"Car la lecture est un singulier dialogue qui ne rêve que de pluriel, celui du désir incandescent d'échanger, de partager et de confronter ses impressions de lecture, de les dire aux autres et au monde, un désir puissant de faire circuler les oeuvres et de donner aux mots aimés l'écho le plus long et le plus lointain possible" Manuel Hirbec pour "Page"
lundi 23 décembre 2019
"Une bête au paradis" de Cécile Coulon
Le Paradis c'est le nom de cette ferme dans un coin de campagne, loin de la ville ; une ferme où vivent ensemble des êtres blessés, abimés par leur vie.
Emilienne est la grand-mère, la ferme lui appartient, c'est elle qui gère d'une main de fer tout son petit monde.
Blanche et Gabriel sont les petits-enfants élevés par leur grand-mère après la mort de leurs parents.
Louis est le commis, recueilli par Emilienne après que son père se soit cogné sur lui une fois de trop.
Gabriel est le "petit", fragile, faible, qui a très mal vécu le décès de ses parents, et garde un trou noir au fond de son âme, ou plutôt un arbre de tristesse qui sera toujours là et dont il faut tailler régulièrement les branches.
Blanche a hérité du caractère fort, sauvage, violent de sa grand-mère ; il n'y a pas grand chose qu'elle craigne. Elle travaille dur, a les doigts crochus, la peau rugueuse, elle aime sa terre et sa ferme.
Et puis elle aime aussi Alexandre, le beau jeune homme du village, qui vit dans une maison triste et sans vie avec ses parents.
Louis est un peu le demi-fou de la maison, il observe de loin, ne dit rien, c'est l'amoureux éternellement repoussé, après avoir fui le couple toxique de ses parents il a reporté toute sa tendresse et son affection sur Emilienne et Blanche, mais il ne fait pas parti de la famille et reste l'employé.
Ce petit monde évolue entre la ferme, l'école et le village jusqu'à ce qu'Alexandre décide de partir pour faire ses études en ville.
Enfermé dans ce huis clos au coeur de cette ferme, on a du mal à respirer, et bien que l'on soit à la campagne, l'air est lourd, épais. J'avoue que j'avais peur pendant la lecture, peur de ces gens qui semblaient inhumain tellement leurs émotions sont violentes.
L'ambiance générale du roman est assez glauque, il n'y a pas beaucoup d'espoir et de lumière.
Je ne peux pas dire que je n'ai pas aimé ce livre, mais je ne peux pas dire non plus que j'ai aimé car je me suis sentie assez mal.
J'ai aimé la ferme, le travail dur et physique, Louis qui passe le balai et ramasse les miettes, j'ai aimé ces petites choses du quotidien, j'ai aimé la vue, l'étang, les poules et les vaches, le grenier. J'ai aimé le marché, j'ai aimé Gabriel et sa maison carré, et Aurore, j'ai presque aimé Louis et sa petite folie.
Sans trop en dire (et c'est difficile donc attention divulgachage à partir de là) même si je comprends la douleur de Blanche et la trahison, je n'ai pas tellement cru à la fin, et surtout à cette pirouette du retour et de la trahison d'Alexandre, je ne sais pas, c'était trop. Je crois que jusqu'à ce retour j'ai plutôt bien aimé le livre mais ensuite j'ai été perdu.
Et pourtant j'aime les livres qui parle de la terre, de la difficulté de ce travail souvent ingrat, de la campagne, des animaux....
Donc petite retenue pour moi mais lisez ce livre et donnez moi votre avis !
L'Iconoclaste, 346 pages. Août 2019
vendredi 20 décembre 2019
"Les Indifférents" de Julien Dufresne Lamy
Après la lecture de "Jolis, jolis monstres" qui m'avait bouleversée, j'ai décidé de continuer à découvrir Julien Dufresne Lamy. Il y a eu "Boom" il n'y a pas longtemps et voici maintenant le troisième.
Justine est une ado de 13 ans lorsque sa mère la sort de son internat pour l'emmener vivre dans le bassin d'Arcachon, elle doit quitter son Alsace natale, son père, toute sa vie.
Arrivée dans le Sud-Ouest elle fait rapidement la connaissance de Théo, pour le père de qui sa mère travaille. Théo l'intègre au groupe qu'il forme avec ses amis d'enfance Léonard et Daisy, les Indifférents.
