mardi 1 septembre 2020

"Le fumoir" de Marius Jauffret

 




Dans ce texte autobiographique Marius Jauffret nous fait partager son expérience de l’institution hospitalière, en psychiatrie. 

Ce jeune homme, visiblement mal dans sa peau, boit et prend quelques comprimés pour pallier son mal-être, il se connaît et sait parfois s’arrêter…jusqu’au jour où ayant encore trop bu son frère l’emmène à Sainte Anne (hôpital psychiatrique) et où comme dans un cercle infernal il voit son frère signer, presque à son insu, une hospitalisation sur demande de tiers. Il faut dire que le médecin leur a fait peur et leur a fait valoir tous les bienfaits d’une hospitalisation.

Seulement Marius pense sortir dès qu’il sera sevré de sa dernière grosse cuite (2,5g quand même…) et là il découvre qu’il ne peut pas sortir comme ça, il est enfermé alors qu’il n’a rien fait.

Il n’est pas le seul à être enfermé, certains sont là depuis des mois voire des années, sans vraiment d’espoir de se voir sortir. 

Il y a les chanceux qui ont de la famille et des connaissances, et de l’argent, et puis il y a les pauvres, seuls, sans domicile, sans travail, qui n’ont que peu d’espoir de sortir.

C’est pire que la prison dise certain, pas de travail, pas d’occupation, hormis le « fumoir » haut lieu de rencontre avec les autres enfermés et le personnel. 

 

 

Une description effrayante du système, de l’engrenage dans lequel nous pouvons tous glisser sans nous rendre compte…
Si tout ce qui est raconté est vrai alors il y a de sérieux problèmes.

Quand l’innocent a plus à prouver que le coupable qui n’est même pas en prison.

Un texte qui fait réfléchir sur nos institutions et leur fonctionnement. 

 

 

Pas de misérabilisme ni d’apitoiement, une simple constatation, un témoignage effrayant. 

À découvrir absolument !

"La plupart du temps, boire m'évite de subir mes cogitations de plein fouet. Elles se font plus vagues après quelques verres, le point central de mon attention s'accroche à l'histoire futile d'une série feel good ou, pire, à un débat politique. La plus grande partie de mes journées est consacrée à la réflexion, une terrible et intense plongée inutile dans mon for intérieur. Boire n'est pas un loisir. Boire est une nécessité sans saveur. L'alcool m'apporte une sérénité qu'il m'est impossible de trouver dans la lucidité, qui charrie inévitablement avec elle toutes les horreurs et les injustices de la société. Des injustices que j'absorbe et métabolise en acide sulfurique. Quand à l'idée de crever à cause du whisky, si je me pose la question, elle s'étiole à mesure que je bois. Avec un litre d'alcool fort par jour, c'est le foie qui s'épuisera. À moins qu'un autre organe ne lui vole la vedette, ce qui serait une injustice de plus." 

"Mais moi, le dépressif, l'excessif, le jouisseur solitaire, le handicapé social, je ris, je pleure, j'exulte, je me morfonds, je suis en haut de l'échelle ou au fond du puits, mais je suis vivant. Et j'ai le droit de vivre. Je ne suis pas une construction rectiligne. Je suis un morceau de viande flanqué de neurones qui s'agitent. Les psychiatres sont faits de la même manière que moi. Pourtant, ils croient dur comme fer que la raison les fait agir, qu'ils obéissent à une logique naturelle et en parfaite symbiose avec les attentes cartésiennes de la société. Ils se placent au-dessus de ceux qu'ils soignent. Comment être lucide lorsqu'on se sent supérieur, supérieur non par l'intellect, non par l'éducation, mais supérieur tout court, humainement ?"

"Le nombre de personnes internées sans consentement a doublé en dix ans. Aujourd'hui elles sont quatre-vingt-deux mille. Soit douze mille de plus qu'en prison. Sommes-nous devenus deux fois plus fous ? Ou vivons-nous dans une société deux fois plus sécuritaire ? Liberticide ? Plus de trois quarts des patients ne sont pas atteints par une pathologie précise. Plus de trois quarts des patients ne sont pas malades. Et dans la plupart des asiles, la chance de recouvrer la liberté après le passage devant le juge est de zéro pour cent. Les innocents sont plus nombreux dans les chambres blanches des asiles que les criminels derrière les verrous. Et, contrairement à ces derniers, ils y restent. Ils y crèvent."

 

Éditions Anne Carrière, 192 pages. Septembre 2020.

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