vendredi 10 février 2017

"Le fracas du temps" de Julian Barnes



Dans ce livre 3 parties, 3 "moments" de la vie de Chostakovitch où il se livre en se remémorant des passages de sa vie, 3 dates majeures qui ont eu des conséquences importantes.
Un roman comme une autobiographie de ce compositeur russe qui a vécu Staline et la Grande Terreur, la seconde guerre mondiale, le jdanovisme artistique, la mort de Staline, l'arrivée de Khrouchtchev, une vie pas toujours facile.


Trois années bissextiles, trois années où le Pouvoir s'en est pris à lui, trois conversations avec le Pouvoir, trois fois où il n'a rien dit, n'a pas élevé le son de sa voix, n'a pas dit ses véritables pensées :
1936, après trois années de vif succès son opéra "Lady Macbeth du district de Mtsensk" se voit banni par Staline qui accompagné de Jdanov n'a pas du tout aimé cet opéra ; un article terrible le condamne dès le lendemain dans la Pravda. C'est ainsi qu'il va craindre pour sa vie et celle de sa famille et commencer à avoir des pensées suicidaires. Il ne devra son salut qu'à un "gentil" coup du sort qui fera que son "interrogateur" sera lui-même arrêté et fusillé... mais sa musique cesse d'être jouée.
1948, malgré un retour en grâce il va souffrir du jdanovisme artistique et sera à nouveau critiqué et censuré. Il est envoyé par Staline aux USA lors d'un congrès pour la paix, où il devra dire des discours qu'on lui a écrit et où il sera violemment pris à parti par Nabokov exilé russe. Au cours de cet échange avec ce compositeur qu'il adore il s'entendra lui dire qu'il est en total accord avec le Parti, et ira même jusqu'à autocritiquer sa musique....  Peur, lâcheté, difficile de savoir, difficile de juger.
1960, dernière épisode où malgré la mort de Staline et un début d'apaisement, Chostakovitch se voit obligé de s'encarter, alors qu'il avait toujours refusé d'adhérer à un parti qui tue.
"Il eut l'impression de manquer subitement d'air. Comment, pourquoi n'avait-il pas vu cela venir ? Pendant toutes ces années de terreur, il avait pu dire qu'au moins il n'avait jamais essayé de rendre les choses plus faciles pour lui-même en devenant un membre du Parti. Et voilà que, finalement, après que la grande peur eut pris fin, ils venaient lui prendre son âme."
"- Oui, répondit Pospelov sur un ton apaisant, je vois que cela peut sembler être une difficulté... Mais permettez-moi de vous parler comme un homme pragmatique à un autre. La meilleure façon, la plus sûre façon, de voir votre opéra représenté est d'adhérer au Parti. Il faut donner quelque chose pour obtenir quelque chose dans ce monde."
"Et donc, il retourna à Moscou et lu publiquement une autre déclaration préparée, qui lui faisait dire qu'il avait demandé à adhérer au Parti et que sa requête avait été acceptée. Il semblait que le pouvoir soviétique eût finalement décidé de l'aimer - et il n'avait jamais senti plus poisseuse étreinte." 
 "Mais il y avait pire que ça, bien pire. Il avait signé une lettre publique infecte contre Soljenitsyne, alors qu'il admirait le romancier et le relisait souvent. Et, quelques années plus tard, une autre lettre infecte dénonçant Sakharov. Sa signature apparaissait à côté de celles de Khatchatourian, de Kabalevski et, naturellement, de Khrennikov. Une partie de lui-même espérait que personne ne croirait - ne pourrait croire -  qu'il souscrivait réellement à ce que disaient ces lettres. Mais des gens le croyaient. Des amis et des collègues musiciens refusaient de lui serrer la main, lui tournaient le dos. Il y a des limites à l'ironie : on ne peut pas signer des lettres en se pinçant le nez ou en croisant les doigts derrière son dos en espérant que les autres devineront qu'on ne le fait pas sincèrement. Et donc il avait trahi Tchekhov, en signant des dénonciations. Il s'était trahi lui-même, et il avait trahi la bonne opinion que d'autres avaient encore de lui. Il avait vécu trop longtemps."

"La ligne de lâcheté dans sa vie était la seule chose droite et vraie." 

Un livre perturbant, le chemin de cet homme amène beaucoup de questions.
Est-il un lâche ? La peur justifie-t-elle tout ? Qu'aurions-nous fait à sa place ?
Impossible de savoir, impossible de juger
mais perturbant.
On lit souvent des romans de héros, de résistants et on les admire, mais que penser lorsqu'il s'agit juste de quelqu'un qui a peur ?
J'ai eu le même sentiment que lors de la lecture du passage de l'Évangile où Jésus dit à ses apôtres qu'il sera renié trois fois avant l'aube et qu'ensuite Pierre s'entend le faire... même sentiment...

Mon bémol est le style de Julian Barnes avec lequel je n'accroche décidément pas, rien à voir avec le livre, le sujet, ou la qualité de l'écriture. Nous ne nous sommes juste pas rencontrés... ça arrive.

Lu via la "bibliothèque orange".



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire