dimanche 19 septembre 2021

❤️❤️❤️ "Enfant de Salaud" de Sorj Chalandon

 



Ah je l’attendais celui-là !!

Je ne pouvais tout simplement pas passer à côté. 


Pour moi c’est une réussite absolue ; du grand, du très grand Chalandon !

 

 

Il mêle ici l’Histoire à celle de son père, et donc à la sienne, à ses origines.

 

 

Tout en étant chroniqueur judiciaire à l’occasion du procès de Klaus Barbie à Lyon en 1987, il fait l’analyse du casier judiciaire de son père ; casier ouvert pendant la seconde guerre mondiale après qu’il eut été accusé de trahison à la patrie.

En effet le père « n’était pas du bon côté » selon les dires du grand-père, il aurait porté l’uniforme allemand, Sorj serait donc « un enfant de salaud ». 

 

 

Après nous avoir conté la mythomanie de son père dans « Profession du père », Sorj Chalandon tente de débroussailler tout ce que son père a pu dire, raconter, pour tenter d’entrapercevoir un bout de la vérité sur ce qu'il a vraiment été, sur ce qu'il a réellement fait durant cette guerre.


C'est l'occasion d'en apprendre plus sur le procès de Barbie, sur les témoignages, la rafle des enfants d'Izieu. On est plongé dans le côté sombre de Lyon pendant l'occupation.


Sorj Chalandon se dévoile beaucoup en parlant de son père. Père qui était effectivement présent à ce procès, mais il utilise ce roman pour inventer une confrontation avec ce qu'il a été et ce qu'il a fait. 

La fin est remarquable et on espère qu'elle aura permis à l'auteur de clore ce chapitre difficile.

 

 

Ce roman est touchant, magnifique, d’une très grande sensibilité ; historiquement passionnant, et toujours servi par un style littéraire parfait.

 

 

Je suis conquise ! (et je croise les doigts pour le Goncourt)



Grasset, 2021



jeudi 2 septembre 2021

❤️❤️❤️ " 907 fois Camille" de Julien Dufresne-Lamy

 



Mais comment faire pour vous parler de ce livre ? Il faudrait peut-être ne rien dire hormis « Lisez-le », ou écrire tout un livre pour en parler.

 

 

Julien Dufresne-Lamy nous raconte son amie Camille ; Camille qui a pour père « Dodo la Saumure » notamment rendu célèbre au moment de l’affaire DSK, mais qui est surtout un proxénète notoire. 

 

 

Comment grandir comme une petite fille puis une jeune femme quand on vit entouré de « l’aura » d’un tel père, dans ce clan de femmes constitué de la grand-mère paternelle, de tantes, demi-sœurs… toutes reliées à cet homme, qu’ici je ne jugerai pas car je ne veux même pas lui donner cette importance. 

Mais pour Camille ?

 

 

Ce texte est d’une bienveillance absolue, on sent l’amitié sincère et pleine, le profond respect de la femme, des femmes. 


Julien se livre, tout en pudeur ; il est d’une très grande sensibilité, son intelligence émotionnelle est infinie, il me donne de l’espoir, il me donne envie de croire encore. Il doit savoir écouter, les femmes en particulier car il les connaît, bien, il est rempli d’humanité.

 

 

On retrouve la question de l’identité, celle qui raconte d’où l’on vient, cette question si importante, pour tous et pour chacun ; et puis le jugement, qui ne devrait pas exister et être tout simplement remplacer par ce regard altruiste que Julien porte sur son amie, et tous les autres.

 

 

Je me sens toute petite, remplie d’humilité face à ce livre, simplement lisez-le, vraiment.


Plon, 2021


samedi 28 août 2021

❤️❤️❤️ "Les Contreforts" de Guillaume Sire

 


Il était une fois une famille qui vivait dans un château fort près des Corbières dans le sud de la France.

 

Dans cette famille ancestrale, il y a Léon, le père, un grand costaud exalté et un peu naïf ; la mère, Diane, qui porte à bout de bras tout son petit monde ; Clémence, 17 ans, est une bricoleuse de génie qui rafistole avec intelligence son château fabuleux, et Pierre, 15 ans, sensible et délicat, braconne dans les forêts alentour tout en vénérant sa sœur.

 

Malheureusement cette foutraque citadelle est en piteuse état et les Testasecca n’ont pas le moindre sou pour empêcher la dégradation et l’effondrement à venir. 

Et autour d’eux rodent les hyènes prêtent à profiter, à abattre, à couper leur tête pour s’enrichir.


L’expropriation se profite... mais cette famille un peu déjantée et hors norme n’a pas dit son dernier mot, ils feront tout pour sauver leur château de toujours, pour rendre honneur à leurs vaillants et célèbres ancêtres, c’est une guerre sans merci qui va se jouer.

 

Un roman magique, lumineux, déroutant ; une fresque familiale romanesque et excentrique, une balade hors des sentiers battus, un réel plaisir de lecture. 

 

Guillaume Sire m’avait conquise avec « Avant la longue flamme rouge », avec ce roman il sait à nouveau nous emporter dans un univers rocambolesque, tragique et passionné. 

 

On aime, on adore !!!


Calmann-Levy, 2021

lundi 23 août 2021

"L'Odyssée des oubliés" de Khalil Diallo

 



Après le massacre de sa famille et de son village, Sembouyane décide de quitter Malaimé pour rejoindre la France. 

Il part avec Idy son plus vieil ami. En chemin ils se regroupent avec Alain, un écrivain camerounais et Maguy une jeune femme féministe.

 

 

Ensemble ils vont braver les dangers du désert, les risques du grand voyage vers ce qu’il croit être l’Eldorado. 

Mais les difficultés et les menaces sont nombreuses et ne les laisseront pas en paix.

 

 

Un roman magnifique, dur, vrai, qui vous plonge dans la réalité de vie des migrants.

Dans la folie des hommes, le fanatisme religieux, les aléas de la nature.

 

 

C’est beau et poétique, sensible mais sans misérabilisme. 

