"Le livre que je ne voulais pas écrire" se trouve être aussi le livre que JE ne voulais pas lire...
Par peur, par superstition...
Je ne voulais pas être poussée dans des scènes d'horreurs, poussée à larmoyer sur des émotions qu'on m'obligerait à ressentir, je voulais me protéger, faire comme si tout cela ne me concernait pas (et ne me concernerait jamais), alors non je ne voulais pas lire ce livre.
Et puis, retour de vacances, rentrée littéraire, je découvre le dernier Boualem Sansal, je ne sais pas du tout de quoi il s'agit et petit à petit, bien malgré moi il m'emmène autour du 13 novembre, alors une fois son livre refermé j'ai de nouveau posé les yeux sur "Le livre que je ne voulais pas écrire [lire]" qui trônait en bonne place sur ma table de nuit.
Courage, fuyons... euh non, lisons !
Erwan Lahrer est écrivain, il est aussi fan de musique et notamment de rock et le soir du 13 novembre il était au Bataclan pour écouter Eagles Of Death Metal en concert, et ce soir là il était seul, et ce soir là il a été blessé, et ce soir là sa vie a changé.
Il ne voulait pas écrire ce livre, il ne voulait pas témoigner, il ne voulais pas en rajouter, mais ses amis on réussit à le convaincre de poser des mots sur son histoire, cette histoire, de partager en tant qu'écrivain.
Alors Erwan nous raconte, à sa façon, ce que lui a vécu le soir du 13 novembre, parmi tant d'autres histoires. Il nous raconte simplement, librement, sans pudeur ni retenu. Il est honnête avec nous, avec lui-même, avec son entourage. Il ne se prend pas pour un héros, ni tellement pour une victime. Il était là au mauvais endroit au mauvais moment...
Le livre est un récit/témoignage où l'auteur se parle, il utilise la deuxième personne du singulier pour écrire son histoire et entre deux chapitres il y a une alternance avec des textes de ses proches qui racontent eux aussi comment ils ont vécu cette soirée, cette nuit. Cette alternance nous fait revivre la soirée heure par heure quasiment mais sans pathos. Cela nous permet aussi de voir le petit décalage qu'il peut y avoir entre les histoires, les ressentis des uns et des autres. Nous sommes tous tellement différents face à un évènement...
Je ne regrette pas cette lecture et bien au contraire je remercie l'auteur et l'amie qui m'a poussé à le lire. Malgré l'horreur absolue Erwan Larher m'a rassuré et m'a donné de l'espoir, deux choses que je croyais totalement impossible après un tel évènement.
J'ai aimé la reconnaissance qu'il a vis à vis du personnel médical et hospitalier, une reconnaissance malheureusement pas toujours assez appuyée.
Si vous êtes un peu frileux comme moi face à ce "sujet", n'hésitez plus, allez-y !
D'autant plus que le choix narratif est surprenant et tout à fait adapté.
Un coup de coeur pour cette manière si particulière de traiter ce sujet, sans grandiloquence et exagération.
"De la colère. Du courage. Des combats à mener. Contre ce qui asservit et désespère. Déshumanise. Est-il indispensable de le faire les armes à la main ou peut-on espérer gagner en montrant l'exemple, en semant, en partageant ? Comment faire vaciller les diviseurs, les affameurs, les spéculateurs ? C'est à eux qu'il faut t'attaquer, Iblis. À ceux qui nous montent les uns contre les autres. Attaque-toi à l'ignorance et à ceux qui nous maintiennent dedans. Aux écrans. À l'esprit de concurrence et de compétition. Au veau d'or. Attaque-toi aux ronds-points, aux zones commerciales, aux pesticides. Attaque-toi à l'égoïsme, à la pingrerie. Attaque toi aux pédophiles et aux conducteurs qui tournent sans clignotant. Fais-nous découvrir Ibn Khaldoun, Abd El-Kader et Oum Khalsoum. Parce que là, en tirant sur des humains à terre, en tirant dans le dos, tu n'as pas vengé tes frères tombés en Syrie, tu as servi les desseins de ceux qui font bénéfices des tensions communautaristes en Europe. Toujours chercher à qui profite le crime, qui se cache derrière Lee Harvey Oswald et Jack Ruby. Sinon, pour les décideurs de chaque camp, ceux qui alimentent dans nos villes la fabrique des monstres, tu n'es qu'un risque à prendre, une marge d'erreur, un dommage collatéral. Un pion qui ôte la vie à d'autres pions pendant que rois et reines de chaque côté de l'échiquier dorment en sécurité à l'abri de leurs tours."
Quidam éditeur, 260 pages.