mercredi 3 mai 2017

"Règne animal" de Jean-Baptiste Del Amo


De la fin du XIXème siècle aux années 1980 l'histoire d'une famille et de sa ferme dans le Sud-Ouest de la France ; famille et ferme qui traversent les deux guerres, ainsi que la révolution industrielle avec la modernisation de l'agriculture et notamment de l'élevage, ici de porc.

Dans cette petite ferme vivent côte à côte la génitrice, le père et la fille Éléonore. Simplement avec le terme génitrice tout est dit sur les relations que peuvent entretenir la mère et la fille. Le père lui est souffreteux, faible, il est bientôt contraint de demander de l'aide à un neveu, c'est Marcel qui viendra vivre avec eux.
Il y a quelques vaches, des cochons, des poules, des lapins et les champs ; beaucoup de travail à une époque où la modernité n'en est qu'à ses débuts. On vit sans l'eau courante, sur un sol en terre battue, les dents sont sales, l'haleine lourde.
L'atmosphère est pesante, oppressante, peu de parole, peu de reconnaissance et visiblement peu d'amour.
Puis nous passons aux années 80, la famille s'est agrandie et surtout la ferme est devenue une exploitation d'élevage porcin intensif. Éléonore est toujours présente - l'aïeule mémoire de la famille ; c'est son fils Henri qui a repris l'exploitation et l'a fait s'accroître, il est aidé par ses deux fils Serge et Joël. Il y a aussi dans la maison Catherine et Gabrielle, et les enfants, Marie-Julie, Jérôme ainsi que les jumeaux Pierre et Thomas.

Jean-Baptiste Del Amo nous décrit une ambiance "hyperréaliste", c'est suffocant, l'air est poisseux, collant, tout y est de la violence quotidienne, dans les relations humaines et avec les animaux.

Oui, il y a un message sur le mal que l'on fait aux animaux dans l'hyperproduction, ce besoin de manger de la viande tant et plus, et aussi le besoin de faire de l'argent pour les producteurs, alors on oublie que ses animaux sont des êtres vivants qui ressentent la douleur et la souffrance.  Leur vie n'est qu'une longue torture jusqu'à l'abattoir.
Et puis il y a la violence de la campagne, du travail laborieux, ingrat, de la pauvreté, de l'inculture.
L'auteur n'y va pas avec le dos de la cuillère, âme sensible s'abstenir...
C'est cru, réel, violent, difficile, révulsant, mais j'ai aimé ce livre.
J'ai aimé le style, propre, soigné, tellement en opposition avec le propos, j'ai aimé "vivre" cette vie paysanne d'avant guerre, j'ai aimé comprendre ce que c'était que la (sur)production animalière.
C'est un roman, mais c'est aussi une trace d'histoire, une occasion de réflexion sur notre évolution passée et à venir.
"Le visage du père est un masque mortuaire affaissé sur les reliefs du crâne. La pièce est empuantie par une odeur de charogne et de transpiration aigre, les vapeurs de geôle et de soupe que l'on sert pour se réchauffer, les haleines que les gueules cariées et les estomacs ulcéreux ont recrachées tout le jour, ressassant le même air confiné dont le suint embue les vitres des fenêtres. Lorsqu'ils voient Éléonore passer enfin la porte, les veilleurs se taisent. L'enfant est immobile, échevelée, sa petite robe de deuil froissée, maculée de traînées de poussière, de brins de paille et de touffes de poils desquamées ; ses bras lacérés."

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