'a touché, il m'a pris, c'est ce qui donne toute la force à ses mots, ses phrases.

Aujourd'hui Maryam Madjidi enseigne le français à des mineurs étrangers, elle sait, elle connait ce sentiment d'étranger, de ne pas connaître la langue. 
J'imagine qu'elle doit être une enseignante incroyable, très compréhensive.

Je recommande vivement la lecture de ce livre qui mérite très largement ce prix Goncourt. 
Et j'attends impatiemment la suite, auteur à suivre !
"Je déterre les morts en écrivant. C'est donc ça mon écriture ? Le travail d'un fossoyeur à l'envers. Moi aussi j'ai parfois la nausée, ça me prend à la gorge et au ventre. Je me promène sur une plaine vaste et silencieuse qui ressemble au cimetière des maudits et je déterre les souvenirs, des anecdotes, des histoires douloureuses ou poignantes. Ça pue parfois. L'odeur de la mort et du passé est tenace. Je me retrouve avec tous ces morts qui me fixent du regard et qui m'implorent de les raconter. Ils vont me hanter comme mon père, qui se réveillait en sueur chaque nuit durant des années. Invisibles, ils suivent mes pas. Parfois, je me retourne brusquement dans la rue et je vois des bouches effacées."
"De « manière provocante » veut dire dans l'intention de violer l'esprit pur et chaste de l'homme qui s'efforce de ne pas être tenté par ces créatures diaboliques mais qui a l'esprit tellement bien placé dans le cul et le sexe des femmes que le moindre poil féminin le fait sortir du droit chemin."
"J'aurais aimé ramasser les lambeaux de tes rêves, les sauver, les enfiler comme des perles dans ma guirlande de mots à moi, et l'accrocher au sommet d'un arbre pour que ça bouge et vive encore."
"- Tu sais ce que ça fait d'être nulle part chez soi ? En France, on me dit que je suis iranienne. En Iran, on me dit que je suis française. Tu la veux ma double culture ? Je te la donne, va vivre avec et tu viendras me dire si c'est une « belle richesse » ou pas."
Le Nouvel Attila, 202 pages.

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