Justine va grandir et s'épanouir auprès de ses nouveaux amis, elle va découvrir une nouvelle vie, une vie de petits bourgeois dans une ville où tout le monde se connait et respecte les plus forts.
Dès le début du roman on comprend qu'un drame va se produire, c'est là, sous nos yeux, on devine sans savoir, on est fébrile, on a peur.
Peur car ils sont jeunes, fou(gueux), carnassiers, amoureux ; peur car on s'attache à ce petit groupe, peur car on ne veut pas que cela arrive.
Entre les chapitres où Justine se raconte, de très courts chapitres s'insinuent, lentement, sûrement, et nous distillent à petites doses les détails sur le drame vers lequel l'histoire tend.
C'est un roman à la fois tendre et cruel sur l'adolescence, l'amitié et l'amour. Les relations entre les garçons et les filles sont très bien rendues, on sent la tension, une ambiance presque toujours comme sur un fil de rasoir permanent, tout peut basculer à tout moment dans un sens ou un autre.
L'adolescence a ce côté franc et violent, sans concession et pourtant si fragile aussi. Et pour ne pas souffrir il faut une (bonne) carapace ou faire souffrir en premier.
C'est aussi une critique de la petite bourgeoisie locale, des privilèges accordés aux riches, des petits arrangements entre "amis", que ce soit les riches entrepreneurs, l'administration, la justice...
Il y a le poids des secrets, des non-dits, le mensonge et la veulerie pour le côté "adulte".
Malgré le soleil, les vacances et la plage Julien Dufresne Lamy ne nous montre pas une jolie face de l'être humain mais ses penchants les plus vils.
Encore un très bon moment de lecture grâce à cet auteur dont je ne doute plus, on est tenu en haleine jusqu'au bout.
Belfond, 346 pages. Février 2018
mercredi 18 décembre 2019
"Les gratitudes" de Delphine de Vigan
C'est l'histoire de Michka, une vieille dame qui perd ses mots et doit vivre dans un EHPAD.
Autour d'elle il y a Marie, une jeune femme qui lui rend visite régulièrement et qui est très proche d'elle ; et puis Jérôme l'orthophoniste qui vient deux fois par semaine pour l'aider non pas à retrouver ses mots mais à les perdre moins vite.
C'est un roman court qui tourne autour de ces 3 personnages, Michka en est le centre et petit à petit on déroule les vies des uns et des autres.
Je dois être honnête c'est une déception pour moi.
On m'avait parlé de ce livre avec des trémolos dans la voix et les yeux embués de larmes ; mais ça n'a pas fonctionné sur moi, est-ce mon petit coeur qui se durcit ? Suis-je en train de perdre toute sensibilité ?
Même si je suis capable d'être touchée par Michka, si j'entends et comprends le propos (la vieillesse, la mort, la perte du langage et implicitement de la mémoire, le lourd passé (abandon, guerre, ....)), cette femme qui tout en se dégradant (en vieillissant !) attend la mort avec une dernière obsession, retrouver deux personnes qui ont été importantes pour elle, j'ai trouvé que c'était un peu trop poussif et attendu, il n'y a pas de surprise.
Bien que le livre soit agréable à lire grace à son style fluide et délicat, il y a cependant beaucoup de bons sentiments et les personnages peu nombreux sont finalement peu développés, c'est dommage, j'aurai voulu en avoir plus sur chacun d'eux.
Habituellement j'aime ce qu'écrit cette auteur et je n'aime pas trop dire du mal des livres mais je ne peux pas non plus mentir, et pour celui-là il n'y a pas eu la rencontre attendue... Dommage.
Sur un thème un peu similaire j'aurai envie de vous recommander un livre de Frederique Deghelt "La grand-mère de Jade" que j'ai trouvé plus profond et plus crédible.
JC Lattès, 173 pages. Mars 2019
lundi 16 décembre 2019
"La maison" de Emma Becker
Dès les premières pages je pense : elle est probablement un peu nymphomane,
et puis en fait, non, pas du tout,
elle a une sexualité assumée, pleine, entière, vibrante, sans tabou et sans limite.
et puis en fait, non, pas du tout,
elle a une sexualité assumée, pleine, entière, vibrante, sans tabou et sans limite.
