mardi 15 décembre 2020

"Le tram de Noël" de Giosuè Calaciura

 


Dans ce tram de la ligne 14 il se passe des choses étranges.

Tout au fond dans le noir, on dirait qu’il y a un bébé abandonné sur un siège, le chauffeur lui s’isole dans sa cabine de conducteur, il ne veut pas voir ce qu’il se passe derrière lui. 

Le tram n’est éclairé qu’au passage des lampadaires.

Des personnages montent ; des personnages avec qui la vie n’a pas été tendre, des laissés pour compte, des pauvres, des abandonnés… Chacun a son histoire, son fardeau, et ensemble ils se retrouvent les uns après les autres au fond de ce tram.

 

 

Il y a celui qui nourrit pour un peu de tendresse, celle qui se prostitue pour se nourrir, l’orphelin, le philippin dans son costume, le magicien plus tout à fait là, le triste vendeur de parapluies….

 

 

Arrêt après arrêt il y en a qui montent, il y en a qui descendent, dans ce tram des miséreux. 

Et l’auteur dans la simplicité de son langage, dans la douceur de ses mots nous racontent un joli conte de Noël.

Pas de misérabilisme, mais beaucoup de douceur, d’amour, de partage et de bienveillance.

Un texte magnifique, touchant, comme une belle méditation entre ciel et terre, un moment de lumière et de grâce. 

Un conte agrémenté de dessins aussi simples que l’écriture mais qui en disent tant en si peu. 

 

« il fallait qu’ils le sachent eux aussi avec certitude afin de ne pas confondre le désir de Dieu avec l’injustice des hommes. […] la jeune fille de 15 ans […] avait été sans Annonciation, violée plusieurs fois à tour de rôle par des hommes armés. »

« Elle ne savait pas qu’elle était au centre de chocs et de chantages internationaux, au centre de la guerre des ports, de la surveillance des navigations, des frontières fermées. Elle n’imaginait pas qu’une petite fille en marche puisse entraver l’Histoire. »

Les Éditions Noir sur Blanc, 111 pages, Octobre 2020.

Traduction de Lise Chapuis.

dimanche 6 décembre 2020

❤️❤️❤️ "Elise" de Marcel Sel

 

 

Mon dieu mais quel roman !!!!


🌺 Elise, une jeune allemande, est coincée dans la cantine de l’école de Rastenburg avec 14 autres jeunes femmes, ce sont les goûteuses d’Hitler dont la tanière se trouve toute proche.

Nous sommes le 27 janvier 1945, l’Armée Rouge déferle, c’est la fin. La fin de la guerre mais le début de l’horreur pour la population allemande de l’est. 

 

 

🎹 Au milieu des années 1980 François la soixantaine entreprend un grand voyage vers l’Allemagne, celle de l’Est, la Pologne, vers ce lieu où il fut prisonnier pendant les années de la seconde guerre mondiale, mais surtout vers ce lieu où il a connu et aimé Elise. 

 

 

🌺 Malgré les assauts répétés des Mongoles, des « Ivan » sauvages, Elise part, elle abandonne son corps et voyage dans sa tête, dans sa mémoire. Elle nous emmène avec elle pour oublier et fuir la douleur de l’instant. 

 

 

🎹 François veut comprendre pourquoi Elise a crié « Heil Hitler » avant de se prendre une balle dans la tête , elle qui détestait « Wolf » et sa cohorte de SS sanguinaires et impitoyables

 

 

🌺Une plongée dans l’Allemagne de 1940-1945, cette Allemagne victorieuse qui petit à petit prend l’eau ; plongée dans la folie d’un homme et de ses sbires. Une Allemagne où chacun se protège comme il peut, où chacun fait ce qu’il peut, avec ce qu’il comprend, une Allemagne qui ne tarde plus à sentir le sol trembler sous les coups de butoir des féroces troupes russes qui déboulent comme un vent de folie, de barbarie, d’horreur absolue. 

 

 

🎹Une plongée aussi dans cette Allemagne coupée en deux qui tente de se relever, dans la Pologne des années 80, dans cette partie de l’Europe qui pendant que les pays capitalistes se développent à tour de bras s’engluent dans le communisme, la surveillance, l’enfouissement des secrets de cette immonde guerre. 

 

 

C’est aussi l’histoire de Rita, en filigrane, discrètement, elle est le 3ème personnage caché de ce roman et de cette horreur. (Le troisième roman ? )

 

 

 

C’est un livre bouleversant, et magnifique, un livre qui remue, qui émeut.

C’est violent et sauvage, absolument.

C’est dur et éprouvant, mais essentiel 

Un livre qui soulève les questions de patriotisme, de renoncement, d’abnégation, du peuple qui suit aveuglément sa fureur, de remise en question, d’aveuglement….

 

 

Le seul bémol que j’aurais est le ton utilisé pour faire entendre François, ton que j’ai trouvé parfois trop « parlé », mais je suis facilement passée là-dessus tellement j’ai été tenue en haleine par ce récit.


Un livre à lire, un auteur à découvrir, j'avais déjà été conquise par son premier roman "Rosa".

