"Car la lecture est un singulier dialogue qui ne rêve que de pluriel, celui du désir incandescent d'échanger, de partager et de confronter ses impressions de lecture, de les dire aux autres et au monde, un désir puissant de faire circuler les oeuvres et de donner aux mots aimés l'écho le plus long et le plus lointain possible" Manuel Hirbec pour "Page"
mercredi 21 juin 2017
"Peggy dans les phares" de Marie-Ève Lacasse
Dans ce premier roman Marie-Ève Lacasse nous emmène à la rencontre de Peggy Roche, mannequin et créatrice de mode, qui fut la maitresse cachée de Françoise Sagan pendant près de 20 ans.
Avant de devenir amante elles se sont croisées plusieurs fois et Peggy dès le premier regard tombe sous le charme de cette jolie blonde fragile et mystérieuse. Ainsi nous suivons la vie fantasque de ses deux femmes.
La construction du livre est un petit spéciale et parfois déroutante. Il y a des chapitres avec un narrateur, qui peut être n'importe qui voire Peggy, des chapitres où Peggy raconte, c'est sa voix que l'on écoute, et d'autres où c'est simplement un dialogue rapide et rythmée entre les deux femmes.
Le sujet est bien Peggy mais parfois on se pose tout de même la question car il est énormément question de Françoise Sagan, de sa "maladie", de la drogue, l'alcool et de ses amours.
Ce livre est intéressant, relativement facile à lire, j'ai appris deux-trois choses et il m'a tout de même donné une petite envie de lire Sagan (hormis "Bonjour tristesse" je n'ai pas encore poussé la découverte plus loin).
mercredi 14 juin 2017
"Le manteau de Proust" de Lorenza Foschini
Histoire d'une obsession littéraire
Ceci n'est pas un récit imaginaire. Tout ce que j'ai écrit s'est réellement passé, les personnages de cette histoire ont réellement existé. En la reconstituant, en lisant les documents, en approchant au plus près ceux qui l'ont vécue, j'ai découvert l'importance de l'infime, des objets sans valeur, des meubles d'un goût douteux, et même d'un vieux manteau élimé. Car les choses les plus communes peuvent révéler des scénarios de passion insoupçonnée.
La journaliste italienne interview Piero Tosi qui fut le costumier de Visconti, au cours de cet entretien elle découvre qu'il a fait à Paris des repérages pour une adaptation de la Recherche (qui finalement ne se fera pas) ; ainsi il a dénicher toute une collection "d'objets" et de manuscrits de Proust, dont son fameux manteau qu'il ne quittait pas hiver comme été.
Au début de ce livre-document Lorenza Foschini est au musée Carnavalet où elle peut voir cet illustre manteau, qu'elle ne peut s'empêcher de toucher...
Comment ce manteau est-il arrivé là ? Mais aussi les meubles de la chambre de Proust ?
Lorenza nous emmène sur les traces du grand collectionneur (fétichiste ?) que fut Jacques Guerin, ce célèbre parfumeur, bibliophile.
Son histoire et son "amour" de Proust sont passionnants, et bien que mes connaissances proustiennes soient assez limitées, j'ai été emporté par ce petit livre qui m'a fait voyager dans cet univers littéraire du début du siècle.
On y voit une famille prête à brûler les écrits "sales" d'un des leurs, et un homme fasciné, prêt à tout pour ne pas laisser disparaitre des "objets", des "choses" touchés par le grand écrivain.
Jacques Guérin aura tout fait, tout dépensé pour traquer les écrits, les photos, les objets de Marcel, il aura gardé fiévreusement son trésor jusqu'à finalement tout revendre au Musée Carnavalet.
Amoureux de Proust ou pas, n'ayez pas peur, c'est captivant, et très bien écrit.
"Quand je ferme les yeux et pense à Proust, je le vois enveloppé dans son manteau foncé tel que le décrivent la plupart de ceux qui l'ont connu. De même qu'en lisant la Recherche je ne peux m'empêcher de l'imaginer emmitouflé dans son manteau doublé de loutre."
"Guérin détient enfin cette dernière relique, si emblématique, si souvent décrite dans les mémoires de ceux qui eurent le privilège d'être des amis ou des relations de l'écrivains."
"Des chauves-souris, des singes et des hommes" de Paule Constant
Un village d'Afrique noire au bord du fleuve Ebola,
Olympe revient de la brousse avec un bébé chauve-souris,
Un groupe d'une douzaine de garçon rapporte le cadavre d'un grand singe au dos argenté,
Docteur Désir, marchand ambulant, repart avec la belle peau de bête,
Et puis il y a aussi Virgile, sociologue, sur les traces de son grand-père médecin-colonel,
Et Agrippine, médecin sans frontière venue pour une campagne de vaccination,
On croise aussi un groupe de touristes venus photographier les grands singes...
Toute une série de personnages que l'on va suivre, un peu, beaucoup, plus du tout ; ils vont se croiser ou pas, et petit à petit il y a des morts, de plus en plus, et encore....
Dans ce roman court, Paule Constant nous donne une vision romanesque de comment a pu/ aurait pu débuter l'épidémie du virus Ebola. Une belle mise en image de "l'effet papillon".
Nous voilà plongé dans le coeur de l'Afrique, de la forêt tropicale, au bord d'un grand fleuve puissant, loin de la modernité et de notre monde, et pourtant... nous voyons les choses de notre côté du miroir, faisons nous attention à nos différences, à nos cultures, nos croyances.
Un livre très intéressant, bien mené, que j'ai beaucoup apprécié. Une écriture très agréable.