Indéniablement un texte à ne pas rater. 


Emmanuelle Colas, 2021


vendredi 20 août 2021

"Géantes" de Murielle Magellan

 



Murielle Magellan nous propose un roman très original. 

Se succèdent les parties du roman et celles du journal intime.

 

 

Le roman est un conte où Laura une jeune femme simple et sans histoire se met à grandir après qu’un événement l’ait poussé sur le devant de la scène. 

Dans le journal intime, l’autrice relate sa rencontre avec Andreï Makine sur le plateau de La Grande Librairie ; il lui dit à cette occasion une phrase qui va pousser à la réflexion et la faire digresser jusqu’à ce que la boucle soit bouclée. 

 

 

Le roman est un vrai conte philosophique sur la place de la femme dans notre société, son évolution et sans doute ses retombées.

Il n’y a pas d’attaque contre les hommes, c’est fin et réfléchi.

 

 

Le journal intime reprend ce thème en s’appuyant notamment sur le vieillissement, mais il y a aussi de l’amour, la filiation et un peu de mysticisme et de spiritualité. 

 

 

C’est un roman troublant, féministe, subtil et délicat.

 

 

ÉNORME COUP DE CŒUR !!!


Mialet Barrault, 2021




jeudi 19 août 2021

"Ultramarins" de Mariette Navarro

 



Un premier roman étonnant, rempli de mystère, de velouté, de troubles… 

 

 

Un cargo au départ du Havre est en route pour les Antilles ; la capitaine en acceptant une demande particulière de son équipage les (nous) fait pénétrer dans un univers sibyllin.

 

 

C’est un moment en suspension, un huis-clos marin déconcertant, prenant.

 

On fait un pas de côté, on se pose, on arrête le temps et on écoute le cœur battant de la machine, la moiteur, le silence et le calme. 

 

À dévorer en toute quiétude, dans le doux bercement de la houle, au-dessus des abysses et de l’immensité.

 

Énorme coup de cœur de cette rentrée car j’ai été surprise par ce texte et cette écriture si belle. 

Un roman qui nous sort de notre zone de confort et nous raconte une histoire étrange. Un style délicat, sensible qui nous touche, nous happe. 


Quidam Éditeur, 2021

dimanche 27 juin 2021

"Les suppliciées du Rhône" de Coline Gatel

 



Un bon petit polar pour se détendre, j’ai toujours aimé ça !

 

 

Lyon 1897, les corps livides de très jeunes filles sont retrouvés dans les rues de Lyon ; elles sont atrocement mutilées après avoir subi un avortement par césarienne. 

 

Félicien Perrier et Bernard Lecuyer deux étudiants du célèbre médecin Alexandre Lacassagne, sont nommés pour constituer une équipe d’experts ; c’est le début de la médecine légale. Accompagnés de l’intrigante Irina, journaliste polonaise, ils vont mener l’enquête qui les mènera dans les bas-fond de la ville des soyeux. 

D’un bouge d’opiomanes, à l’hôpital d’indigents, des faiseuses d’anges à la bourgeoisie montante, des pentes de la Croix-Rousse aux quais brumeux où se trouve la morgue flottante, cette drôle équipée va aller de surprise en surprise. 

 

 

Chacun de nos protagonistes a ses démons cachés ; petit à petit ils vont se dévoiler à nous et livrer leurs secrets.

Une plongée historique dans la ville et dans l’histoire de la criminologie.

Un polar prenant qui nous tient jusqu’au dénouement effrayant et inattendu. 

Le Livres de Poche, 416 pages. 

jeudi 24 juin 2021

❤️❤️ "L'isle ou la mémoire du sable" de Jean-Marie Quéré

 

 


Je dois tout de suite avouer que ce livre est un gros coup de cœur, tant pour l’histoire que l’écriture. Il m’a touchée au cœur car c’est un livre rempli d’amour. On y parle d’enfance, de souvenirs, de mémoire, de transmission. 

 

 

 

C’est l’histoire d’une famille qui, tous les étés, part s’installer pour camper dans un pré à Belle-île-en-mer ; toute l’année est rythmée par l’attente de ce grand départ, l’émoi et l’excitation montent au fil du temps qui passe et des petits indices qui indiquent que ce jour approche. 

 

 

C’est l’histoire d’un petit garçon qui aime cette île, sa beauté, sa nature ; ce petit garçon qui le temps de l’été vit au rythme de la marée, du soleil et des averses. C’est une ode à cette île tant aimée, une ode aux souvenirs familiaux. 

 

 

Ce texte court, très poétique, nous emmène tendrement dans les souvenirs de cet enfant devenu grand, dans ce qu’il a gardé de son lien sauvage et brut à la nature, ce lien qui le ramène au lien familial, à la transmission transgénérationnelle. 

La transmission voulue et choisie mais aussi la transmission qui se passe de mot, la transmission des émotions juste par une présence ; ce lien discret, ténu mais puissant qui se tisse de génération en génération. 

La fin est particulièrement belle, à la fois mélancolique et pleine d’espoir ; la vie passe mais l’amour lui reste et se transmet d’une main à une autre…

 

 

 

J'ai aimé plonger dans la simplicité des années 1960-70, la description des voyages, de la préparation avec les petits détails comme la grande boîte qui apparait dans la cuisine et à laquelle on se cogne tout le temps mais qui signifie que bientôt on va la remplir pour partir. 

J'ai aimé la façon dont cette famille découvre ce pré et s'y installe.

J'ai aimé ce petit garçon qui apprécie, déguste, jouit de chaque instant, chaque moment. 

J'ai aimé son enthousiasme lorsque sa grand-mère vient enfin leur rendre visite sur leur île.

Tout est beau, fait rêver, donne envie. 

Ce genre de lecture toute simple qui réchauffe le coeur et fait sourire.


