jeudi 19 octobre 2017

❤️❤️ "Fief" de David Lopez


Jonas est notre narrateur, et il y a ses copains Ixe, Poto, Sucré, Untel, Romain, Miskine et la mystérieuse Wanda ; ils partagent un quotidien dans une petite ville de banlieue qui n'a pas assez de bitume pour être la "vraie ville" mais pas assez de verdure pour être vraiment la campagne. C'est un entre-deux, ce "fief" justement, où l'on est ni l'un ni l'autre, un peu de l'un et un peu de l'autre.
Jonas vit encore chez son père, essaie de se faire discret. Il boxe, traine et fume des joints avec ses copains.

Il ne se passe pas grand chose dans ce roman, en terme d'action, mais il se passe beaucoup beaucoup de choses en terme de réflexion, de questionnement, d'analyse (?), et surtout de littérature.
C'est un livre d'ambiance, d'atmosphère, de milieu.
Ce premier roman de David Lopez est pour moi une très grande réussite. Il nous décrit à la perfection ce lieu instable, avec ses mots, leurs mots à eux, ce vocabulaire de la banlieue, ces expressions particulières de d'jeuns, et en même temps, derrière en filigrane il y a une grande culture,  beaucoup de jeux de mots, d'humour.
C'est truculent et triste à la fois.

On voit ses jeunes qui n'arrivent pas à sortir de leur vie, qui s'ennuie à longueur de journée ; pour eux la ville est trop loin et la campagne trop "campagnarde" !
On ressent tellement bien l'étirement des longues journées, suivies des longues soirées, il n'y a rien à faire ou si peu, et on a l'impression qu'ils sont écrasés par tout ce temps et cet ennui que cela les empêche de bouger, d'avancer, et ça fume, et ça fume....

Et il y a la boxe, Jonas fait des combats, il sait qu'il pourrait en faire son métier, qu'il pourrait tenter de sortir de tout ça, mais a t-il vraiment envie de partir ? A t-il vraiment envie de boxer ? A t-il vraiment envie de prendre le risque de se faire exploser la tête ?

Il y a de très très beaux passages notamment sur la boxe, c'est un texte d'une très grande richesse.
J'avoue être impatiente de lire ce que cet auteur nous proposera la prochaine fois.

"Dans ces ambiances, dès qu'il y en a un qui se met à parler de ses problèmes, il y en a un autre pour trouver que ce n'est pas marrant ce qu'il raconte, et puis ça passe à autre chose. Ou alors on fait des blagues dessus. Ça ne court pas les rues les oreilles. Pourtant, il paraît qu'il y en a plein les murs. Et à force qu'on les tienne ils doivent en savoir des trucs. Mais ils ne doivent pas s'en souvenir parce qu'ils sont trop foncerais les pauvres."
"Et puis on s'est habitués. Ce n'est plus nos soirées qu'on passait à fumer, mais aussi nos journées. Nos nuits. Nos heures de cours. Peu à peu on n'avait plus un joint, mais trois, et puis est venu le temps où on a eu chacun le sien. Fumer n'était plus l'occupation, on fumait en se demandant ce qu'on allait bien pouvoir foutre. On n'était plus dehors. On s'est enfermés. On a opté pour d'autres jeux. Des jeux auxquels on peut jouer assis. On ne se lance plus de glands. On ne se lance plus de boules de neige. On ne se lance plus des ballons de basket dans la gueule. On ne se lance plus que des insultes."
"Je demande à Sucré, Sucré, comment ça se fait que par exemple si je creuse pour aller en Chine ou en Australie [...], et je dis non mais on s'en fout en fait, admettons que je creuse tout droit tu vois, peu importe où ça me mène, [...], si je creuse pour aller en Chine, t'es bien d'accord que je vais creuser vers le bas, t'es d'accord, il dit ouais, et je dis alors que quand je vais arriver en Chine, je vais sortir de sous terre, donc je vais creuser vers le haut.  [...] On se regarde, et je demande, à quel moment je me retourne en fait ?"
"Notre ville c'est une cuvette. Il y a une colline de chaque côté. Celle où nous sommes, rive ouest, et en face celle sur laquelle est construite la cité des Tours, rive est. [...] Je devine aussi la maison de Romain, pas loin de la gare, et j'imagine les gars là-bas. Je me demande ce qu'ils peuvent bien être en train de foutre, mais ce n'est pas comme si l'éventail de possibilités était large.  [...] Je vois tout ça en même temps et je me dis que ma vie est là, dans cette cuvette. Pour en sortir il faut grimper."
Le Seuil, 256 pages.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire