"Car la lecture est un singulier dialogue qui ne rêve que de pluriel, celui du désir incandescent d'échanger, de partager et de confronter ses impressions de lecture, de les dire aux autres et au monde, un désir puissant de faire circuler les oeuvres et de donner aux mots aimés l'écho le plus long et le plus lointain possible" Manuel Hirbec pour "Page"
mercredi 29 mai 2019
"Deux mètres dix" de Jean Hatzfeld
Deux mètres dix, c'est tout d'abord une hauteur, celle que voudraient atteindre les championnes du monde de saut en hauteur, mais deux mètres dix c'est aussi ce roman sur des athlètes, des athlètes olympiques, des athlètes américains et de l'Union Soviétique, deux femmes championnes de saut en hauteur, et deux hommes, haltérophiles, champions du monde eux-aussi.
Ce roman ce sont leurs quatre voix, sans qu'on les entende, quatre histoires que le narrateur nous livre avec pudeur, très simplement.
Il y a Sue Baxter, la jeune américaine, grande, qui saute, qui vole mais dont la chute est malheureusement lourde, et douloureuse, très douloureuse. On la retrouve seule, vivant dans un mobile home, se plongeant dans l'alcool pour oublier la douleur.
Il y a Tatyana Izvitkaya, sa rivale, une petite kirghize qui vole aussi au-dessus de la barre. Tatyana est d'origine koryo-saram, c'est à dire que ses grands-parents étaient des réfugiés coréens à Vladivostok mais envoyé au Kirghizistan lors de la seconde guerre mondiale (ils ressemblaient trop à des japonais...).
Les deux jeunes femmes sont les héroïnes principales de ce roman, mais il y est aussi question de Chabdan Orozbakov, lui aussi est kirghize, c'est un haltérophile aux multiples records du monde mais il a l'indélicatesse de sortir le drapeau de sa petite république lorsqu'il monte sur la première marche du podium aux Jeux Olympiques de Moscou, le KGB ne sera pas long pour venir le chercher et l'envoyer au goulag en Sibérie. Chabdan est un homme fort et puissant, mais un homme simple, de la forêt et qui aimait son petit pays, et en était fier.
Son pendant américain est Randy Wayne qui a démarré sa carrière en lançant des disques.
Ici on lit en filigrane la guerre froide, le dopage, les excès des athlètes, le surentrainement, l'absence de soutien psychologique, et l'abandon, l'abandon une fois que tout est fini.
C'est un roman que j'ai beaucoup apprécié, une écriture directe, légère.
Les descriptions des sauts et de l'haltérophilie sont parfaites, pleines de douceurs et de poésie.
Il devient facile de voir les muscles se bander, les artères battre, le pied s'appuyer au sol, le corps s'envoler, on entend le silence du stage, le souffle de la salle.
Je découvre avec plaisir cet auteur qui fut un grand reporter de guerre.
Un roman qui se lit vite, facilement et avec plaisir.
Gallimard, 206 pages.
lundi 27 mai 2019
"Un certain Paul Darrigrand" de Philippe Besson
Ta-da !
Voilà Philippe Besson de retour, avec un nouveau roman autobiographique 😊
Je l'avoue pour mon plus grand bonheur !
Je l'ai découvert il y a deux ans avec "Arrête avec tes mensonges" et j'avais été éblouie par cette magnifique première histoire d'amour d'un jeune homme de 18 ans.
On retrouve ce même jeune homme, en 1988, il a 21 ans, il est étudiant à Rouen puis à Bordeaux.
Une année de sa vie nous est contée, une année où il va aimer, fort, très fort, une année où il va découvrir la maladie.
C'est la rentrée scolaire, notre héros rencontre ce fameux Paul, un jeune homme beau et mystérieux, un jeune homme qui semble le chercher et le fuir en même temps.
Peu avant Noël il y a ces quelques jours entre amis à l'île de Ré et le masque tombe, une relation forte démarre.
Mais Paul est marié et le jeune homme se retrouve être l'amant, celui que l'on cache.
Et puis c'est la maladie qui prend place, inattendue, elle trouble, elle perturbe, elle fait peur.
Je dois dire que je ne suis peut-être pas très objective, et pourtant si, c'est l'effet que me fait ce livre qui est le plus important finalement. Il m'a rendue heureuse, nostalgique, amoureuse. Je me suis sentie rassurée, réconfortée.
Philippe Besson sait mieux que personne nous raconter l'amour, nous livrer son "âme romantique et torturée".
