Un plaidoyer pour le corps, une critique acerbe du système scolaire.
Une jeune femme peu sure d’elle, mal dans sa peau et surtout dans son corps qu’elle n’ose regarder et qu’elle trouve laid,
Une jeune femme qui enseigne la philosophie à des lycéens peu intéressés, des jeunes de la banlieue, qui ont mieux à faire que de lire Kant, Descartes et les autres,
Une jeune femme qui un jour décide de se prendre en main,
de prendre des cours de danse,
des cours de danse d’effeuillage.
Une jeune femme qui travaille la nuit, se déshabille, juste pour lire le désir et le plaisir dans les yeux des hommes,
Une jeune femme qui reprend de l’assurance et goût à la vie.
Dans ce premier roman Ketty Rouf n’y va pas avec le dos de la cuillère, elle même enseignante en philosophie elle nous donne une certaine image du système scolaire, du lycée, de l’enseignement… et honnêtement ça ne fait pas rêver et ça fait même peur.
Mais ce roman c’est aussi une histoire de retrouvaille avec soi-même, de paix intérieur que l’on recherche lorsque tout vous malmène, et ici cela passe par la reconnaissance du corps, la maitrise, le désir de plaire.
Même si j’ai du mal à imaginer ce besoin de se montrer et surtout le passage à l’acte, J’ai aimé ce premier roman, la dichotomie de cette vie, tellement en opposition. J’ai aimé le regard et malgré tout l’envie d’aider ces jeunes. Le passage d’un monde à l’autre.
Il y a de très beaux moments, l’écriture est fluide, crue, vraie.
Un premier roman réussi, à découvrir.
"Pour si peu ? Quelle cruche je fais ! Tout ce « peu » qui est ma vie est en train de se casser la gueule. Qu'ai-je fait pour me retrouver dans le désarroi d'un manque de reconnaissance, d'argent, de joie ? Énorme, monstrueuse bêtise d'avoir voulu être prof. Séduite par la publicité des valeurs, je me suis fait baiser par l'illusion d'accomplir une noble mission, celle d'éduquer, un si beau métier. Et les vacances. Des vacances que je passe souvent à travailler, et pendant lesquelles je ne pars jamais bien loin."
"Ce qui me fait le plus peur, c'est d'être comme eux. Assis à la cantine du lycée, nous ne sommes que des femmes et des hommes rassemblés par l'étalage obscène de notre manque de volonté et de passion. Sur nos visages, dans nos discours, l'absence d'une quelconque intensité. J'espère toujours surprendre quelque chose de vivant, colère ou joie, peu importe, pourvu que ce soit de la vie. Les condamner, ça soulage mon petit moi. Moi, différente de tous les naïfs qui sentent avoir déjà gagné le combat de l'homme noble contre la pauvreté d'esprit, et se destinent au long fleuve tranquille du bonheur. Ceux-là, je les félicite avec mépris. Les autres n'y ont jamais pensé, au bonheur. C'est ça, la réalité qu'on me sert dans une assiette en plastique. Je bouffe du mépris en regardant mes collègues qui avalent, avalent tout, parlent des élèves, et des méthodes. Du programme et des conseils de classe. Ils exultent pour l'heure supplémentaire qui rapportera un peu d'argent à la fin du mois. Ils ont déjà sous le bras les copies à corriger dans le train ou le métro."
"Car « il faut se rapprocher de la pratique culturelle des élèves et dans cette perspective qu'importent le support et le contenu. Star Trek ou Proust, c'est pareil si ça peut les faire travailler sans trop d'efforts, car c'est à vous de vous mettre à niveau... »"
"Tout le monde vous prend pour des imbéciles. Nos dirigeants, l'institution, mes collègues. Moi aussi. Et tout est fait pour que vous restiez des imbéciles. Vous vous êtes déjà demandé pourquoi on n'arrête pas d'alléger les programmes ? Ça ne vous fait pas réfléchir, ça ? Je vais vous le dire, pourquoi. Parce qu'on veut vous donner moins, et de moins en moins, pour faire croire à vos parents, à l'opinion publique et à la terre entière que vous assimilez vite et bien. Que vous êtes tous très intelligents. En réalité, on vous tire vers le bas parce qu'on a besoin de votre ignorance, et de votre incapacité à avoir une pensée élaborée, profonde. C'est pourquoi vous devriez pleurer tous les jours, vous désespérer, vous mettre à genoux, nous supplier de vous enseigner l'histoire, la littérature, la grammaire, la syntaxe, implorer pour qu'on vous donne des oeuvres complètes à lire, qu'on vous traite comme de vrais élèves à qui on impose silence, prise de notes, discipline, effort !"
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