mercredi 24 octobre 2018

❤️ "Ça raconte Sarah" de Pauline Delabroy-Allard

Chanson, toi qui ne veux rien dire, toi qui me parles d'elle, et toi qui me dis tout." Indian Song, Jeanne Moreau

Ça raconte une passion amoureuse fulgurante et dévorante entre deux femmes.

La narratrice est une jeune femme sage, professeur dans un lycée, mère d'une enfant de 6 ans, sa vie est plutôt monotone et tranquille ; à l'occasion d'une soirée de nouvel an elle rencontre la pétillante et extravagante Sarah, violoncelliste. Les deux jeunes femmes vont très vite se lier d'amitié, se voir tout le temps, de plus en plus souvent, jusqu'à réaliser qu'elles sont très amoureuses.

Vient alors les brûler le feu de la passion, l'exaltation, l'ivresse de l'amour tous les jours renouvelée.

C'est un roman court mais très intense, en deux parties distinctes. 
Dans la première partie, la narratrice nous raconte Sarah, leur rencontre, leur amour, la découverte, la folie de la passion. 
Ce sont des chapitres courts qui donne un rythme au livre comme une partition de musique, il y a des langueurs, des accélérations, des crescendos... On se trouve parfois sans souffle, haletant, pantelant, exsangue, tellement tout va vite, très vite. 
La tête tourne.
La deuxième partie est plus calme, mais aussi plus mélancolique, plus triste. La narratrice est seule, partie pour un voyage en Italie, mais Sarah est malgré tout toujours là, tel un fantôme, une ombre, une présence.

Il y a des mots, des morceaux de phrase qui reviennent dans le texte, un peu comme une obsession, un leitmotiv. Cela donne une narration très vivante, dynamique, rapide.

C'est un premier roman franchement réussi et tout à fait surprenant, plein de poésie.
"Ça raconte ça, le silence tonitruant et les jours cotonneux dans lesquels on flotte, quand on offre la vérité."
"Ça raconte ça : le souffle, le soufre, la tempête."
"Ça raconte ça, qu'on ne peut pas aimer, boire et chanter en paix, que pour vivre heureuses, il faut vivre cachées."
"Elle ne comprend pas que je suis à bout de forces de cette vie qu'elle me propose, de cette vie qui va trop vite et dans laquelle elle ne veut pas s'engouffrer tout à fait, de son instabilité, de son incertitude, de ses abandons et de ses caprices, de ses toquades de princesse."
"Ça raconte Sarah, imprévisible, ondoyante, déroutante, versatile, terrifiante comme un papillon de nuit."  
Les Éditions de Minuit, 189 pages.

lundi 22 octobre 2018

❤️ "Dix-sept ans" de Éric Fottorino

C'est une histoire sur la quête des origines, la force et le poids des secrets de famille, des non-dits ; sur le temps qui passe et le manque de communication.

Tout commence lorsque Lina, 75 ans, convoque ses trois garçons pour leur révéler un secret trop longtemps enfoui dans son coeur et qui maintenant l'étouffe. Les deux plus jeunes, François et Jean, sont émus et soutiennent leur mère, tandis que Éric, 58 ans, est pétrifié et ne peut absolument pas réagir, dans un premier temps.

Mais cette révélation lui fait ouvrir les yeux sur sa mère et sur la relation qu'il entretient avec elle. Depuis de trop nombreuses années il ne la voit quasiment plus, il pense qu'il ne l'aime plus, ou pas assez, dans sa tête une petite phrase "Je ferai comme si tu étais morte."
Il se retrouve face à son histoire et commence un chemin initiatique à l'envers. Il doit retourner à sa naissance à lui pour enfin essayer de connaître et découvrir celle qui est sa mère.

Éric nous emmène de La Rochelle, à Bordeaux en passant par Nice, on quitte un océan pour une mer(e), un ciel bleu pour un autre, il recherche ses racines, il remonte dans le temps pour (re)connaître et comprendre sa mère, ses pères, ses oncles et sa grand-mère. Un chemin qui encore une fois en dit long sur les ressentis de chacun et l'interprétation des évènements.

