Amy Liptrot est née dans l’archipel des Orcades, au nord de l’Écosse ; elle a grandi dans la ferme de ses parents, dans un environnement rude, intense, entre les vents violents, sur un terrain escarpé, devant une mer forte et implacable, et surtout entre un père bipolaire et une mère très très religieuse.
C’est ainsi qu’elle est devenue une jeune femme qui a voulu partir et vivre intensément, toujours en équilibre, sur le fil.
Elle s’est installée à Londres et petit à petit entre deux boulots et deux soirées, sans s’en rendre compte elle est devenue alcoolique.
Dans ce récit autobiographique, Amy nous raconte sa descente en enfer puis son retour à la vie lorsqu’après avoir tout perdu elle décide enfin d’arrêter de boire et de faire une cure de désintoxication. Après quelques mois d’abstinence elle retourne sur son île.
L’auteur ne mâche pas ses mots et ne se cache pas derrière des excuses, elle se livre entièrement et sincèrement. J’ai trouvé la première partie assez difficile à lire, écœurante comme si je buvais autant qu’elle ; elle décrit très bien l’addiction, et comment cette addiction dirige sa vie, ce qui peut être très difficile à comprendre. Elle voit, elle sait qu’elle se détruit physiquement, qu’elle a des comportements et des attitudes qui la mettent en danger en permanence.
La deuxième partie se passe aux Orcades, ces îles du nord, balayées par les vents, où peu de gens vivent. Elle y passe d’abord quelques jours auprès de son père, l’aide à refaire un mur, puis prolonge son séjour pour l’aider à l’agnelage, et petit à petit elle reste, trouve un job d’été à la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds) pour laquelle elle doit parcourir l’archipel et recenser les râles des genêts (roi caille) en écoutant leur chant qu’il pousse essentiellement la nuit, et lorsque l’hiver vient, elle s’installe sur un des îlots les plus au nord qui se nomme Papay. Elle y fera de jolies rencontres autant humaines qu’animales.
C’est un magnifique chemin de résilience que nous raconte Amy Liptrot, un chemin long et difficile mais qui l’emmène (et nous avec) dans de magnifiques paysages, sauvages, où se côtoient les moutons, les phoques et beaucoup d’oiseaux ! Elle découvre une nature différente de la vie londonienne faite de sorties, d’alcool, et de dancing,
Un récit fort, déroutant et très intelligent.
"Pour nous qui sommes sujets à la dépendance, l'alcool devient rapidement le moyen le plus simple de soulager l'anxiété physique et morale, et de surmonter les situations de stress. Or chaque fois que nous faisons un usage répété d'une substance narcotique, ces chemins neuronaux s'impriment si profondément dans notre encéphale qu'il nous sera impossible par la suite, de les effacer. Quoi qu'il arrive, je ne serai jamais à l'abri d'une rechute et je demeurerai vulnérable aux addictions de toutes sortes."
"Le grand pingouin, aujourd'hui disparu, mesurait environ un mètre de haut. Le dernier spécimen de grand pingouin reproducteur vivant en Grande-Bretagne a été abattu par balle en 1813 sur l'île de Papay. Le chasseur responsable de cette prise agissait pour le compte d'un collectionneur londonien. Au cours des années mille neuf cent quatre-vingt-dix, les écoliers de Papay ont écrit et mis en scène Les Aventuriers du grand pingouin perdu, une pièce de théâtre relatant le destin tragique de cet oiseau exceptionnel."
"Je suis née dans un foyer enclin au drame, j'ai grandi dans le mugissement du vent, au coeur d'une nature tourmentée, parmi les épaves de navires échoués, les agnelets mort-nés et les visions mystiques, avec la certitude que tout pouvait basculer à tout moment dans le chaos - excitant ou dévastateur, selon les cas. Au fil des années, ces variations d'un extrême à l'autre m'ont paru normales, voire souhaitables ; j'ai appris à m'y préparer, puis à les rechercher. N'est-il pas merveilleux de vivre au bord du monde ? L'alternative, celle de l'équilibre, m'a toujours semblé terne et sans intérêt."
"Reste l'explication la plus logique, celle d'une mauvaise habitude devenue incontrôlable. À force de boire de manière systématique pendant des années, j'ai usé mes freins, comme la falaise s'use sous le fracas répété des vagues. Quand j'ai voulu les réparer, il était trop tard - et je suis allée droit dans le mur."
"L'île est chaque jour plus petite, la falaise plus découpée et creusée plus profondément. De même, la vie est chaque jour plus triste, mais plus intéressante. Les coups et les blessures, telles des cicatrices sur le littoral, se creusent et s'effacent en permanence."
"Boire, pour les alcooliques, n'est jamais une solution. C'est un remède inefficace, une erreur sans cesse recommencée, un train qui ne mène nulle part. Dans mon cas, quels que soient le soulagement ou l'euphorie recherchés, ils n'étaient jamais atteints."
Globe, 336 pages. Août 2018
Traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre.
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