Les Découvertes de la Luciole, 157 pages. 2021

jeudi 20 mai 2021

"Ritournelle" de Dimitri Rouchon-Borie

 

RITOURNELLE


Pour ce deuxième roman de Dimitri Rouchon-Borie, la maison d'édition Le Tripode a repris un texte déjà publié en 2018, inspiré d’un fait divers. 

 

 

En assistant à leur procès, nous découvrons l’engrenage infernal qui a amené trois hommes 

à commettre l’irréparable.

 

 

Mais plus que ça c’est la bêtise et le désœuvrement qui se mettent en scène devant nous, impuissants témoins de l’absurdité de ce drame. 

 

 

Trois hommes se retrouvent dans un bar, l’ennui, l’alcool, leur vie (de merde) qui n’en est pas une, la famille protectrice qui n’existe pas, la violence quotidienne, permanente et c’est l’engloutissement, le dérapage, le piège qui se referme sur une barbarie sans nom.

 

 

Le style est totalement différent du roman précédent, ici les phrases sont courtes, on est dans le rythme du procès, des interrogatoires menés par le juge, c’est comme une pièce de théâtre, une tragédie.

C’est poisseux, gluant, il n’y a pas d’excuse, ni explication, juste la folie du mécanisme de la spirale diabolique. 

 

 

Je suis contente d’avoir aimé ce texte car j’avais été bouleversé par le démon de la colline aux loups et j’avais peur de la déception ; malgré la différence de style l’écriture est toujours là. Et même si le sujet est difficile, il est un témoignage d’une certaine réalité.



Le Tripode, 155 pages. Mai 2021

lundi 19 avril 2021

❤️❤️❤️ "Et ces êtres sans pénis !" de Chahdortt Djavann

 


Ce nouveau texte de Chahdortt Djavann est inclassable, totalement anti-conformiste.

Elle y met beaucoup d’elle, se livre à nous, totalement, profondément, intimement, dans ce qui la compose et la détruit. 

 

 

 

Elle nous raconte des histoires de femmes, de femmes iraniennes ; elle nous parle de son pays d’origine, de l’Iran, si beau, si plein de culture, de traditions, de paysages, un pays avec une grande Histoire. 

Mais aujourd’hui ce qui se vit dans ce pays est dramatique, terrifiant, effroyable ; les femmes y sont niées, massacrées, rabaissées, elles sont la cause de toutes les misères et faiblesses des hommes…

 

 

Alors encore une fois, elle raconte, elle dit, l’Iran, elle dit la Femme. 

Plusieurs parties se succèdent dans ce texte ; il y a l’auteur, il y a ces femmes et il y a la dernière partie, un rêve, une utopie, un fantasme (?), veut-elle nous donner l’envie d’y croire, croire qu’une solution existe, qu’une issue est possible, que tout n’est pas perdu ? 

 

Je dis merci à la vie d’être née femme

Je dis merci à la vie d’être née en France

Je dis merci à Chahdortt Djavann de nous ouvrir les yeux encore une fois, 

De nous rappeler qu’en Iran, dans le monde, des femmes sont encore, aujourd’hui, chaque jour, entravées, humiliées, battues, fracassées…

 

 

 

Pour toutes ces femmes je veux me lever, 

pour toutes ces femmes cette littérature doit exister, 

pour toutes ces femmes il faut continuer à lire les témoignage, à écrire

 pour toutes ces femmes il faut élever nos fils, continuer d’avancer et de garder l’espoir fou qu’un jour plus aucune ne sera brisée, privée de liberté, juste parce qu’elle est un être sans pénis.


Grasset, 225 pages. 2021




lundi 29 mars 2021

"Kerozene" de Adeline Dieudonné

 


Un soir d’été dans une station-service au bord de l’autoroute, 14 âmes se croisent, dont un cheval et sans compter le cadavre dans un coffre…

Ce roman va nous faire découvrir chacun d'eux, un petit bout de leur vie et comment ils sont arrivés là. 

Ce sont presque des petites nouvelles qui se croisent, certaines plus en lien que d’autres. 

 

 

Ces personnages sont poussés à l’extrême, l’autrice n’a aucune compassion pour eux, et tous ont une espèce de forme d’inhumanité en eux, que ce soit par faiblesse, par force, par folie ou par victimisation. 

Le style est incisif, net, concis, mordant, presque chirurgical et à mon sens encore plus poussé que son premier roman. 

 

 

Ce récit m’a fait penser à Ravey et Echenoz qui sont des maitres dans ce genre.

C’est cocasse et cruel.

Les travers sont poussés à l’extrême. 

 

 

Une lecture qui sort de l’ordinaire et que j’ai vraiment apprécié.

Certains personnages m’ont particulièrement marquée sans pour autant que je les trouve attachants, disons que c’est plutôt leur étrangeté ou leur histoire, notamment celle de Victoire, Monica, Juliette (et surtout son époux), Chelly, Julie et ses beaux-parents très atteints, et le cheval Red Apple qui est finalement celui qui m’a le plus touchée. 

A mon sens à lire au second degré ! 😜

 

L'Iconoclaste, 258 pages. Avril 2021

lundi 22 mars 2021

❤️❤️❤️ "L'homme-chevreuil, sept ans de vie sauvage" de Geoffroy Delorme

 




Un enchainement de bonnes lectures, très différentes cela dit. 


Cette fois je me suis plongée dans une forêt de Normandie, j’ai suivi ce jeune homme qui a décidé de vivre auprès de ses amis les chevreuils. 

Un récit qui ne me semblait pas du tout être mon genre de lecture, et pourtant, quel délice, quel bonheur de découvrir la vie sauvage de nos forêts, de regarder les chevreuils et d’apprendre leurs habitudes, découvrir leur intelligence et leur capacité d’adaptation, d’observation et de résilience. 

 

 

J’ai aimé m’engouffrer dans la forêt, apprendre le nom des plantes, comment se nourrir, survivre dans la nature, mais ce que j’ai aimé le plus ce sont les histoires de rencontres et d’échanges, oui vraiment d’échanges, avec ces chevreuils qui tous portent le nom que leur a donné Geoffroy Delorme. 

