samedi 20 mars 2021

❤️❤️❤️ "Viendra le temps du feu" de Wendy Delorme

 



J’ai de la chance en ce moment, encore un énorme coup de cœur pour ce livre qui m’avait attiré avec sa superbe couverture (peinture de @Karine Rougier). 

 

 

C’est un pays totalitaire où depuis que le Pacte National a été signé plus aucun civil ne peut passer la frontière, si tu pars tu ne reviens plus. 

L’argent n’a plus cours ; la population dispose d’avoirs pour le logement, la nourriture, l’accès à l’eau potable, les vêtements, les divertissements, en fonction de la contribution que l’on apporte (production/reproduction). 

C’est un pays où les livres n’existent plus, les médias sont sous contrôle, la mémoire numérique a été effacée, la police veille.

Le monde ancien n’est plus, le sud est dévasté par la sécheresse, le nord par la montée des eaux, les mers sont acides et la pollution est à son paroxysme. Alors pour continuer à vivre dans son petit Eden ce pays garde ses frontières, farouchement, férocement. 

 

 

Ce sont des voix qui nous racontent, des voix de femmes, mais aussi un homme. 

Des voix qui se rebellent, des voix qui luttent, des voix qui veulent retrouver la liberté. 

Eve, Louise, Rosa, Grâce, Raphaël…et tous ceux que l’on n’entend pas.

Ils veulent vivre, libres ; libres d’être qui ils sont, libres d’aimer qui ils veulent, libres d’écrire, de lire, de rêver, libres de vivre.

 

Un livre fortement engagé, qui reprend toutes les thématiques brûlantes actuelles notamment autour du changement climatique, de la montée des extrêmes, des migrants mais aussi de la différence, du rejet de l’autre, des corps, des sexes, de l’amour.

 

 

Une dystopie pleine de poésie, d’amour et de rage, une histoire de sororité et de partage, un livre éblouissant, à lire, à réfléchir, à partager !!

 

 

            « Et j’ai compris alors ce qu’il voulait me dire. Je ne l’ai jamais vu mais je sais son histoire, celle des hommes comme lui. Nous la connaissons tous, nous qui vivons ici, même ceux qui comme moi n’ont jamais vu l’ailleurs. Il est né quelque part où l’on meurt de soif, de faim, ou par les armes, a traversé la mer et d’autres terres encore, puis le fleuve de nuit, ou bien la montagne. Il a dû tout laisser, ou on lui a tout pris. Il n’a plus que son corps, les vêtements qu’il porte, ses souvenirs, sa vie. Le reste a disparu. Je revois son regard, il avait cet air las de qui a cru pouvoir nouer contact humain.» 

 

 

            « Les outils du langage viennent fixer ce qu’ils peuvent de l’expérience humaine. Souvent, c’est moins le sens des mots qui rend pleinement ce qu’ils tentent de décrire, que le rythme qu’ils prennent à l’oreille qui entend, sans même qu’on les prononce. Car les mots qu’on écrit présentent ceci d’étrange qu’ils s’égrènent en musique résonnant seulement pour l’être qui les lit. Et c’est cette musique silencieuse et secrète qui dessine le mieux la forme de ce qu’ils disent. »

 

 

            « Il n’ya pas d’ailleurs. Nulle part où se rendre. Notre espèce prisonnière d’une planète moribonde, et qui espère survivre juste un peu plus longtemps, me donnait la nausée. »

 

 

          « La librairie : lieu dédié aux livres, où on peut les feuilleter, en faire l’acquisition pour les emmener chez soi, les adopter comme siens, écrire dans les marges, en souligner des phrases, les relire quand on veut, en faire la lecture à la personne aimée, les prêter, les donner. N’importe quel livre. »

 

 

            « Les Autres ne discutent pas les cadres de perception qu’on leur a inculqués. Ne cherchent pas d’ailleurs. Ils n’ont jamais dû fuir. Ils ne s’inquiètent pas de trouver la justesse, quérir la vérité. Ce sont tous ceux qui laissent l’histoire s’effacer, qui veulent oublier, ou refusent de voir, ou bien ne sont jamais venus jusqu’à l’idée que le présent n’est pas un donné, état de fait, mais bien la conséquence d’une longue chaîne d’actions, de discours, d’évènements. Que rien ne va de soi, rien n’est évident, et rien ne devrait rester inquestionné. Ils pratiquent le mépris de manière si usuelle qu’ils ne le voient même plus, ou bien ils pensent vraiment que certaines vies humaines valent mieux que d’autres. Ils se sont mutilés de leurs organes psychiques, et leur champ d’empathie se restreint à leurs seuls semblables identiques. Ils se pensent au centre et organisent le monde de manière concentrique, ravalant au néant toute manière d’exister qui n’est pas sous leur dogme, pourchassant tous les êtres ayant commis le crime de venir d’ailleurs, ou bien de s’excentrer en pensant autrement. Ils s’approprient la terre pour piller les ressources d’autres peuples du monde en les laissant exsangues, repoussant par la suite hors de leurs frontières les exilés venus des régions dévastées. »

 

Cambourakis, 265 pages. Mars 2021

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