Et surtout j'ai aussi particulièrement aimé cette lecture car je l'ai faite en lecture-partagée avec mon amie Emmanuelle du blog les Carpenters racontent, une expérience de lecture et de partage passionnante et très sympa.


ONLIT EDITIONS, 434 pages. Octobre 2019



jeudi 3 décembre 2020

"L' étrange cas Barbora Š." de Masek, Sindelka et Pokorny

 


2007, République Tchèque, un incroyable fait divers défraie la chronique.

En installant un système de surveillance pour son bébé, un homme découvre des images surprenantes chez ses voisins, une jeune fille nue est ligotée. 
La mère arrêtée, la jeune fille est mise en institution. 
Mais Anna, 13 ans, se sauve. On ne la retrouvera que quelques mois plus tard en Norvège sous l'identité d'un jeune garçon battu de 13 ans, Adam.

Mais le plus incroyable sera la découverte que Anna/Adam est en fait une jeune femme de 33 ans, Barbora Skrlova, une énorme enquête va suivre et l'affaire ne sera jamais totalement résolue.

Je ne dévoile pas grand-chose ici car tout est dit dès les premières pages du roman graphique et je n’en dis pas plus sur l’enquête, car elle est très bien menée et passionnante. Les auteurs ont décidé de prendre le sujet à revers, de refaire leur propre enquête et de la regarder aussi par le prisme du voyeurisme médiatique.

L'histoire est absolument effarante, l'enquête et l'écriture de ce roman sont magistralement organisées, c'est une réussite absolue pour moi et un énorme coup de coeur. 
Entre fait divers et enquête policière on plonge dans un marasme politico-religio-criminel qui fait froid dans le dos.

J'ai été submergée, épouvantée, éblouie, par le sujet et par la construction narrative ; et les dessins servent particulièrement bien leur propos.

Bref vous l'aurez compris un roman graphique à se procurer d'urgence !


Denoël Graphic, 210 pages. Octobre 2020

Traduction Benoît Meunier

lundi 23 novembre 2020

"Elle a menti pour les ailes" de Francesca Serra

 


Ilarène, petite station balnéaire du sud-est de la France, c’est la rentrée scolaire. Nous sommes en 2015, Garance a 15 ans et entre en seconde, au lycée. Enfin dans la cour des grands !

Elle vit seule avec sa mère, Ana, professeure de danse dans un petit studio qui lui appartient.

Garance part tous les jours à l’école avec son amie Souad, pour ne pas arriver seule. 

Depuis le collège elle en pince pour Vincent, un garçon un peu plus âgé qu’elle, il vient d’avoir son bac et étudie maintenant à la fac de droit de Grenoble.

 

 

C’est une immersion complète dans le monde de nos jeunes, ceux nés en même temps que l’arrivée d’internet, ils sont pendus à leur téléphone, sans cesse sur les réseaux sociaux, facebook, instagram, twitter…. Ils ne vivent qu’à travers des images, celles qu’ils fabriquent pour impressionner les autres, pour se faire croire une autre vie, pour attaquer et humilier, aussi... 

Un jour Garance reçoit une invitation facebook de Maud Artaud, ainsi qu’à sa fameuse et attendue soirée d’Halloween ! Garance n’en revient pas, ça va être pour elle l’occasion de revoir Vincent. 

 

 

À partir de cette soirée Garance va faire partie intégrante du groupe constitué de Maud, Salomé et Greg, tout trois en terminale, et de Vincent et Yvan le petit ami de Maud. Petit à Petit ce groupe va happer Garance qui va tourner le dos au reste de sa vie et tout donner au groupe, à la meute. C’est le début des conneries, il n’y a plus vraiment de limite pour être cool ou du moins le paraître et surtout pour ne pas être rejeté.

 

 

C’est l’histoire de Garance, son apprentissage et son évolution. Une fresque adolescente parfois glaçante, mais toujours juste. 

Un premier roman criant de vérité, qui nous ouvre la porte d’un monde que personnellement je n’ai pas connu. Je parle de cette adolescence au temps où l’intime n’existe plus, où tout est dit et mis sur les réseaux « sociaux », je dirais plutôt sur la place publique.  

 

 

Un roman incroyable, une construction organisée, sans erreur, des personnages malgré tout attachants, surtout touchants.

Nous voilà lycéen, on vit les émotions, les sensations, car ces sentiments-là sont les mêmes ; ce besoin de plaire à tout le monde, de faire partie d’une bande, si possible la plus en vue, faire comme le reste du groupe pour ne surtout pas se différencier, mais le jeu est plus tendu, plus risqué, lorsqu’en un clic on peut tout perdre. 

Où se trouve la limite ? Quand s’arrête-t-on ? 


Une belle démonstration des risques d'aujourd'hui, mais aussi de la candeur et de la cruauté mélangée de nos ado. 


A lire sans attendre. 

Mon seul petit bémol de rien du tout c'est cette couverture absolument horrible qui ne donne vraiment pas envie de prendre le livre et de le feuilleter, c'est bien dommage...