 

 

C’est aussi un appel, un cri du cœur, car nous détruisons nos forêts, et avec, l’habitat et la source d’alimentation de nombreuses espèces qui vivent en paix. Il est temps de s’arrêter, d’observer, de comprendre et de RESPECTER ! 

 

 

Un récit hors norme, une vraie histoire d’amitié.

Un livre passionnant, émouvant et drôle.

N’attendez plus, lisez-le !!! 

Les Arènes, 252 pages. Février 2021

"Ce manque de considération des forestiers pour la forêt et ses habitants me désole profondément. Une forêt, c'est avant tout une communauté d'arbres qui accueille d'autres communautés végétales et animales. Lorsque l'équilibre sylvestre est ébranlé, ce sont toutes les communautés qui sont fragilisées. La forêt, c'est le reflet de la vie : complexe, mystérieuse, changeante. Elle offre à ses habitants ressources, protection, ombrage, réconfort, beauté et, surtout, elle est d'une grande importance biologique. Je peux vivre avec les chevreuils et les autres animaux sauvages non pas parce que j'applique une science mais parce que j'ai pénétré leurs secrets en comprenant l'une des oeuvres les plus magnifiques de la nature : la forêt. On n'apprend pas une langue en traduisant mot à mot. On apprend une langue grâce à la subtilité de son langage, au mode de vie des habitants du pays la parlent, sans rien comparer à ce que l'on connaît de sa propre langue. J'ai la chance de vivre avec les animaux sauvages, car je ne traduis pas la nature, je la parle.

samedi 20 mars 2021

❤️❤️❤️ "Viendra le temps du feu" de Wendy Delorme

 



J’ai de la chance en ce moment, encore un énorme coup de cœur pour ce livre qui m’avait attiré avec sa superbe couverture (peinture de @Karine Rougier). 

 

 

C’est un pays totalitaire où depuis que le Pacte National a été signé plus aucun civil ne peut passer la frontière, si tu pars tu ne reviens plus. 

L’argent n’a plus cours ; la population dispose d’avoirs pour le logement, la nourriture, l’accès à l’eau potable, les vêtements, les divertissements, en fonction de la contribution que l’on apporte (production/reproduction). 

C’est un pays où les livres n’existent plus, les médias sont sous contrôle, la mémoire numérique a été effacée, la police veille.

Le monde ancien n’est plus, le sud est dévasté par la sécheresse, le nord par la montée des eaux, les mers sont acides et la pollution est à son paroxysme. Alors pour continuer à vivre dans son petit Eden ce pays garde ses frontières, farouchement, férocement. 

 

 

Ce sont des voix qui nous racontent, des voix de femmes, mais aussi un homme. 

Des voix qui se rebellent, des voix qui luttent, des voix qui veulent retrouver la liberté. 

Eve, Louise, Rosa, Grâce, Raphaël…et tous ceux que l’on n’entend pas.

Ils veulent vivre, libres ; libres d’être qui ils sont, libres d’aimer qui ils veulent, libres d’écrire, de lire, de rêver, libres de vivre.

 

Un livre fortement engagé, qui reprend toutes les thématiques brûlantes actuelles notamment autour du changement climatique, de la montée des extrêmes, des migrants mais aussi de la différence, du rejet de l’autre, des corps, des sexes, de l’amour.

 

 

Une dystopie pleine de poésie, d’amour et de rage, une histoire de sororité et de partage, un livre éblouissant, à lire, à réfléchir, à partager !!

 

 

            « Et j’ai compris alors ce qu’il voulait me dire. Je ne l’ai jamais vu mais je sais son histoire, celle des hommes comme lui. Nous la connaissons tous, nous qui vivons ici, même ceux qui comme moi n’ont jamais vu l’ailleurs. Il est né quelque part où l’on meurt de soif, de faim, ou par les armes, a traversé la mer et d’autres terres encore, puis le fleuve de nuit, ou bien la montagne. Il a dû tout laisser, ou on lui a tout pris. Il n’a plus que son corps, les vêtements qu’il porte, ses souvenirs, sa vie. Le reste a disparu. Je revois son regard, il avait cet air las de qui a cru pouvoir nouer contact humain.» 

 

 

            « Les outils du langage viennent fixer ce qu’ils peuvent de l’expérience humaine. Souvent, c’est moins le sens des mots qui rend pleinement ce qu’ils tentent de décrire, que le rythme qu’ils prennent à l’oreille qui entend, sans même qu’on les prononce. Car les mots qu’on écrit présentent ceci d’étrange qu’ils s’égrènent en musique résonnant seulement pour l’être qui les lit. Et c’est cette musique silencieuse et secrète qui dessine le mieux la forme de ce qu’ils disent. »

 

 

            « Il n’ya pas d’ailleurs. Nulle part où se rendre. Notre espèce prisonnière d’une planète moribonde, et qui espère survivre juste un peu plus longtemps, me donnait la nausée. »

 

 

          « La librairie : lieu dédié aux livres, où on peut les feuilleter, en faire l’acquisition pour les emmener chez soi, les adopter comme siens, écrire dans les marges, en souligner des phrases, les relire quand on veut, en faire la lecture à la personne aimée, les prêter, les donner. N’importe quel livre. »

 

 

            « Les Autres ne discutent pas les cadres de perception qu’on leur a inculqués. Ne cherchent pas d’ailleurs. Ils n’ont jamais dû fuir. Ils ne s’inquiètent pas de trouver la justesse, quérir la vérité. Ce sont tous ceux qui laissent l’histoire s’effacer, qui veulent oublier, ou refusent de voir, ou bien ne sont jamais venus jusqu’à l’idée que le présent n’est pas un donné, état de fait, mais bien la conséquence d’une longue chaîne d’actions, de discours, d’évènements. Que rien ne va de soi, rien n’est évident, et rien ne devrait rester inquestionné. Ils pratiquent le mépris de manière si usuelle qu’ils ne le voient même plus, ou bien ils pensent vraiment que certaines vies humaines valent mieux que d’autres. Ils se sont mutilés de leurs organes psychiques, et leur champ d’empathie se restreint à leurs seuls semblables identiques. Ils se pensent au centre et organisent le monde de manière concentrique, ravalant au néant toute manière d’exister qui n’est pas sous leur dogme, pourchassant tous les êtres ayant commis le crime de venir d’ailleurs, ou bien de s’excentrer en pensant autrement. Ils s’approprient la terre pour piller les ressources d’autres peuples du monde en les laissant exsangues, repoussant par la suite hors de leurs frontières les exilés venus des régions dévastées. »