Il s'adresse à nous lecteur, il nous raconte, il nous explique, il parle de ses premiers romans aussi, et moi il m'a emmenée avec lui, dans ses mots, dans ses phrases, dans ses amours, dans ses émois.
Il sait me toucher, il me trouble, je suis ébranlée par son romantisme, par sa flamme et sa plume.
Il nous parle aussi de cette maladie dont il a réchappé, avec beaucoup de pudeur et de simplicité. Comment il a réussi à vivre avec, continuer à étudier, à aimer, à croire en la vie.
Un récit haletant qui se lit dans un souffle comme il a été écrit.
Julliard, 211 pages.
"La vie rêvée de Virginia Fly" de Angela Huth
Virginia Fly a 31 ans, elle est institutrice et vit chez ses parents dans la banlieue de Londres.
Elle est plutôt satisfaite de sa vie, certes un peu monotone, mais elle entretient une correspondance avec un dénommé Charlie qui vit aux États-Unis et fantasme beaucoup à son sujet. Elle sort aussi régulièrement avec un vieux professeur pour aller écouter de le musique.
Les relations avec sa mère ne sont pas très faciles et ne vont pas s'améliorer lorsque cette dernière va l'inscrire pour un reportage télévisé sur l'amour.... Virginia sera interviewée en sa qualité de trentenaire encore vierge....
Ce passage sur les ondes va chambouler ses relations amicales, d'autant plus que Charlie décide à ce moment-là de venir lui rendre visite.
Ce roman a été écrit en 1972 (deuxième roman de l'écrivain) et il caricature bien une certaine société anglaise de l'époque, la mère est totalement imbuvable et s'immisce en permanence dans la vie privée de sa fille, qui s'en plaint mais pourtant continue de vivre chez ses parents à trente ans passé. Le père est absent, très en retrait, mais volontairement ; un poltron qui ne veut pas affronter son épouse.
Charlie est un portrait grotesque de l'homme misogyne américain, bien entendu il sera une grosse déception.
Chaque personnage a des traits de caractère très poussés, à l'excès, pour mieux servir cette satire.
Lorsque Virginia vit sa première expérience, la description est à vomir, elle n'arrive à voir que les points noirs, la peau grasse, les poils durs, les orifices sombres.... bref tout ce que le corps peut avoir de répugnant. Cette première expérience est assez sordide mais je trouve merveilleusement bien écrite, tellement elle est vraie.
Il y a donc quelques passages comme ca qui sont très forts et qui nous montre le futur potentiel de l'auteur mais je n'ai pas été très emballée par l'ensemble du livre. Le début est un petit peu long à se mettre en place, la fin m'a plus "attrapée".
Je dois reconnaitre une petite déception à cette lecture mais probablement parce que j'en attendais autre chose.
J'avais en effet tellement aimé un autre roman de cette auteur, "Les filles de Hallows Farm", roman dans lequel elle a prouvé une fois de plus son talent remarquable en ce qui concerne l'étude de ses personnages.
Folio, 258 pages.
Traduit de l'anglais par Anouk Neuhoff.
dimanche 12 mai 2019
"Deux soeurs" de David Foenkinos
Mathilde vit une belle histoire d'amour avec Étienne depuis près de 5 ans, ils ont même parlé mariage l'été précédent en Croatie.
Mathilde est professeur de français dans un collège, elle aime son métier et ses élèves.
Mathilde est une jeune femme épanouie.
Mais Étienne lui annonce qu'il la quitte et s'en va.
Et Mathilde va sombrer dans la dépression, la colère, la folie....
❀❀❀
Dans la (longue) première partie, on vit avec Mathilde sa descente en enfer, la description de ses émotions, mais aussi un petit retour en arrière sur son histoire avec Étienne.
Dans la seconde partie Mathilde qui a touché le fond vit maintenant chez sa soeur. Je ne vais pas à en dire trop (pour ceux qui souhaiteraient lire le livre) car ça va très vite. C'est d'ailleurs un des gros points positifs du livre, les chapitres sont très courts et du coup il se lit très très rapidement.
Parce que pour être honnête je n'ai pas tellement aimé ce livre. En fait il un peu disproportionné, c'est à dire que la partie "dépressive" de Mathilde est un peu longue et la seconde partie beaucoup trop courte ce qui fait que l'on comprend assez rapidement où l'auteur nous emmène, c'est trop "facile".