Éditions Anne Carrière, 472 pages. Août 2020

mercredi 11 novembre 2020

"Entre fauves" de Colin Niel

 

Une couverture absolument sublime pour un livre tout à fait incroyable. 

 

 

Quatre héros vont nous emmener dans cette histoire.

Martin est garde dans le parc national des Pyrénées et notamment il s’occupe du suivi des ours enfin du dernier ours de la région, c’est un homme qui défend la nature mais jusqu’où est-il prêt à aller pour cela ? 

Apolline est une toute jeune femme orpheline de mère et dont le père, grand chasseur, lui a transmis sa passion, et plus que ça car la jeune femme est une championne de tir à l’arc. Elle vit un peu en dehors de son monde, peu présente sur les réseaux sociaux et elle aussi très proche de la nature.

Kondjima est un jeune noir issu d’une tribu du nord-ouest de la Namibie, son père possède un troupeau de chèvre et son village subit un fléau car les bêtes sont régulièrement attaquées par un lion – qui a trouvé un garde-manger bien facile. Il faut dire que la région déjà désertique subit une vague de chaleur et de sécheresse sans précédent. 

Enfin Charles, c’est lui, le lion, le fameux qui met la zizanie dans toute la région.

 

 

Entre les Pyrénées et la Namibie un lien va se créer, inattendu, imprévisible, douloureux.

Il est question de chasse bien sûr, de protection des animaux aussi, d’injustice, de réchauffement climatique, de politique. 

Sans jamais prendre parti Colin Niel nous emmène sur les traces de Charles, de Kondjima, d’Apolline et de Martin, on passe de la savane à la forêt, de la chaleur sèche du désert au froid humide de la montagne et de la neige. Du lion à l’ours…

 

 

J’ai aimé me retrouver dans la savane africaine, j’ai aimé découvrir les montagnes enneigées des Pyrénées, les vallées d’Aspe et d’Ossau, j’ai aimé ce lion, je me suis tellement attachée à lui et Apolline, elle est si courageuse, si forte, et en même temps tellement fragile, elle accepte ses erreurs, sait se remettre en question.

Les personnages secondaires sont eux-aussi très importants, intéressants.

Je découvre cet auteur et je suis emballée par la finesse de son écriture et de la construction de son histoire. 

 

 

Un roman puissant, au-delà du roman policier, un roman tellement actuel, sans parti pris, qui pose des questions, un roman qui met le doigt sur les contradictions des uns des autres, et plus que les contradictions les intérêts des uns et des autres, où commence et où s’arrête le « juste », la raison, le « bon ». 

Un livre troublant, mené d’une main de maitre, à lire pour le voyage, à lire pour le questionnement, à lire parce qu’il est tellement réussit. 

Nous connaissons tous un chasseur, nous connaissons tous un défenseur des animaux, parfois la limite est ténue et pour passer de l’un à l’autre il n’y a qu’un pas, comme l’amour et la haine. 


Éditions le Rouergue, 352 pages. Septembre 2020

mardi 3 novembre 2020

❤️❤️ "Histoires de la nuit" de Laurent Mauvignier

 


Ce petit hameau, qui se nomme « les trois filles seules », abrite trois maisons, l’une est vide, Patrick vit dans la deuxième avec Marion son épouse et leur fille de dix ans Ida, dans la troisième on trouve Christine, peintre, femme de la ville installée ici après son divorce.

 

 

Patrick est fermier, il vit ici depuis toujours ; Marion travaille dans une imprimerie, c’est une forte tête ; leur relation de couple est terne, triste.

Christine reçoit de mystérieuses lettres de menace, elle a un chien Radjah, elle aussi a du caractère, et n’apprécie pas franchement Marion. 

 

 

Dans ce hameau perdu, a 50 km de la ville, on se prépare à une petite soirée festive, c’est l’anniversaire de Marion, elle a 40 ans.

Voilà le décor est planté, et ce qui débute comme un roman social, une chronique familiale va se transformer petit à petit car des visiteurs surprises, pas vraiment bienvenus, vont s’inviter à la fête.

 

 

Je n’en dis pas plus pour ne rien dévoiler. 

Sachez seulement que même si le démarrage peut sembler un peu lent ensuite on ne peut plus poser le livre et les 630 pages se dévorent avec tension.

L’histoire en elle-même est originale sans être incroyable, ce qui l’est en revanche c’est la prouesse d’écriture, la construction narrative. 

Entre le début et la fin du livre il se passe à peine 24 heures, mais Laurent Mauvignier réussit le tour de force de nous faire languir en décomposant chaque scène, c’est comme un film en slow motion, on a tous les détails, on arrête de respirer et on regarde l’image. Même les temps de silence et de calme sont dépecés, c’est une peinture en éternel mouvement. Chaque image est épluchée, chaque émotion, chaque mouvement. 

C’est terriblement bien fait, le suspense est amené graduellement, l’air s’épaissit pour devenir tout à fait irrespirable. 

On s’attache à cette forme d’écriture, à cette lenteur haletante qui nous prend à la gorge. 

 

 

Bref un livre qui ne vous lâchera pas et que vous ne lâcherez pas !