 

Cambourakis, 265 pages. Mars 2021

samedi 13 mars 2021

❤️❤️ " Vers les étoiles" de Mary Robinette Kowal

 


Un coup de cœur tout à fait inattendu avec ce livre lu suite à une très forte recommandation d’un client, une fois n’est pas coutume !

Cette uchronie m’a sortie de ma zone de confort et ce ne fut que du plaisir !

 

Nous sommes en 1952 aux États-Unis, une météorite traverse l’atmosphère et s’écrase au large de Washington DC provoquant des dégâts considérables, dont la destruction totale de la capitale.

Elma, notre héroïne, se trouvait fort heureusement avec son mari dans les Appalaches et a donc échappé à une mort certaine. Tous les deux sont d’éminents scientifiques et comprennent rapidement ce qu’il vient de se produire ; la lumière intense, suivie de peu d’un séisme les font rapidement fuir l’onde de choc qui se prépare.

 

Elma, génie mathématique, a fait partie des WASPS au cours de la seconde guerre mondiale, elle est une pilote émérite ; quant à Nathaniel son époux il est ingénieur spatial, spécialiste des fusées.

Elma est une femme forte, très intelligente mais aussi timide, anxieuse, et ces fêlures nous la rendent d’autant plus attachante. Quant à Nathaniel, son mari, il est très présent et compréhensif ce qui détonne dans l’environnement machiste qui règne.

 

Grâce à ses calculs et aux réponses de son frère météorologue, Elma comprend rapidement que les conséquences liées à la chute de la météorite seront plus graves qu’il n’y paraît.

Après qu’elle ait enfin pu convaincre le président de l’urgence de la situation, le gouvernement décide de mettre en place un programme de colonisation de l’espace. Et bien sûr Elma veut en être !!!

 

L’autrice réussit brillamment à nous plonger dans l’ambiance un peu désuète des années 50 aux USA, une époque où le racisme est encore hyper prégnant et la place de la femme derrière les fourneaux.

Elle réussit aussi et surtout à vulgariser la part scientifique de l’histoire qui aurait pu être rébarbative et incompréhensible.

Mary Robinette nous livre une histoire hautement féministe, avec des femmes qui ne renient pas leur part féminine tout en voulant être à la même place que les hommes et notamment dans la conquête de l’univers, et elles vont se battre, tout faire pour y arriver. 

 

Un roman qui m’a emportée, un peu plus près des étoiles, dans un genre que je ne pensais pas pouvoir apprécier, je suis partie en voyage dans le temps, et dans l’espace, un moment de lecture intense et jubilatoire, une belle surprise ! et un roman parfait pour le mois de #marsaufeminin. 


Denoël, 546 pages. 2020

Traduction de Patrick Imbert.

 


jeudi 11 mars 2021

"Jolies filles" de Robert Bryndza

 


Le corps d’une jeune et jolie femme est retrouvé très salement blessé dans une poubelle.

Erika Foster, qui ne travaille plus aux homicides, se trouvait avec son amant appelé sur la scène du crime, et bien entendu elle ne peut s’empêcher de vouloir à tout prix travailler sur cette enquête.

Rapidement elle réussit à faire le lien avec le corps d’une autre jeune femme retrouvé plusieurs mois auparavant, lui aussi dans une poubelle et lacéré.

À chaque fois les jeunes femmes ont disparu plusieurs jours avant d’être retrouvées, où étaient-elles tous ces jours, que leur est-il arrivé ? Pourquoi ces traces de coups et ces coupures partout. 

Un mode opératoire se dessine peu à peu sur la manière dont elles ont été enlevées…

 

 

Plaisir de retrouver Erika, notre détective chouchou, plaisir de se plonger dans un roman policier qui fait bien son job, pour moi en tout cas, détente et délice de lecture. 

Ces romans sont toujours une parenthèse récréative entre d’autres lectures parfois plus exigeantes.

 

 

On est rapidement pris dans l’enquête, les détails, les indices, et bien sur les erreurs du tortionnaire. Même si une petite facilité m’a fait sourciller au cours de l’enquête, ça ne me dérange pas plus que ça, on est dans un roman et je ne recherche que le plaisir de l’enchainement des actions et pensées, et parfois un peu de chance ne fait pas de mal à nos enquêteurs. 😉

Bref je valide !!


Belfond, 408 pages. 2021

dimanche 28 février 2021

❤️❤️❤️ "Arène" de Négar Djavadi

  


Benjamin Grossman vient des quartiers de l’est parisien, il a grandi seul avec sa maman mais aujourd’hui il compte parmi les têtes pensantes de la très grande firme BeCurrent qui diffuse des séries par centaines et touche des millions d’abonnés. Sa vie est régie par ce monstre imposant.

 

 

Un soir où il rend visite à sa mère, dans ce quartier populaire, il perd son portable…

Le lendemain circule sur tous les réseaux sociaux une vidéo montrant une flic bourrant de coups de pied le cadavre d’un adolescent sur le quai, près d’un camp de migrants.

De là toute une série d’actions s’enchainent et c’est le buzz, la révolte gronde, on ne cherche plus à savoir comment et pourquoi ce jeune garçon est mort mais comment punir la policière et tout ce qu’elle représente.

