mardi 3 octobre 2017

❤️❤️❤️ "Taba-Taba" de Patrick Deville





Tout commence avec la petite fille en blanc née au Caire, elle monte sur un bateau et quitte l'Égypte pour la France, nous sommes en 1862, de l'autre côté de la Méditerranée, plus au nord, en face de Saint-Nazaire, la construction du lazaret de Mindin se termine, il servira aux pestiférés, aux quarantaines des bateaux qui ont traversé plusieurs mers.

Et puis il y a ce petit garçon, tout mal agencé, "le petit monstre recroquevillé auprès du grand taré", il a à peine 4 ans mais une malformation congénitale de la hanche l'empêche de se développer normalement, alors il sera opéré, enchâssé dans un plâtre pendant près d'une année. Le petit monstre deviendra, le chevalier noir, mais aussi à force de lecture et de contemplation, hypermnésique.

Le grand taré, c'est lui, Taba-Taba, car le petit chevalier noir vit au Lazaret, devenu hôpital psychiatre et dont son père est le directeur. Taba-Taba qui toujours accompagnera le petit monstre jusqu'à ce qu'il puisse enfin se séparer de lui.

Il y a aussi Paul, le gymnaste, le père (pas celui du narrateur), fils de l'instituteur et de la petite fille en blanc. Paul qui avec son épouse, Eugénie-Alexandrine, aura subi les 2 grandes guerres, aura vécu l'occupation, la déportation, la fuite.
Et il y a le fils Paul-Eugène, dit Loulou, qui lui est bien le fils de Paul et le père du narrateur, et le frère de Simonne dite Monne, la tante par qui tout est arrivé et a réellement commencé.

En effet, cette tante au fil des années a conservé tout un tas de papiers, de souvenirs, de lettres, d'archives, de journaux, qui ont permis à l'auteur de retracer l'histoire familiale. Un miracle car certaines archives ont passé quelques années dans un coffre au Crédit Lyonnais de Soissons après le départ de la famille pour le sud au cours de la seconde guerre et récupérées seulement après de longues années.

Dans ce roman foisonnant, Patrick Deville, en suivant le fil de son histoire familiale, nous emmène en voyage à travers la France et à travers le monde, c'est un voyage autant historique que géographique. Lui-même parcourt le monde et à chaque étape un passage de la vie de ses aïeux. Il nous livre son passé mais aussi celui du lieu où il se trouve, des monuments qui croisent sa route, il y a des rappels de notre Histoire mais aussi les faits divers, les anecdotes, et il lie et relie tous ses évènements d'une main magistrale et magique. Il est le "dieu marionnettiste" qui retrace l'histoire de "la bande des quatre".

Ce récit très documenté est passionnant, il va, il vient, prend le train, l'avion, voyage dans le temps, c'est un peu "brouillon" tout en étant très méthodique, et donc tout à fait déroutant.
Patrick Deville a su rendre son texte vivant, intéressant, dans le sens le plus profond du terme ; et tout en gardant une certaine distance avec les membres de sa famille - qu'il nomme soit par leur prénom soit par leur fonction (le père, le fils...) - on sent une grande chaleur, une grande tendresse. Ce côté très pudique est aussi présent lorsqu'il évoque son amoureuse, qu'il n'appelle que Yersin pendant une grande partie du livre pour finalement lui rendre son prénom, Véronique, et tout l'amour qu'il éprouve apparemment pour elle.

Bref vous l'aurez compris, j'ai aimé, beaucoup, énormément, et je recommande cette lecture qui peut paraître un peu difficile voire rébarbative au début. Une fois lancée on est passionné, pris, mordu et on ne le lâche plus. Qu'est ce que j'aimerais être assise en face de lui et l'écouter...

Quelques citations que j'ai essayé de limiter.... mais en fait j'aurais voulu recopier tout le livre.

"Si je ne faisais qu'apercevoir certains psychopathes agités, ceux dont le visage blême, la bouche ouverte, le regard révulsé vers le centre de leur cerveau et leur propre énigme étaient coiffés de casques de cuir brun, les autres déambulaient sur le sable des allées sous les pins, vêtus de drap bleu, avec des allures songeuses de philosophes antiques ou de traîne-savates, s'asseyaient sur les bancs pour deviser, se rendaient visite de pavillon en pavillon en fin d'après-midi. Parmi ceux-là se recrutaient mes grands camarades."
"... Ça n'est pas que la situation internationale lui soit indifférente, il lit les journaux, mais là il trépigne. Ça n'est pas le moment. Mettons fin à son impatience, laissons-le démarrer sa moto d'un coup de talon. Passons de la photographie au cinéma, regardons-le s'éloigner sur le chemin de ronde et quitter le Lazaret pour aller retrouver sa fiancée. Dans un an ils se marieront. De là à enfanter un boiteux il n'y a qu'un pas."
 "Ces deux-là auront connus au cours de leur existence davantage d'inventions magnifiques que les Européens n'en avaient vu depuis le Moyen Âge, l'automobile et le paquebot, le téléphone et l'avion, l'ascenseur et le tramway, le tracteur agricole et la vaccination, le sparadrap et le char d'assaut, les gaz de combat et le fil de fer barbelé."
"Ainsi je tournais en rond et à petite vitesse, dans ces parages où la disparition des industries sidérurgique et textile avait entraîné celle de la classe ouvrière et quasiment du salariat. 0ù de vieux retraités pouvaient s'étonner que ce fameux dieu Turbin qui avait été leur cauchemar ait pu devenir le rêve inaccessible de leurs petits-enfants."
"Les services de la Protection civile détruisaient encore en cette année 2015 plusieurs centaines de milliers d'obus et estimaient que, sauf nouvelle catastrophe, les champs de bataille de la Première Guerre devraient être dépollués dans sept cents ans. "
"[...] C'est sous celui de Romain Gary qu'il avait écrit cette phrase : « Je n'ai pas une seule goutte de sang français mais la France coule dans mes veines.» Alors qu'une alliance de fait entre les islamistes djihadistes et l'extrême droite nationaliste tentait d'entraîner la France dans une guerre civile, j'aimais cette définition simple donnée par ce juif de Lituanie : «Le patriotisme c'est l'amour des siens, le nationalisme c'est la haine des autres.»" 
Le Seuil, 432 pages.

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