Les Éditions de Minuit, 635 pages. Septembre 2020


mardi 27 octobre 2020

"La race des orphelins" de Oscar Lalo


Hildegard Müller est née en 1943. 

Probablement dans un lebensborn, ces pouponnières imaginées par les nazis pour multiplier « la race supérieure », pour fabriquer de bons ariens.

 

 

À plus de 75 ans Hildegard sait à peine déchiffrer et est quasiment incapable d’écrire, alors elle fait appel à un scribe, cet homme qui, sous sa dictée, va écrire son histoire. 

En écrivant son histoire Hildegard se cherche, part à la découverte de son identité, de son histoire.

L’histoire de ces enfants à la fois victimes et coupables.

Coupables d’être issus de nazis, 

Victimes de leur naissance. 

Toute sa vie elle s’est cachée, elle s’est cherchée, une vie de honte, une vie d’orpheline. 

 

 

Un roman fort et puissant, construit par chapitres très courts, de petits paragraphes qui nous emmènent dans les affres de la seconde guerre mondiale, dans la folie de l’homme mais aussi dans sa lâcheté. Une construction qui donne du rythme, du poids, qui nous enfonce touche après touche un peu plus au fond de la tristesse de cette femme, plus loin dans son questionnement et dans la remise en cause et en question de sa vie, de son identité. 


Un roman qui m’a fait découvrir une partie oubliée des conséquences de cette guerre, que sont devenus ces orphelins ? Comment construit-on sa vie lorsque l’on sait d’où l’on vient et surtout de quels hommes...

Un roman difficile et dur, mais essentiel.


Belfond, 288 pages. 

Août 2020 

mardi 22 septembre 2020

"Vladivostok Circus" de Elisa Shua Dusapin

 



Nathalie, jeune costumière, part travailler à Vladivostok avec un trio qui pratique la barre russe. 

Deux hommes portent et soutiennent une barre souple et d’une grande élasticité sur laquelle une jeune femme saute et rebondit tout en faisant des figures.

 

 

Ce trio, composé d’Anna, Nino et Anton, se prépare à participer à un concours à Oulon-Onde, ils ont 6 semaines pour définir la chorégraphie, choisir la musique et les costumes. 

 

 

C’est l’occasion de découvrir un peu le milieu du cirque, en particulier en Russie, découvrir aussi un peu plus la vie des personnages qui accompagnent Nathalie.

 

 

Si l’écriture d’Elisa Shua Dusapin est toujours aussi belle et douce je n’ai malheureusement pas accroché ni avec l’histoire ni avec les personnages. Je dois reconnaître que je me suis un peu ennuyée. 

Bon ca ne peut pas fonctionner à chaque fois.

 

 

En revanche je recommande les yeux fermés son premier roman « Hiver à Sokcho ». 

 

ZOE, 174 pages. Août 2020

jeudi 17 septembre 2020

❤️❤️❤️ "Les déviantes" de Capucine Delattre

 



Un premier roman époustouflant de par sa maturité, sa force et la puissance qu’il dégage. 

Un roman très féminin sans tomber dans l'ultra-féminisme. 

 

 

Trois jeunes femmes bousculées par la vie ne vont pas réagir comme elles le « devraient », c’est à dire comme la société s’attend à ce qu’elles le fassent.

Chacune d’elle va vivre SA vie, et surtout décider de choisir ce qu’ELLE veut pour elle, et non pas ce qu’on attend d’elle.

Des choix pas toujours faciles car elles vont devoir aller à l’encontre de leur entourage, elles vont devoir se battre plus fort mais pour une finalité qui peut-être se rapprochera de leur bonheur.

 

 

Tout va démarrer avec Anastasia, une jeune femme de 29 ans, brillante et carriériste, son cancer du sein sera le détonateur de son changement de vie, de sa déviation ; puis son amie Iris prendra le relais car finalement le carcan de son couple l’étouffe trop. Et enfin Lolita qui ne veut pas faire les études qu’on veut lui imposer mais mener sa vie, avec ses envies, ses décisions.

 

 

Non seulement le récit est bien monté, mais la plume est très belle avec un vocabulaire riche, un rythme dynamique, vivant. Il n’y a pas de pause, on veut dévorer les chapitres les uns après les autres. 

C’est un texte d’une justesse impressionnante quand on sait que l’autrice n’a que 19 ans, les personnages sont tout à fait crédibles et attachants. 

En tant que femme je crois que l’on peut facilement se sentir proche de l’une ou l’autre, et partager leurs questionnements. 

 

 

Pour moi un très grand premier roman, une jeune écrivain à suivre !

 

 

« Sa bague.
C’est sa pénitence, sa marque, son signe d’asservissement, son âme vendue au diable.
C’est le corset miniature enserré autour de ses rêves de sauvagerie et de spontanéité. »

 

« Je veux pouvoir vous donner des réponses, moi aussi. Et c’est pour ça que j’ai besoin de partir. Pour voir des choses que vous ne connaissez pas, pour échapper à votre regard, pour avoir le temps de devenir quelqu’un que vous ne pourrez pas calibrer. »


Belfond, 270 pages. Août 2020

mercredi 9 septembre 2020

❤️❤️❤️ "La petite dernière" de Fatima Daas

 



Un récit court, incisif, rythmé comme une litanie où l’autrice se livre par petite touche. 