 

On suit plusieurs personnages comme des atomes qui virevoltent dans tous les sens et finissent par se télescoper. On ne peut s’empêcher de penser aux battements d’ailes du papillon qui provoquent un cyclone de l’autre côté de la planète, ici les agissements des uns et des autres sont très bien représentés dans ce qu’ils provoquent, dans leurs conséquences. 

 

 

L’analyse des caractères est très fine, intelligemment construite. Les séquences s’enchainent de manière fluides, judicieuses ; on est happé, pris dans les filets de cette histoire. 

 

 

C’est un roman percutant, dense, hyper intéressant ; il y a beaucoup de références, beaucoup d’avis et d'allusions. Plusieurs sujets sont abordés, parfois juste sur quelques lignes, mais c’est là, et c’est bien dit.

J'ai notamment aimé le passage sur les médicaments, l'alcool et les joints, j'ai aimé les passages sur la ville de Paris avec un peu d'histoire et de découverte, j'ai aimé la plongée dans ce milieu ultra moderne et hypocrite de la grande entreprise américaine où il y a beaucoup de paraitre, on y parle de flics, de voyous, mais aussi de gens simples qui voudraient juste vivre leur vie, et bien sur il y a l'islam, la politique, les migrants venus de pays en guerre mais aussi plus loin dans le temps venus de Chine. Chacun chercher à tirer l'épingle de ce jeu de dupe.

Et le plus gros de l'affaire tout de même, les réseaux sociaux, on y revient encore et encore, mais cette donnée a changé toutes les règles du jeu depuis plusieurs années, et ce à tous les niveaux. 


J’ai adoré ce roman, j’ai encore du mal à sortir les personnages de ma tête, et pourtant certains sont lâches, d’autres sont écœurants, mais beaucoup sont tout simplement humains.

Un roman à mettre dans toutes les mains, à lire absolument. 



Liana Levi, 426 pages. 2020 

 


mardi 9 février 2021

"Le Passeur" de Stéphanie Coste

 



Ce premier roman est une plongée folle dans la vie d’un passeur, un passeur d’hommes et de femmes qui fuient leur quotidien pour un monde meilleur, sans savoir qu’ils se jettent dans la gueule du loup et surtout de tous ceux qui veulent profiter de cette manne.

 

 

Seyoum est passeur à Zouara en Libye, juste en face de l’île de Lampedusa, il fait commerce du malheur des autres pour s’enrichir outrageusement au péril de la vie de ses hommes et de ses femmes.

Après une traversée du désert difficile où ils ont dû subir la chaleur, la soif, l’enfermement, la promiscuité et parfois l’enlèvement et la torture, ces hommes et ces femmes doivent affronter la mer, dans des petits rafiots surchargés, sans certitude d’arriver de l’autre côté et d’y trouver une vie meilleure. 

 

 

Mais qui est Seyoum ? D’où vient-il ? Pourquoi son cœur est-il si dur qu’il puisse faire autant de mal, car il sait, il sait d’où viennent ces gens et par quoi ils sont passés, il sait leur vulnérabilité et leur désespoir, il sait l’état des bateaux et les risques encourus…

 

 

Ce roman court est intense, percutant, d’une grande intelligence. On observe, on assiste, il n’y a pas de jugement. 

Lorsque l’on ferme ce livre, les questions affluent, et encore une fois on constate que le monde n’est pas binaire, mais plein de nuances, rien n’est simple. 

 

 

Une autrice à découvrir et à suivre, j’ai été conquise par son style, on oublie que derrière ce texte une femme blanche écrit.

 

 

Gallimard, 129 pages. Janvier 2021



samedi 30 janvier 2021

♥️♥️♥️ "Le silence d'Isra" de Etaf Rum

 


Gros gros coup de coeur pour ce premier roman sorti il y a tout juste un an.

1990, Isra vit en Palestine, elle a 17 ans et selon les us et coutumes de son pays ses parents lui cherchent un époux, seulement Isra aime lire, et elle voudrait connaitre l'amour, la vie des romans, l'indépendance... 
Elle sera finalement mariée à Adam venu chercher une femme au pays, et repartira avec lui et sa famille à Brooklyn aux États-Unis où ils vivent tous ensemble. 
Isra va peu à peu découvrir sa vraie condition de femme, elle vit dans une petite chambre sans fenêtre, son époux est absent..., elle doit s'occuper du ménage et de la cuisine avec sa belle-mère légèrement tyrannique, et bientôt Isra aura des enfants, car il lui faut impérativement "offrir" un fils à son mari et sa belle-famille pour assurer la descendance, les filles sont un poids, une charge.

2008, Deya est la fille ainée d'Isra, elle vit à Brooklyn chez ses grands-parents et pour elle aussi le temps du mariage est venu, mais comme sa mère avant elle, Deya ne veut pas en entendre parler, elle veut aller à l'université, elle veut travailler et être libre. Elle ne veut pas de cette vie là.
Des secrets vont refaire surface et pour Deya il faudra enfin faire des choix, prendre sa vie en mains ou se laisser faire et porter par la tradition d'un pays qu'elle ne connaît même pas.

C'est un hommage vibrant à ces femmes qui doivent se battre au quotidien pour leur survie ou simplement se taire et subir. Ce texte trouve d'autant plus sa place à une époque où l'on parle (enfin) de plus en plus des femmes battues et assassinées par leur époux/conjoint/ex. 
Pour Isra à la difficulté d'avoir quitté son pays et sa famille s'ajoutent la soumission que lui demande et impose sa belle-famille. Et pourtant il y a cette petite belle-soeur, Sarah, née en Amérique et qui elle se rebelle et ne veut pas finir comme sa mère ou ses belles-soeurs, elle veut elle-aussi pouvoir étudier, vivre sa vie de femme, décider pour elle-même.