Une magnifique histoire d'amour, touchante et émouvante dite comme une urgence, une pulsion.
De jolis mots, de belles images, on aime, on adore, ces phrases simples et sincères.
Finalement on se fiche de savoir quelle est la part de romanesque et de biographique, le tout est un plaisir littéraire et émotionnel.
"Je n'ai gardé de cette petite aucune image, rien qu'un vide immense. Irréparable et désespérant. Je pourrais douter que ce moment a vraiment existé. La seule chose qui m'est restée, c'est la violence."
"Petit garçon, lorsque Lina me disait : «Tu es né à Nice, je comprenais que j'étais né anis.» 
"Pourtant, sans le savoir, ma mère et mes pères, adoptif ou naturel, portaient en eux les germes de toutes les haines qui avaient ensanglanté le mois de juillet : les séquelles de la colonisation, l'intolérance religieuse, l'antisémitisme français, le rejet des basanés."  (Lorsque notre héros arrive à Nice c'est le mois de décembre, cinq mois après les attentats du 14 juillet...)
"Les secrets trop bien gardés sont comme des cartouches dans un stylo d'enfant. Quand ils éclatent, une encre sombre s'écoule et ça ressemble à du sang."
"Tu ne m'aimais jamais assez puisque je t'aimais toujours trop." 
Gallimard, 263 pages.

jeudi 18 octobre 2018

❤️❤️ "La vraie vie" de Adeline Dieudonné



"À la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres."

La première phrase dit tout de ce roman !
C'est une jeune fille qui nous raconte.
On ne connait pas son prénom, ni celui de ses parents.

Le père est un homme violent, en colère, qui aime - dans cet ordre - la chasse, la télé et son whisky.
La mère est une amibe, une femme "retournée" sur elle-même, tellement violentée que son cerveau en parait déconnecté.
Gilles c'est le petit frère aimé, chéri, avec qui elle joue, rit et passe les bons moments de sa vie.

Mais voilà qu'un évènement tragique va tout bouleverser, et Gilles va perdre son sourire.
Dès lors notre héroïne n'aura de cesse de vouloir devenir la nouvelle Marie Curie afin d'inventer la machine à remonter le temps et redonner le sourire à son frère.

Véritable roman d'apprentissage de la vie, de la solitude, de la violence avec comme seul dessein jamais perdu de vue pour cette jeune fille, l'AMOUR.
D'abord celui de son frère, mais aussi celui d'un homme pour la femme en devenir qu'elle est, et puis celui de ses parents qu'elle cherchera toujours...

Un roman dur, violent, mais des mots doux et tendres.
Un récit original, drôle.
On ouvre ce livre et on ne peut pas le poser avant de l'avoir fini.

Un premier roman totalement réussi, une surprise littéraire, une surprise narrative.
J'ai été emporté dans cette folie douce, cette douce folie qu'est ce livre.

A lire absolument !
"La principale fonction de ma mère était de préparer les repas, ce qu'elle faisait comme une amibe, sans créativité, sans goût, avec beaucoup de mayonnaise."
"Elle nous a dit comme ça, avec sa voix de vieux klaxon et son parfum de plage : «Les têtards, vous savez, il y a des gens qu'il ne faut pas approcher. Vous apprendrez ça. Il y a des gens qui vont vous assombrir le ciel, qui vont vous voler la joie, qui vont s'asseoir sur vos épaules pour vous empêcher de voler. Ceux-là, vous les laissez loin de vous.»" 
"Chez nous, les repas familiaux ressemblaient à une punition, un grand verre de pisse qu'on devait boire quotidiennement."
"Je n'ai jamais ressenti grand-chose pour ma mère, si ce n'est une profonde compassion. À la seconde où mes yeux ont déchiffré ces cinq lettres, cette compassion s'est instantanément dissoute dans une flaque de mépris noir et puant."
"Je me suis rappelée que j'étais sur la branche ratée de ma vie. Un jour, je reviendrais dans le temps. Je pouvais tout essayer, je ne risquais rien. Je reviendrais à ce soir d'été des mes dix ans et rien de tout ça n'aurait jamais existé." 
L'Iconoclaste, 266 pages.

mercredi 17 octobre 2018

"Légende" de Sylvain Prudhomme


La plaine de la Crau, cette immense étendue aride, caillouteuse, balayée par le mistral ; Nell y vit depuis toujours, fils et petit-fils de berger, au gré des transhumances ; il est devenu photographe, et par dessus tout, il aime photographier cette plaine, ses cailloux, ses brebis et ses moutons.