C’est comme un dessin qui apparaît trait après trait, une sculpture que l’on voit naitre sous les coups de burin, 

A chaque phrase, à chaque chapitre on découvre un peu plus la jeune femme. 

 

 

Fatima Daas vit une double voire une triple intégration.

Intégration avec sa famille algérienne en France

Intégration dans sa famille car elle est la seule à être née en France, son pays à elle c’est la France

Intégration dans son propre corps, car elle a toujours été ce qu’on appelle « un garcon manqué », elle se sent musulmane, mais sa foi, sa religion n’accepte pas ce qu’elle est. 

 

 

Comment faire face à sa propre vie, à sa famille, à son pays ? 

Comment se construire lorsque sa foi ne rencontre pas la personne que l’on est ? Lorsque son prénom, Fatima, est celui d’une femme symbolique de l’islam, lorsque ce prénom porte toute la puissance de Dieu.

 

C’est délicat et féroce à la fois, touchant et bouleversant. 

J’ai aimé la sincérité de ce texte, j’ai aimé la forme avec la petite rengaine de chaque début de chapitre, j’ai aimé cette voix féminine si particulière.

 

N’attendez plus et lisez ce texte brillant !!


Les Éditions Noir sur Blanc, 190 pages. Août 2020

dimanche 6 septembre 2020

"La fièvre" de Sébastien Spitzer

 


Memphis, 1878, une violente épidémie de fièvre jaune frappe la ville, un mal qui tue, vite et beaucoup. 

Très rapidement une partie des habitants fuient la ville, c’est un peu la débandade, quelques-uns restent pour soigner, d’autres pour surveiller et défendre. 

 

 

Memphis est une des capitales du coton, au bord du Mississipi ; la guerre de Sécession est passée par là, les esclaves ont été affranchis, le Ku Klux Klan est né, le racisme est puissant.

 

 

Tout au long de l’histoire on suit principalement 3 personnages dont les trajectoires vont se recouper. 

Anne Cook, la tenancière d’une maison close ; Keathing qui tient le journal local et fait partie du KKK, et puis la jeune Emmy, une métisse de 13 ans qui attend le retour de son père. 

 

 

C’est un livre intéressant, distrayant, une lecture agréable, mais mon petit bémol est que j’aurais aimé un peu plus de densité dans l’histoire, plus de consistance dans les personnages, j’aurais aimé aller plus loin plus en profondeur, ça m’a manqué, j’aurais facilement pu lire 100 ou 200 pages de plus, je suis un peu restée sur ma faim. 


A lire absolument son premier roman qui reste pour moi son plus réussi jusque là, "Ces rêves qu'on piétine" 

 

 

« La vérité ? Quelle drôle d’idée, répète-t-elle. J’ai appris à mes filles à dire oui, jamais non. J’ai appris à mes filles à voir la vie en mieux, pas telle qu’elle est. Je voudrais qu’elles sachent rêver leur vie. Les geignardes, les pleurnichardes, toutes celles qui s’encombrent de vérités trop lourdes, qu’elles aillent donc voir ailleurs, au couvent ou dans le lit d’un bon petit mari. La vérité, Keathing, c’est comme une lune de mie ou une épiphanie. Faut pas s’y attacher, sinon, c’est une chute assurée, le grand désenchantement. Combien de fois a-t-il fallu que je lui torde le coup à cette putain sordide, Keathing ? »

 

Albin Michel, 320 pages. Août 2020

❤️❤️ "Mon père, ma mère, mes tremblements de terre" de Julien Dufresne-Lamy

 


Après le bouleversement produit par « Jolis jolis monstres » j’attendais avec impatience ce nouveau roman de JDL.

La transformation sexuelle est un thème qui me fait peur, que je ne maitrise pas du tout, loin de mon quotidien et de mes préoccupations, n’ayant jamais été concernée de près ou de loin, il me sort totalement de ma zone de confort.

Le roman « Point cardinal » de Léonor de Récondo m’avait déjà ouvert l’esprit sur ce thème et la confiance que j’ai dans l’écriture de JDL m’a permis d’aborder ce nouveau roman de la rentrée littéraire avec sérénité.

 

 

Charlie, 15 ans, est assis sur une chaise en plastique dans une salle d’attente d’un hôpital.

Dans 4 heures son père renaitra, il sera Alice.

Au cours de ces quelques heures que dure l’intervention, Charlie se remémore les deux dernières années écoulées depuis l’annonce faite par son père. 

Avec sa mère ils ont vécu des vagues émotionnelles intenses, ils ont tenté de comprendre et d’accepter ce bouleversement, pour eux, pour lui, pour Alice.