Les annotations de bas de page que je n'avais déjà pas aimé dans les autres livres sont ici encore plus exagérées et inutiles.
Le ton employé par l'auteur m'est assez désagréable.
Je n'aime pas trop dire du mal d'un livre d'autant plus que je serais incapable d'en écrire un, celui ci ne m'a pas touché, je n'y ai pas cru.
Gallimard, 173 pages.
vendredi 10 mai 2019
"Pain amer" de Marie-Odile Ascher
Marina est une jeune fille de 18 ans, heureuse, elle est amoureuse et se prépare à faire des études de littérature anglaise, la vie lui sourit malgré les difficultés rencontrées depuis la seconde guerre mondiale, mais voilà qu'en octobre 1947 ses parents décident que toute la famille doit quitter Nice et "rentrer" au pays.
Oui, parce que Marina est la fille de deux russes blancs qui ont quitté leur pays dans les années 20 au moment de la révolution bolchevique. Les parents de Marina se sont rencontrés en France, ils ont fait toute leur vie en France, ils ont eu 7 enfants et se sont installés depuis maintenant plus de dix ans à Vence. Mais le rêve d'un retour "à la maison" ne les lâche plus depuis que Boris, un des frères de Vladimir le père, a annoncé qu'il allait profiter, avec son épouse, de l'opportunité offerte par Staline de retourner dans son pays.
La propagande est dithyrambique, vous choisissez votre ville, le pays vous donnera un travail, un appartement, des bons pour partir en vacances, et du pain ! Comment refuser une telle proposition lorsque l'on se morfond de ses origines....
Mais pour Marina c'est toute sa vie qu'elle laisse derrière elle lorsqu'elle monte dans le train, c'est Marc son fiancé, ce sont Anne et Juliette ses deux meilleures amies, c'est son entrée à l'université, ce sont tous ses rêves et ses espoirs.
Et la déconvenue sera amère, violente, désespérante.
L'objectif est Odessa, le départ se fait en train de Nice, d'abord l'Allemagne, la Pologne et enfin l'URSS. Plus la famille avance dans son voyage, plus les conditions de transport deviennent archaïques et rudes. C'est l'hiver la famille a du mal à trouver de quoi se chauffer, de quoi se nourrir, de quoi boire....
Marina prend en charge ses frères et soeurs, elle se sacrifie et nous raconte au quotidien la descente aux enfers de sa famille, et comment petit à petit ils vont tenter de s'intégrer dans cette nouvelle vie où ils doivent lutter à chaque instant pour survivre sans pouvoir compter sur quiconque et en se méfiant de tous.
Un roman historique très intéressant, passionnant même. J'ai aimé suivre Marina et sa famille, j'ai souffert avec eux et on voit bien comment petit à petit un pays, un "chef" prend le dessus sur toutes les vies, sur toutes les pensées... Un roman troublant sur une période bien sombre de l'Histoire de la Russie, pardon de l'URSS.
Un premier roman réussi et très bien documenté.
Éditions Anne Carrière, 424 pages.
dimanche 5 mai 2019
"Soudain, seuls" de Isabelle Autissier
Louise et Ludovic sont un jeune couple tout les deux épris de sport, plutôt la voile et le ski pour Ludo, et la montagne pour Louise.
Ensemble ils décident de faire un break et de partir traverser les océans à bord d'un bateau, le Jason.
Au cours de leur périple ils décident de passer par une île perdue loin à l'est du Cap Horn, une île protégé où il n'est pas autorisé de s'arrêter. Une île qui abritait autrefois une base baleinière maintenant en ruine.
Et c'est là que l'aventure bascule, un orage violent les bloque sur l'île et fait disparaitre leur bateau.
Comment survivre ? L'ancienne base est à moitié écroulé, il n'y pas de nourriture, il fait froid et ils n'ont plus aucun moyen de communication.
Se révèle alors le caractère de chacun, ses forces et ses faiblesses ; l'amour de ce couple si uni est mis à rude épreuve.
Peut-on sortir indemne d'une telle histoire ?
Le récit est très bien mené car on part tranquillement en suivant les deux amoureux et petit à petit la tension monte, et de plus en plus fort, il est impossible de poser le livre avant d'avoir terminé, on veut absolument savoir ce qu'il va se passer.
Les émotions sont fortes et parfaitement décrites, elles nous portent, nous poussent, la boule dans la gorge, le ventre serré, on tremble, on a peur, froid et faim.
Un livre qui se dévore !
Stock, 249 pages.