Son ami, Matt, est anglais, il s'est établi depuis quelques années dans cette plaine, son métier à lui est d'installer des toilettes sèches publiques, mais ses passions sont la vidéo, les histoires, et c'est ainsi qu'il réalise des documentaires pour son plaisir personnel.

Une très forte amitié lie ses deux hommes. Mais voilà que Matt se prend d'intérêt pour une vieille boite de nuit qui fut le lieu de toutes les histoires dans les années 70 et 80, "La Chou" était L'ENDROIT où il fallait aller, être vu, s'amuser, sortir...
Mais en s'intéressant à ce lieu mythique Matt se trouve obligé de retracer l'histoire de deux frères, Christian et Fabien. Deux frères très différents, deux frères passionnés, deux frères jouisseurs, plein de vie, mais deux frères qui se trouvent être les cousins de Nell.

Leur amitié va-t-elle résister à la curiosité de Matt, à son intrusion dans la famille de Nell ?

Une histoire touchante, bouleversante, magnifique.
Je découvre ce jeune auteur qui sait manier la langue pour nous emmener avec pudeur dans le coeur de familles ébranlées par les aléas de la vie. On se trouve projeté dans le milieu de la fête des années 70 et 80, années encore insouciantes, où la drogue et le sexe n'étaient pas encore annonciateurs de mort.

L'arbalète gallimard, 292 pages.

"Une histoire des loups" de Emily Fridlund



C'est une histoire un peu étrange qui se passe dans le Minnesota, dans la région des lacs et des forêts. Une jeune fille, Madeline, a tout juste 14 ans lorsque, de l'autre côté du lac où elle vit, emménage une famille. Elle les observe à la jumelle puis se rapproche d'eux pour devenir la baby-sitter du petit Paul qui a 4 ans. Le père, Léo, est très absent et finalement Madeline passe la plupart de son temps avec le petit garçon et sa maman, Patra.
Dès le départ on comprend qu'un drame se noue et va se jouer sous nos yeux.

Madeline raconte l'histoire, elle est maintenant adulte et revient sur cette période trouble de sa vie.
On comprend qu'elle vit seule avec ses parents dans cette cabane au bord du lac, qu'ils étaient plus nombreux au départ, mais que tout le monde est parti -une secte ? des hippies ?
Madeline va au lycée, il ne s'y passe pas grand chose hormis une histoire avec un professeur d'histoire-géographie qui serait pédophile et cette autre fille, Lily, un peu étrange et paumée.
L'ambiance générale est assez glauque - bien représentative de cette maison d'édition - , mais le texte est trop foutrac pour moi, il n'a ni queue ni tête ; je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages qui sont pour moi peu crédules et surtout totalement inintéressants.

Le bandeau annonçait "coup d'essai, coup de maître", euh honnêtement pas pour moi, je me suis beaucoup trop ennuyée. Dommage le pitch de départ me plaisait bien et était plutôt vendeur et accrocheur mais beaucoup trop fade pour moi.

Bref un livre que je n'ai pas aimé, et que je ne peux malheureusement pas recommander.
Si quelqu'un a un autre avis je suis preneuse.

Gallmeister, 294 pages.

samedi 13 octobre 2018

❤️ "Les heures silencieuses" de Gaëlle Josse


Intérieur avec une femme jouant de l'épinette de Emmanuel de Witte
Dans ce texte très court, Gaëlle Josse imagine une vie à la femme qui se trouve sur ce tableau.
Nous sommes à Delft, en 1667 et Magdalena se confie à son journal intime. Elle nous raconte sa vie de fille d'administrateur de la Compagnie des Indes, puis son mariage. Elle évoque son enfance auprès de son père qu'elle chérit, la vie qu'elle aurait aimé avoir, celle qu'elle a eu, son époux, ses enfants, et puis aussi ses peurs et son secret.