 

 

La transidentité est abordée avec pudeur et délicatesse, et en particulier du point de vue de l’ado. Comment un jeune homme de 15 ans qui a besoin de grandir avec une figure paternelle peut-il réussir à se construire ? Comment peut-il accepter son père et celle qu’il devient ? Que ressent-il face à ce « tremblement de terre » ? 

 

 

A nouveau JDL nous offre un roman magnifique de sensibilité et d’émotion, un texte vibrant. 

Il y a un tel respect de l’humain, de la différence, on ressent tellement d’amour. De l’amour dans l’histoire, de l’amour dans les mots, de l’amour pour nous lecteur aussi. 

Il n’y a pas de jugement, juste une constatation, des émotions, des bouleversements, des secousses, des tremblements de terre…

 

 

Merci @JDL d’ouvrir nos esprits, notre conscience à ces réalités, merci de cette douceur et de cette délicatesse pour nous amener à réfléchir sur des sujets importants de notre société. 

 

        « M’man, tu t’es jamais demandé pourquoi on voit toujours les mêmes trans à la télé ? […]                             Les mêmes trans ? 

        Les trans en difficulté, placardées, abandonnées, agressées, prostituées. 

        Elles existent, Charlie. Il faut en parler. 

        Et les autres alors ?

        Les autres ?

        Les trans professeurs, les trans dentistes, les trans ouvriers ….[…] 

        Parce que ce sont des histoires normales ! Et alors quelle idée ça susciterait ! Quel dangereux exemple pour la société ! »

 

« Cette nuit-là, je prenais conscience que dans mon cahier, je ne parlais jamais de ma mère. Je prenais conscience que depuis les tremblements de terre, j’avais abandonné ma mère. » 

« Et pour le courage de tout recréer, y a un mot quelque part, tu crois ? » 


Belfond, 256 pages. Août 2020.

mardi 1 septembre 2020

"Le fumoir" de Marius Jauffret

 




Dans ce texte autobiographique Marius Jauffret nous fait partager son expérience de l’institution hospitalière, en psychiatrie. 

Ce jeune homme, visiblement mal dans sa peau, boit et prend quelques comprimés pour pallier son mal-être, il se connaît et sait parfois s’arrêter…jusqu’au jour où ayant encore trop bu son frère l’emmène à Sainte Anne (hôpital psychiatrique) et où comme dans un cercle infernal il voit son frère signer, presque à son insu, une hospitalisation sur demande de tiers. Il faut dire que le médecin leur a fait peur et leur a fait valoir tous les bienfaits d’une hospitalisation.

Seulement Marius pense sortir dès qu’il sera sevré de sa dernière grosse cuite (2,5g quand même…) et là il découvre qu’il ne peut pas sortir comme ça, il est enfermé alors qu’il n’a rien fait.

Il n’est pas le seul à être enfermé, certains sont là depuis des mois voire des années, sans vraiment d’espoir de se voir sortir. 

Il y a les chanceux qui ont de la famille et des connaissances, et de l’argent, et puis il y a les pauvres, seuls, sans domicile, sans travail, qui n’ont que peu d’espoir de sortir.

C’est pire que la prison dise certain, pas de travail, pas d’occupation, hormis le « fumoir » haut lieu de rencontre avec les autres enfermés et le personnel. 

 

 

Une description effrayante du système, de l’engrenage dans lequel nous pouvons tous glisser sans nous rendre compte…
Si tout ce qui est raconté est vrai alors il y a de sérieux problèmes.

Quand l’innocent a plus à prouver que le coupable qui n’est même pas en prison.

Un texte qui fait réfléchir sur nos institutions et leur fonctionnement. 

 

 

Pas de misérabilisme ni d’apitoiement, une simple constatation, un témoignage effrayant. 

À découvrir absolument !

"La plupart du temps, boire m'évite de subir mes cogitations de plein fouet. Elles se font plus vagues après quelques verres, le point central de mon attention s'accroche à l'histoire futile d'une série feel good ou, pire, à un débat politique. La plus grande partie de mes journées est consacrée à la réflexion, une terrible et intense plongée inutile dans mon for intérieur. Boire n'est pas un loisir. Boire est une nécessité sans saveur. L'alcool m'apporte une sérénité qu'il m'est impossible de trouver dans la lucidité, qui charrie inévitablement avec elle toutes les horreurs et les injustices de la société. Des injustices que j'absorbe et métabolise en acide sulfurique. Quand à l'idée de crever à cause du whisky, si je me pose la question, elle s'étiole à mesure que je bois. Avec un litre d'alcool fort par jour, c'est le foie qui s'épuisera. À moins qu'un autre organe ne lui vole la vedette, ce qui serait une injustice de plus." 

"Mais moi, le dépressif, l'excessif, le jouisseur solitaire, le handicapé social, je ris, je pleure, j'exulte, je me morfonds, je suis en haut de l'échelle ou au fond du puits, mais je suis vivant. Et j'ai le droit de vivre. Je ne suis pas une construction rectiligne. Je suis un morceau de viande flanqué de neurones qui s'agitent. Les psychiatres sont faits de la même manière que moi. Pourtant, ils croient dur comme fer que la raison les fait agir, qu'ils obéissent à une logique naturelle et en parfaite symbiose avec les attentes cartésiennes de la société. Ils se placent au-dessus de ceux qu'ils soignent. Comment être lucide lorsqu'on se sent supérieur, supérieur non par l'intellect, non par l'éducation, mais supérieur tout court, humainement ?"