C'est un livre magnifiquement écrit (et traduit), sans tomber dans le morbide et le pathos Etaf Rum nous raconte cette histoire de femmes. Celles qui subissent et ont accepté et celles, plus jeunes, qui ont découvert grâce notamment à la littérature, qu'une autre vie était possible, que l'on pouvait aimer et être aimé, que l'on pouvait être respectée, elles découvrent qu'une femme peut étudier, travailler, décider.
La religion n'est pas tant que ça mise en cause dans cette situation, on réalise qu'il s'agit plus ici de coutumes et de traditions, c'est tellement plus facile pour un homme de faire régner son pouvoir dans sa maison quand la femme n'a aucune éducation, et qu'elle croit n'être née que pour le satisfaire, sur tous les plans. 

Ces personnages de femmes sont toutes tellement attachantes, malgré tout elles ont chacune à leur façon une force incroyable, y compris l'odieuse belle-mère qui finalement n'a trouvé d'autre moyen de survivre qu'en se pliant aux traditions, mais elle aussi a eu son lot de souffrance et de malheur. 

Et puis derrière tout ça se cache aussi les conditions de ses palestiniens qui ont été chassés de chez eux, qui ont tout perdu pour se retrouver à vivre dans des camps de réfugiés aux conditions plus que précaires.
Sans jugement l'auteur expose les faits, les histoires, à nous de nous faire notre idée.

Oui les filles doivent être instruites, doivent aller à l'école et lire, lire, lire, pour découvrir, apprendre, s'évader, s'autoriser le choix et la décision. 
Non elles ne sont pas un poids, mais bien l'avenir de notre humanité.

"Ce n'est pas comme ça que ça marche, Sarah, murmura Isra. Il n'y a pas de gouvernement en Palestine. C'est un pays occupé. On n'a personne vers qui se tourner. Et quand bien même il y aurait une police, quand bien même tu voudrais porter plainte auprès des agents de police, ceux-ci te traîneraient immédiatement jusque chez toi, et ton mari te battrait encore plus fort pour être allée te plaindre."
Les Éditions de l'Observatoire, 430 pages. Janvier 2020
Traduction de Diniz Galhos

dimanche 24 janvier 2021

♥️♥️♥️ "Le démon de la colline aux loups" de Dimitri Rouchon-Borie.

 



Touchée en plein coeur par ce premier roman d'une justesse infinie.

Du fond de sa prison un homme (dont le prénom n'est découvert que tard dans la lecture) nous raconte son histoire, depuis le commencement, depuis son premier souvenir.
En tout simplicité et humilité il se livre, pour expliquer, pour demander pardon, pour (se) comprendre. 
Il nous raconte l'horreur, et l'arrivée du démon, et comment il a essayé de vivre avec.


C'est un livre très exigeant, tant sur le fond que sur la forme. 
Certains passages, notamment au début du livre, sont d'une violence inouïe, difficiles à lire, mais essentiels pour la compréhension de l'histoire, de l'évolution de cet enfant.  
La forme choisie, le ton, ne sont pas non plus aisés, mais une fois qu'on en est imprégné, c'est d'une évidence absolue. 
Ce sujet et cette forme d'écriture aurait vraiment pu être "casse-gueule" mais l'auteur est brillant, et la forme est tellement parfaite pour le texte qu'il sert, l'écriture est maitrisée, infiniment. 
Il n'y a pas d'erreur. 

Je me suis tant attachée à ce personnage, à Duke ; je l'imaginais penché sur sa machine à écrire, tapant sur les touches, tournant en rond dans sa cellule, souffrant de ses souvenirs, de sa culpabilité. 
J'ai imaginé cet enfant, dans cette maison, dans son nid, cherchant le calme et la protection. 
Depuis que j'ai tourné la dernière page je continue de penser à lui, chaque jour ; j'aimerai le voir, le prendre dans mes bras et lui donner toute mon affection.

Ce roman est un coup de poing dans l'estomac, il vous retourne, et vous chamboule.
Parce que malgré tout, il m'en reste de la lumière, il m'en reste un coeur rempli d'amour, de tendresse, il me reste de l'espoir.
Cet homme, capable d'une résilience incroyable, est une leçon de vie, une leçon d'espérance.

Ce premier roman (incroyable !) est touchant, attachant, envoûtant.
Il fera parti des quelques rares livres pour lesquels je pourrai me battre sans fin, ces livres que je veux garder près de moi et qui resteront nichés au fond de mon coeur. 

"Mon père disait ça se passe toujours comme à la Colline aux Loups et ça s'était passé comme ça pour lui et pour nous aussi. Maintenant je sais que ça s'est arrêté pour de bon. La Colline aux Loups c'est là que j'ai grandi et c'est ça quelle vais vous raconter. Même si c'est pas une belle histoire c'est la mienne c'est comme ça. La Colline aux Loups j'aime pas en parler d'habitude. Le Démon est né là et c'est là qu'il m'a pris. Mais si je devais taire tout ça à jamais j'aurais l'impression qu'il a volé mon âme pour de bon et bien plus encore mon histoire. J'espère que vous saurez vous montrer miséricordieux ou quelque chose comme ça parce que j'ai un parlement qui est à moi et pendant tout ce temps ces mots c'était ma façon d'être moi et pas un autre. Et comme j'ai pas fait l'école longtemps à cause du père, du Démon, de la mère et des autres, il manque des cases dans mon entendement des choses. À qui j'écris ce journal alors je ne sais pas. Peut-être à moi-même et à celui que j'étais avant le Démon."  

Le Tripode, 237 pages. Janvier 202.


jeudi 21 janvier 2021

"Le mal-épris" de Bénédicte Soymier




 Il n’est pas sans me rappeler le roman d’Alma Brami « Qui ne dit mot consent », j’ai ressenti par moment la même nausée devant la psychologie de ce personnage instable, malheureux mais violent et malfaisant pour son entourage.

Une fois n’est pas coutume ce roman nous plonge dans la tête et dans la vie d’un homme mal-heureux, mal-mené et donc mal-épris. Il n’est pas question de s’attacher ou de pardonner ce que son mal-être lui fait faire ou le pousse à être, mais peut-être essayer de voir la douleur derrière tout ça, sans pour autant comprendre ou accepter, en tout cas pas pour moi. Peut-être qu’un homme ne nait pas avec le mal, qu’en grandissant mal-aimé, mal-traité il devient le mal tout court. 