Lu via la "bibliothèque orange".
"Invisible sous la lumière" de Carrie Snyder
Canada, de nos jours.
Aganetha Smart a 104 ans, vit dans une maison de retraite où elle passe ses journées dans un fauteuil. Elle n'a plus personne, il ne reste plus qu'elle de sa très grande famille. Plus personne pour lui rendre visite ou se souvenir, oui se souvenir qu'elle remporta la médaille d'or du 800 m au Jeux Olympiques d'Amsterdam en 1928.
Mais voilà que deux visiteurs s'annoncent, deux jeunes gens qu'elle ne connait pas, mais elle ne dit rien, quelle aubaine de pouvoir sortir, se sauver un peu de ce quotidien tellement ennuyeux. Ils font un reportage et veulent l'interroger sur sa vie de "coureuse".
C'est ainsi que démarre un voyage en voiture avec les jeunes qui la ramènent vers "sa" maison, mais aussi un voyage dans le temps, où de manière un peu décousue, Aggie se remémore sa longue vie.
Son enfance à la ferme avec ses nombreux frères et soeurs, sa relation quasi fusionnelle avec Fanny, les secrets qu'elle découvre ou qu'on lui confie, son amour de la course, de l'équilibre et du risque, puis son départ pour la ville, l'usine, les Jeux, son amitié avec Glad, Johnny....
Toute une vie sur un siècle, un siècle qui a connu deux guerres, un siècle qui a connu le crack boursier, l'évolution des mentalités envers les femmes...
C'est un beau roman qui aurait presque pu être une vraie biographie, on découvre le milieu du sport pour les femmes dans la première moitié du XXème siècle, les difficultés de reconnaissance, la bataille sur le terrain, les co-équipières qui sont aussi des concurrentes, l'éphémérité de la gloire...
Aggie n'a pas réellement existé en revanche l'équipe féminine canadienne a remporté de belles médailles lors de ces Jeux d'Amsterdam et l'auteur s'en est inspirée pour faire vivre cette coureuse méritante.
Lu via la "bibliothèque orange"
mardi 13 juin 2017
"Libellules" de Joël Egloff
Un petit recueil de nouvelles qui se suivent sans être liées tout en étant "connectées" les unes aux autres.
Il y en a de très courtes et de plus longues, il y a des moments de vie, des questions d'enfant, de l'absurde, des boites aux lettres, des horloges, des affiches de disparus, un sablier mal réglé et bien sûr des libellules !
Des questions sur la mort, qui reviennent, d'une nouvelle à une autre, un enfant dans lequel on pourrait se reconnaitre.
Une petite sucrerie à goûter doucement, tranquillement.
Découverte d'un auteur, qui pour moi se met en scène dans ces petites nouvelles. Un peu comme une conversation entre amis, où l'on raconte ce qui nous passe par la tête, notre dernier rêve ou rencontre...
Un regard tendre sur la vie, parfois un peu plus cruel.
vendredi 2 juin 2017
"L'homme de Lewis" de Peter May
Dans ce deuxième opus nous retrouvons Fin McLeod ; il a quitté son travail, sa femme et Edinburgh. Il est de retour sur son île et campe sous une tente sur le terrain de feu ses parents afin de retaper leur vieille maison.
Au même moment le cadavre d'un jeune homme est retrouvé dans les tourbières, en état de momification, miraculeusement conservé depuis plus de 50 ans. Très rapidement il va s'avérer être lié au père de Marsaili son amour de jeunesse.
Bien que ne faisant plus parti de la police, Fin va s'emparer de l'enquête afin de comprendre qui est Tormod McDonald et s'il cache quelque chose enfoui dans son cerveau malade.
Plus qu'une enquête de police il s'agit encore une fois de partir dans le passé et découvrir l'histoire de nos personnages, avec leurs souffrances et leurs bonheurs. Et encore une fois Peter May en profite pour aborder des thèmes qui dérangent.
Après les violences aux enfants, il s'attaque cette fois au sujet des homers, ces enfants orphelins (ou abandonnés) qui étaient envoyés dans des familles très loin de chez eux, où ils se retrouvaient le plus souvent esclaves et victimes de violence.
Peter May fait aussi intervenir un de ses personnages principaux en nous mettant dans sa tête, et on le "regarde" penser. Il s'agit de Thormod McDonald qui souffre d'Alzheimer. C'est un très bon moyen de voir ce qui peut (éventuellement) se passer dans un cerveau malade, les allers et retours entre le présent et le passé, le mélange des souvenirs d'enfance et de la vie d'adulte.
Bref, vous l'aurez compris, encore une fois bien emballée, il n'en reste plus qu'un je vais essayer de me le garder pour un peu plus tard.... si je résiste....
"Quand on entre dans cette maison de retraite, on voit un tas de vieux, simplement assis là. Le regard dans le vide, le sourire triste. on les met de côté parce qu'on les considère comme... eh bien, des vieux. Usés, comme si cela ne valait plus la peine de s'en préoccuper. Et pourtant, derrière chacun de ces regards, il y a une vie, une histoire qu'ils pourraient nous raconter. De douleur, d'amour, d'espoir et de détresse. Toutes ces choses que nous ressentons, nous aussi. Devenir vieux ne fait pas de toi quelqu'un qui vaut moins que les autres, quelqu'un de moins réel. Et un jour ce sera notre tour. Assis là à regarder les jeunes nous mettre de côté parce que nous sommes vieux. Et à ton avis, tu crois que nous allons le vivre comment ?"