Et sans être vulgaire ni glauque.
Pour elle toute rencontre avec un homme est d'abord analysée comme un potentiel érotique, comme une éventualité de baise, elle dissocie le plaisir des chairs et "l'amour".
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Les conditions dans lesquelles cela se fait sont néanmoins très particulières, car elle décide de partir à Berlin où le métier est légal et reconnu. Et donc un peu plus protégé.
Sauf que le premier endroit qu'elle teste s'avère être un échec ; les conditions ne sont pas très bonnes, les filles ne sont pas traitées correctement ni respectées, elle ne s'y sent pas en sécurité, ce qui est un point essentiel pour faire ce métier dans de bonnes conditions.
La deuxième maison sera la bonne, elle y sera heureuse, même si ce n'est pas tous les jours faciles.
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Emma Becker nous parle d'abord un peu d'elle, de qui elle est avant de nous expliquer sa démarche, son choix, sa fascination pour ces putes qui sont avant tout des femmes.
Et bien sûr les clients sont importants, ils sont la clé de voûte de la maison, de ce qui s'y passe.
Dans cette Maison il y a différentes chambres, chacune a son âme particulière. Il y a les chambres préférées, celles qui sont délaissées, il y a du mauve, du rose, du pastel, des miroirs, de grands lits....
Ce livre est fait de très beaux portraits de femmes, tout en nuance, en douceur et surtout dans le respect, malgré le côté peu reluisant du métier, peu reluisant pour nos sociétés qui jugent.
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C'est un livre sur la liberté de la Femme, la liberté des choix, l'absence de jugement.
Ici Emma Becker nous parle de femmes,
d'être une femme,
d'aimer la chair,
le plaisir au plaisir.
Elle nous parle de femmes fortes
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Je reconnais que j'étais initialement très sceptique et que je n'avais pas tellement envie de lire ce livre, mais lors de son passage dans "la grande librairie" elle m'a étonné, elle a éveillé ma curiosité, ce qu'elle disait avait du sens et en même temps était perturbant. J'ai eu envie de comprendre mieux son sujet.
Cette jeune femme assume ce qu'elle est, ce qu'elle ressent, ce qu'elle veut, et pour ça elle est admirable. Elle est tout simplement libre. Et elle le crie haut, et fort.
C'est un livre perturbant, un livre qui bouscule, qui pousse les limites.
Je ne suis pas comme elle, comme beaucoup de femmes, et oui certains passages m'ont choqués, pourtant je suis loin d'être bégueule.
Je ne peux pas dire que j'approuve totalement la démarche, qui reste très partiale et est très peu représentative de la condition des prostituées de manière générale, il suffit de le savoir avant d'entamer la lecture. Il faut prendre ce livre pour ce qu'il est, une expérience un peu folle, et probablement très exceptionnelle, et non pas un témoignage des conditions de vie des prostituées.
À découvrir sans peur et sans oeillères !
Flammarion, 371 pages. Août 2019
lundi 2 décembre 2019
"Vie de David Hockney" de Catherine Cusset
Je dois reconnaitre qu'avant de commencer ce livre je ne connaissais pas du tout David Hockney.
Catherine Cusset m'a ouvert la porte de sa vie, de la naissance d'un peintre, d'un artiste dans notre monde contemporain, un artiste toujours là, un artiste qui a connu la célébrité et la renommée de son vivant.
C'est un livre court mais que j'ai lu assez lentement finalement, car à tout moment j'avais besoin d'aller voir les oeuvres citées, décrites, racontées. J'avais besoin de regarder ces formes et ses couleurs.
Je suis donc partie à la rencontre de cet artiste, de cet homme, amoureux, passionné, vivant.
Un homme qui est passé entre les mailles du filet de la mort depuis tant d'années. Un homme qui a beaucoup perdu, traversé les années sida. Un homme vivant dans le milieu artistique homosexuel. Un homme touchant.
Une très jolie découverte servie par la très belle plume de Catherine Cusset qui sait raconter avec douceur une vie entière, belle et triste à la fois.
La lecture c'est aussi aller dans des milieux que l'on ne connait pas, la lecture nous pousse encore une fois à nous ouvrir, à découvrir, apprendre, la lecture est un voyage dont je ne me lasse jamais.
Gallimard, 181 pages. Janvier 2018