lundi 22 mai 2017

"Tropique de la violence" de Nathacha Appanah



"J'ai vingt-trois ans et le train arrive, bleu et sale. Je quitte la vallée de mon enfance où j'ai été une petite chose faible et perdue, écrasée par les montagnes. Je ne peux plus voir le noir de l'hiver dégouliner sur les maisons et les visages, je ne supporte plus l'odeur moisie dans l'air dès le matin, je ne supporte plus ma mère qui perd la tête, qui parle tout le temps et qui écoute Barbara à longueur de journée."

Ce n'est pas tout à fait le début du roman mais sur la première page.
Dès ce démarrage j'ai aimé le style d'écriture et tout de suite on est mis dans l'ambiance un peu glauque de ces vies que nous allons suivre dans ces petites îles de l'océan Indien.

Il s'agit donc de Marie, une blanche qui vit à Mayotte, elle va adopter Moïse, un enfant noir qui arrive des Comores. Moïse qui a un oeil vert et un oeil noir.
Et puis il y a Bruce, le chef de "Gaza" - un quartier défavorisé de Mamoudzou.
Olivier, un "flic", proche de la retraite qui se sent impuissant face à la montée de la violence.
Et Stéphane, le petit blanc qui arrive de la métropole pour faire un stage dans une ONG, il est là pour "aider" les jeunes dans les quartiers défavorisés...

Nathacha Appanah nous raconte leur vie en nous faisant entendre leurs voix, l'une après l'autre.

Mayotte est donc un territoire français, au milieu de l'océan Indien, il y a tous les immigrés des îles voisines qui voient un salut en débarquant sur cette île providence. Malheureusement... ce n'est pas toujours si facile, et le c'est ainsi que gonfle la population dans les bidonvilles, que gonfle le chiffre du chômage, que gonfle le bruit sourd de la révolte et de la violence.

C'est un livre dur, mais probablement très vrai. On s'accroche à nos petits personnages qui voient leur vie se déliter, s'enfoncer... On sent la "petitesse" de l'île, l'étroitesse, l'impossibilité de partir, de rêver...

"Je ne sais pas qui a surnommé ainsi le quartier défavorisé de Kaweni, à la lisière de Mamoudzou, mais il a visé juste. Gaza c'est un bidonville, c'est un ghetto, un dépotoir, un gouffre, une favela, c'est un immense camp de clandestins à ciel ouvert, c'est une énorme poubelle fumante que l'on voit de loin. Gaza c'est un no man's land violent où les bandes de gamins shootés au chimique font la loi. Gaza c'est Cape Town, c'est Calcutta, c'est Rio. Gaza c'est Mayotte, Gaza c'est la France."
"Oh, après tout, ce n'est peut-être qu'une vieille histoire, cent fois entendue, cent fois ressassée. L'histoire d'un pays qui brille de mille feux et que tout le monde veut rejoindre. Il y a des mots pour ça : eldorado, mirage, paradis, chimère, utopie, Lampedusa. C'est l'histoire de ces bateaux que l'on appelle kwassas kwassas, ailleurs barque ou pirogue ou navire, et qui existent depuis la nuit des temps pour faire traverser les hommes pour ou contre leur gré. C'est l'histoire de ces êtres humains qui se retrouvent sur ces bateaux et on leur a donné des ces noms à ces gens-là, depuis la nuit des temps : esclaves, engagés, pestiférés, bagnards, rapatriés, Juifs, boat people, réfugiés, sans-papiers, clandestins. Moi qu'est-ce que je raconte, moi, je ne suis qu'un flic qui applique la loi française sur une île oubliée. Devant le corps de Bruce, chef de bande de Gaza, tyran, voleur, voyou, j'ai gardé les yeux fermés et j'ai prié." 
"Je ne sais pas qui a baptisé ce quartier de Kaweni Gaza, je ne suis pas sûr de savoir où se trouve la vraie ville de Gaza mais je sais que ce n'est pas bon. Est-ce que  si cette personne avait baptisé ce quartier avec un nom doux, un nom sans guerre, un nom sans enfants morts, un nom comme Tahiti qui sent les fleurs, un nom comme Washington qui sent les grandes avenues et les gens en costume cravate, un nom comme Californie qui sent le soleil et les filles, est-ce que ça aurait changé le destin et l'esprit des gens ici ?"
"J'ai quatorze ans ou déjà quinze je ne sais plus. Quelle importance après tout puisque chaque jour est le même. La peur, la faim, la marche, le sommeil, la faim, la peur, la marche, le sommeil. Je mangeais ce que je trouvais, je me lavais quand je pouvais, je dormais sous les varangues, un oeil ouvert." 
 
 

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