"Le nombre de personnes internées sans consentement a doublé en dix ans. Aujourd'hui elles sont quatre-vingt-deux mille. Soit douze mille de plus qu'en prison. Sommes-nous devenus deux fois plus fous ? Ou vivons-nous dans une société deux fois plus sécuritaire ? Liberticide ? Plus de trois quarts des patients ne sont pas atteints par une pathologie précise. Plus de trois quarts des patients ne sont pas malades. Et dans la plupart des asiles, la chance de recouvrer la liberté après le passage devant le juge est de zéro pour cent. Les innocents sont plus nombreux dans les chambres blanches des asiles que les criminels derrière les verrous. Et, contrairement à ces derniers, ils y restent. Ils y crèvent."

 

Éditions Anne Carrière, 192 pages. Septembre 2020.

jeudi 27 août 2020

❤️❤️❤️ "Les Lumières d'Oujda" de Marc Alexandre Oho Bambe

 



« Quand tu ne sais pas où tu vas, arrête-toi et souviens-toi, souviens-toi d’où tu viens. »

«  Je suis le capitaine de mon destin

Le maître de mon âme. »

 

 

Énorme coup de cœur pour ce livre hors-norme qui parle de migrants, non pardon, de personnes, vivantes, humaines, qui à cause de tout un tas de raison plus difficiles et violentes les unes que les autres décident de quitter leur pays, leur sol, pour se donner la chance d’une vie meilleure, parce que de là où ils viennent ils n’ont plus rien à espérer… .

 

 

Le narrateur, après une expérience ratée en Italie, se voit rapatrié au Cameroun ; c’est pour lui un échec cuisant mais il va transformer son expérience en trésor, en la partageant, en aidant et conseillant des jeunes qui voudraient partir.

Autour de lui il y a quelques personnages importants que l’on suit, telle les jumelles Leïla et Imane, Le père Antoine, la grand-mère Sita, Yaguine et Fodé et aussi Ibra, et la multitude des ombres qui ont quitté leur pays, qui sont morts sur le sable ou dans la mer, fracassés, exploités par leurs semblables sans pitié.

 

 

Ce livre est une vraie jouissance de lecture, tout en délicatesse, 

On y lit le respect du sujet, l’amour de la langue,

Une grande humilité,

Il y a de la poésie et de la musique, 

L’accueil de l’autre, des autres, les Ulysses à la peau sombre

Un texte qui m’a éblouie et émue 


"Les mots qui nous saignent sont souvent aussi ceux qui nous signent, nous soignent et nous sourient."
"Bonjour mon frère, bonjour ma soeur, comment va ta douleur ? "
"Parler, c'est d'abord écouter l'autre." 
"Tu quittes un pays mais lui ne te quitte pas

                Tu habites sa douleur et celle-ci habite en toi." 

Calmann-Levy, 327 pages. Août 2020. 

lundi 24 août 2020

"Cinq dans tes yeux" de Hadrien Bels




 

Cinq dans tes yeux c’est la phrase pour contrer le mauvais sort, mais c’est aussi Nordine, Ichem, Kassim, Djamel et Ange vu au travers des yeux de Stress ; les copains du quartier Le Panier derrière le Vieux Port à Marseille. 

 

 

Le souvenir de ses années galères qui sont aussi les belles années. Les places du quartier sont occupées par une bande, chacune a son rôle.

On boit des bières, on fume des joints, on pique au Monop, on s’embrouille, et puis la plage, les filles, les petits blancs bien propres... C’est tout un monde dans lequel on plonge, un monde dont on a trop souvent entendu parler aux infos, un monde critiqué, dénigré ; mais là dans les yeux de Stress le cœur se ramolli et la tendresse dégouline, et on les aime tout ces durs à cuire, on s’attache.

 

 

Stress vieilli, il tente de gagner sa vie en tant que cinéaste- réalisateur mais ce sont surtout des films de mariage d’Arabes qu’il fait, pourtant il a un beau projet, un docu sur son quartier, Le Panier avant la gentrification, avant l’arrivée des « venants ».
Il n’a pas croisé ses anciens potes depuis de nombreuses années, malheureusement les chemins se sont séparés, pour certains c’est la boue…. pas facile de s’en sortir lorsqu’on n’a pas le bac et surtout appris à trainer sur sa mobylette, clope au bec, musique à fond dans les oreilles

 

 

Hadrien Bels nous emmène dans ces vieux quartiers de Marseille où il a grandi, il nous fait découvrir un autre monde avec sincérité et humilité. 

La langue est vive, drôle et touchante, il sait jouer avec les mots et les phrases. Certains dialogues sont à mourir de rire et il y a de très très beaux passages. 