C'est un roman lumineux, magnifiquement mené, dans la simplicité, dans l'étroitesse de la vie d'une femme de cette époque, d'une femme intelligente, presque féministe.
C'est beau, c'est bon, on en redemande. 
"Je ne suis ni plus sage, ni meilleure que beaucoup d'autres, mais avec le temps les peines du monde font leur chemin dans le coeur, et si l'on ne peut rien retirer des misères existantes, du moins efforçons-nous de n'en point ajouter."
"La vie ne ressemble pas à l'idée que nous en avions, et il nous appartient de savoir accepter notre sort. Je sais qu'il me reste un long chemin à parcourir pour trouver la paix, et ces propos que je m'efforce de tenir parlent à mon esprit, mais ils n'apaisent ni mon coeur, ni ma chair." 
Après la découverte cet été de cette auteur avec "une longue impatience", elle commence à rentrer dans la catégorie des valeurs sures !
J'ai lu, 89 pages.

lundi 1 octobre 2018

❤️❤️❤️ "Une longue impatience" de Gaëlle Josse


"Ce soir, Louis n'est pas rentré. Je viens d'allumer les lampes dans le séjour, dans la cuisine, dans le couloir."

Louis a 16 ans ; il est parti, il a fugué, il a quitté sa mère et sa famille.
Va commencer pour Anne, sa mère, une longue attente, l'attente du retour de ce fils tant aimé.
C'est juste après la seconde guerre mondiale, le début des années 1950, la Bretagne
Anne va chercher son fils, découvrir qu'il s'est embarqué sur un navire, il est devenu marin, comme feu son père.
Elle va attendre le retour de son bateau, le retour de son fils.

Une alternance de chapitre où l'on découvre la vie d'Anne, où l'on vit l'attente avec elle, et de lettres qu'elle écrit à Louis, lettres où elle lui raconte le festin qu'elle va lui préparer pour son retour, la fête qu'elle va organiser.

On vit la douleur d'Anne, on tremble avec elle, on est en équilibre sur ce fil de la raison où à chaque instant cette mère peut tomber dans la folie, tant le manque de son fils lui est cruel.
Elle fait de son mieux pour continuer à vivre une vie "normale" avec son mari et ses deux autres enfants, mais c'est dans sa chair, dans son âme, Louis n'est pas là, Louis lui manque, chaque jour un peu plus, comme une longue torture, un long cri de douleur.

C'est le premier roman que je découvre de Gaëlle Josse, une réussite absolue dans la description des émotions de cette mère à laquelle on ne peut pas manquer de s'identifier.
C'est une histoire dans laquelle on se glisse tout doucement, avec confiance, on se laisse porter par les mots et les phrases de Gaëlle Josse, toujours dans la simplicité et la beauté.
La beauté des moments, la beauté des sentiments.

J'ai terminé la lecture de ce livre les yeux baignés de larmes, larmes d'émotions de l'histoire, mais aussi larmes d'émotions des mots.

A LIRE ABSOLUMENT !
"Car toujours les mères courent, courent et s'inquiètent, de tout, d'un front chaud, d'un toussotement, d'une pâleur, d'une chute, d'un sommeil agité, d'une fatigue, d'une plainte, d'un chagrin. Elles s'inquiètent dans leur coeur pendant qu'elles accomplissent tout ce que le quotidien réclame, exige, et ne cède jamais. Elles se hâtent et se démultiplient, présentes à tout, à tous, tandis qu'une voix intérieure qu'elles tentent de tenir à distance, de museler, leur souffle que jamais elles ne cesseront de se tourmenter pour l'enfant sorti un jour de leur flanc."
" Lorsque tu reviendras, mon fils, mon fils parti voyager sur la peau du monde, mon fils coureur de mer, ce sera une fête."
Les Editions Noir Sur Blanc, 190 pages.