 

Paul est laid, il a un travail ennuyeux et routinier à la poste, il est seul, blessé et malheureux. Paul aime le beau, il est envieux et jaloux et veut par-dessus tout se faire aimer. 

Après une violente déception il jette son dévolu sur Angélique, une jeune femme qui élève seule son enfant, elle est joyeuse, vivante et plutôt de nature heureuse malgré les difficultés que la vie a mis sur sa route.

Pourtant Paul va se laisser déborder par ses vieux démons, il ne comprend rien et voit le mal partout, il ira loin, trop loin. 

 

C’est une lecture sous haute tension, un huis clos avec cet homme qui dégoute ; c’est écœurant, nauséabond, mais mené d’une main de maitre. L’écriture est nerveuse, profonde, elle nous englue dans le système de cet homme, dans son quotidien sordide dont on voudrait vite sortir. 

Mon petit bémol est que j’ai trouvé la première partie un peu trop longue, je crois que je n’en pouvais plus du nombrilisme de Paul, cela dit c’est peut-être aussi ce qui caractérise tellement ce personnage, en revanche une fois que Paul rencontre Angélique le récit s’accélère et notre empathie étant enfin stimulée, on se jette à corps perdu.

Un premier roman réussit, qui ne lâche rien, nous pousse au bout de nos retranchements., C’est fort, violent, intense. 

Calmann-Levy, 336 pages. Janvier 2021

jeudi 14 janvier 2021

"La familia grande" de Camille Kouchner

 



Je ne voulais pas lire ce livre, j’ai honte, mais je me suis dit ENCORE, 

et puis finalement ça veut dire quoi ENCORE, 

ça veut dire qu’il y a combien de voix qui se taisent ENCORE,

combien d’adultes qui profitent de leur ascendance ENCORE, 

combien d’enfants que l’on détruit ENCORE, 

combien d’autres qui savent et se taisent, acceptent et font avec ENCORE, 

quand va-t-on pouvoir enfin ne plus dire, ENCORE ?

 

 

Camille se raconte, la relation avec sa mère d’abord, cette vie dissolue, ces fêtes, ces amis, cette mère qu’elle aime tant, et ce beau-père aussi, elle l’aime, il est un père pour elle, Camille raconte cette hydre, ce serpent qui la mord, 

Camille raconte cette famille de suicidés, cette famille où le mot Liberté prend un sens si différent, qu’on n’en voudrait presque pas, de cette liberté. C’est une liberté qui empêche, une liberté qui emprisonne. 

Camille raconte le secret de son frère, l’emprise du beau-père sur lui, mais sur elle aussi, cette emprise qui bouleverse toute sa vie. 

Il n’y a ni misérabilisme ni voyeurisme, simplement des faits, des ressentis, des émotions.

 

 

Ce texte est essentiel pour ce qu’il raconte ENCORE, essentiel car il est bourré de sincérité, essentiel car il n’est pas sale, essentiel pour que les paroles se libèrent, essentiel pour que tout ça s’arrête ENFIN.

 

 

J’écris, ma lecture à peine terminée, à chaud, je le fais si rarement, quand un texte m’a profondément bouleversé par son sujet, par ses mots, par sa simplicité, sa franchise, son courage.

 

 

Alors oui il faut lire ce texte, il faut le partager, il faut soutenir ces enfants devenus grands, les regarder droit dans les yeux sans les stigmatiser, car ils sont avant tout des hommes et des femmes, avec une blessure, mais la honte doit être sur les autres, ceux qui attaquent et ceux qui se taisent, ce sont eux que plus personne ne devrait regarder.

 

 

« Ce livre m’a permise d’être en colère contre ma mère et de l’aimer immensément », les mots de Camille Kouchner sont d’une telle puissance et d’une telle simplicité.


Seuil, 204 pages. Janvier 2021

dimanche 10 janvier 2021

♥️♥️♥️ "Peau d'Homme" de Hubert et Zanzim

 



Bianca est promise à Giovanni, un jeune homme qu’elle ne connaît pas. Elle n’est pas contre l’idée mais aimerait tant pouvoir faire connaissance avec son futur mari avant la noce. 

C’est l’Italie de la Renaissance et la jeune fille n’a pas vraiment son mot à dire. D’autant plus qu’au même moment son frère, ecclésiastique ultra-traditionaliste, décide de mater la population de la ville beaucoup trop versée dans le péché selon ses préceptes à lui. 

Et tandis que le jeune fou instaure peu à peu une véritable Inquisition, Bianca, elle, découvre une peau d’Homme que sa marraine lui confie.

C’est ainsi qu’en revêtant cette peau elle se transforme en Lorenzo et part à la rencontre de la ville, du monde des hommes et surtout de Giovanni.

Bianca va trouver un plaisir immense et intense dans la peau de Lorenzo, elle va aussi et surtout découvrir l’amour, ses contraintes et ses difficultés dans un monde fermé à la différence.

 

 

Un joli conte qui nous ouvre de nouvelles portes. 

Une jeune fille à l’esprit large et ouvert, la sexualité vue sous un angle nouveau et audacieux, la répression religieuse (encore et toujours)…

Bianca est curieuse, bienveillante, et tellement moderne. Giovanni un peu pédant au départ nous montre toute sa sensibilité, il se dévoile au contact de Lorenzo comme un homme attentif, attentionné mais surtout blessé et perdu. 

 

 

 

Les couleurs chatoyantes ajoutées à la finesse du dessin nous offrent un graphisme absolument magnifique ce qui ajoute encore plus de plaisir à la lecture de cette œuvre. 

Franchement elle n'est pas canon cette couverture, elle donne envie d'avoir l'album juste pour la mettre en valeur.

 

 

 

Je poursuis la découverte des romans graphiques et je dois dire que je ne suis pas déçue ! 


Glénat, 160 pages. Juin 2020