 

 

 

Je voulais vous partager les deux dernières pages ici mais finalement je préfère que vous alliez les lire directement dans le livre, ce sont deux pages d’une magnifique déclaration d’amour, que j’ai lu et relu, deux pages qui m’ont émue, deux pages qui donnent toute sa puissance à ce premier roman très réussi. (bon après réflexion je vais les écrire tout en bas de l'article, mais vraiment lisez-le livre ! )



"Derrière Saint-Charles, c'est la gare routière et ses bus qui giclent vers l'arrière-pays toutes les quinze minutes. Sur le chemin, deux snacks avec des cordons-bleus qui tirent la langue et des croque-monsieur qui font pitié. Plus bas, des associations africaines : rideau blanc, lumière au néon, affiches de concerts de soukouss, chaises et tables en plastique."
"- Et sinon, tu as avancé sur ton projet ?                                                                                                      - Plus ou moins... Surtout dans ma tête.                                                                                                       Je déteste ce que je viens de dire.                                                                                                                 Jérémy débarque, un dossier à la main.                                                                                                        - Salut, désolé, j'ai un peu de retard.                                                                                                             Il me tend une main large et molle. Un courant d'air me fait goûter son odeur aigre. Puis, en levant le bras :                                                                                                                                              - Aziz, tu me mets un café s'il te plaît ?                                                                                                        Comme s'il était chez lui.                                                                                                                            - Alors c'est toi, Stress ?                                                                                                                                - Alors c'est toi, Jérémy ?                                                                                                                            - Ah-ah, oui, c'est moi, qu'il me répond sans me regarder. Je vous préviens j'ai pas beaucoup de temps.                                                                                                                                                     - Ça tombe bien, moi non plus.                                                                                                                             J'ai déjà envie de lui insulter sa mère. Johanna n'a plus de salive. Le serveur arrive avec le café. Un café avant de manger. Drôle de type.                                                                                                     - Tu me mets un plat du jour, Aziz ! Et pour vous ?                                                                                            - Ramenez-moi la carte, s'il vous plaît.                                                                                                                J'ai envie de faire chier.                                                                                                                                        - Alors ? C'est un projet de fiction ?                                                                                                                     - Oui...                                                                                                                                                              - Ah bon je croyais que c'était un docu ?                                                                                                        - Alors pourquoi tu me parles de fiction ?                                                                                                        Ça y est, je le tutoie. Johanna se planque derrière un sourire nerveux.                                                            - Écoute, je vais pas y aller par quatre chemins, nous on produit quasiment plus rien cette année.                                                                                                                                                                - Quasiment ou plus rien ?                                                                                                                               - Plus rien, à vrai dire.                                                                                                                                                         - OK...ça aura été encore plus rapide que je pensais."
"- T'es allé au Panier dernièrement ? Tout a changé. De leur jeunesse, il ne reste plus rien. Maintenant quand on me parle de la gentrification de la Plaine, honnêtement ça me fait sourire. Prends une photo de classe dans une école maternelle du Panier d'aujourd'hui et une photo de la même école il y a trente ans et tu verras ! Pratiquement plus aucun Arabe ou Noir. C'est comme si on avait effacé un écosystème, tranquille, en silence." 
" Je suis un facho affectif et dans Mon Monde Nazi, je trône en statue de bronze en plein milieu d'une place vide. Sur le piédestal, y a gravé toute une série de règles qu'il faut suivre pour t'éviter de passer devant mon tribunal." 
L'Iconoclaste, 296 pages. Août 2020. 

SpoilAlert ⚠️
"Je pourrais lui parler des heures, à ma ville. De ses voyous, de ses grandes gueules, de ses mecs qui valent pas un clou, de ses filles avec trop de rouge sur lèvres et de ses petits-bourgeois qui traversent jamais la Canebière. De ceux qui prennent un accent forcé en gueulant fort : « Allez l'OM ! » De ces Venants qui écrivent leur histoire sur des pancartes de manifestation et qui affirment à haute voix : « Fiers d'être Marseillais ! » Ils ont bien compris, ces sans-honte, que le plus important,  c'est pas d'être marseillais, mais de le faire croire. Et Marseille les écoute. Parce que depuis des siècles, des incapables lui disent quoi faire. Elle en a marre, elle veut se sentir désirable. Elle se tire les cheveux, les décolore. Elle voudrait ressembler à Bordeaux, Lyon ou Aix, avoir des trottoirs immaculés, des voitures bien garées et des pistes cyclables. Moi, je la trouve belle comme ça. Avec ses mots simples et ses manières de fille des rues. Mais elle s'en fout de moi. Elle a pas le temps d'écouter mes « c'était mieux avant ». Elle veut vivre, se casser la gueule et se relever, toute seule. Danser et rire avec ces tchatcheurs et ces mythos qui l'embarquent dans de grosses bagnoles et lui racontent des histoires pleines de promesses. Elle se rêve, ma ville. Mais certains soirs, derrière la cloison de sa chambre, je l'entends pleurer. Elle sait que je suis là, tétanisé d'amour. Alors, elle relève la tête, replace la bretelle de sa nuisette, s'essuie les yeux, et crie dessus : -Laisse-moi tranquille maintenant, Stress !"