Je me suis beaucoup interrogée sur les articles que je souhaite écrire, les livres dont je veux parler.

Dois-je faire un article pour chaque livre ? Ou uniquement ceux qui m'ont vraiment plu ?

La réponse je l'ai trouvé en pensant à mon club de lecture ; nous y sommes pour parler de tous les livres que nous lisons, pour échanger, discuter, alors comme l'idée est de faire un peu pareil ici, j'ai décidé de tout mettre. Il y aura donc des articles courts, des plus longs, des passionnés et des plus ternes. Certains vous donneront peut-être envie de lire le livre concerné, d'autres vous donneront peut-être envie de me convaincre...

Alors soyez indulgents, et surtout n'hésitez plus à faire un commentaire !

Au plaisir de (vous) lire.

mardi 30 janvier 2018

❤️ "Neige" de Maxence Fermine



Yuko Akita est fils de prêtre et dans la famille on devient soit prêtre, soit militaire.
Seulement Yuko aime la neige et les haïkus,
Il veut devenir poète...

Des paragraphes très courts,
Un joli conte qui se lit en quelques heures à peine,
Velouté de la neige,
Calme de la montagne,
Beauté du mot, de l'amour.

Un petit havre de paix,
Une douceur,
Une petite friandise.

"- La poésie n'est pas un métier. C'est un passe-temps. Un poème, c'est eau qui s'écoule. Comme cette rivière. Yuko plongea son regard dans l'eau silencieuse et fuyante. Puis il se tourna vers son père et lui dit :                                                                                               - C'est ce que je veux faire. Je veux apprendre à regarder passer le temps."
"Qu'est-ce que la poésie ? demanda le prêtre. C'est le mystère ineffable, répondit Yuko." 

Points, 98 pages.

lundi 29 janvier 2018

❤️ "Parmi les miens" de Charlotte Pons



Manon est l'aînée d'une fratrie de 3, Gabriel est juste derrière elle, deux ans plus jeune, et plus loin, vient Adèle, 12 ans plus jeune.
Ils sont adultes, ne se fréquentent plus tellement, chacun a sa vie, ses regrets, ses rancoeurs.

Mais voilà, leur mère, Elsa, a un accident de la route, elle est dans le coma puis dans un état semi-végétatif.

Les deux soeurs et le frère se retrouvent, avec le père, autour de cette maman qui n'en ait plus vraiment une. Chacun réagit à sa façon, selon son vécu, son ressenti, son émotion. Chacun est différent, et surtout chacun avait sa propre relation à sa mère, une relation personnelle, individuelle qui n'est pas celle des autres. Ceci est valable pour tous, et pas toujours facile à gérer en "temps normal", alors en cas de crise cela devient assez compliqué. Et de vieux ressentiments réapparaissent, les non-dits ressortent, on se blesse, on se heurt, on se fait mal.

C'est Manon qui nous raconte l'histoire, c'est elle l'aînée, celle qui ne pleure pas, celle qui est assez radical, qui "rentre dans le lard", dit ce qu'elle pense sans prendre de pincette.
"...Je sens qu'elle est sur ses gardes depuis que j'ai si crûment exprimé le fond de ma pensée, et je prends soin de ne pas entrer dans son jeu. Je réponds visite, ménage, courses et repas pour papa ; elle réplique que ça ne remplit pas une journée. Je réponds que c'est ce qu'on attend de moi, l'aînée ; elle me dit que c'est insupportable cette façon que j'ai de tout vouloir porter."
"Toujours cette méfiance dans sa voix. Mais qu'ai-je bien pu lui faire pour qu'elle me considère ainsi, comme une ennemie ? Qu'est-ce qu'elle trimballe que j'ignore ? Et quand cela a-t-il débuté ?" 
Et puis petit à petit, les semaines et les mois passant, la situation ne s'améliore guère, et certains secrets font surface, et chamboulent encore une fois les relations des uns et des autres.

Premier roman pour moi plutôt réussi, très bien écrit et très bien mené. L'histoire est assez "dur" et je me suis pas mal identifiée à Manon sur beaucoup de perspective, de façon d'agir/réagir/interagir.... parfois ce fut très troublant.
Ce livre a eu des résonances très particulières qui ont probablement fait qu'il m'a touché, qu'il m'a ému, qu'il m'a eu.

L'incipit nous jette directement dans le bain, de l'histoire et du style :
"Il y a peu de choses que je n'acceptais pas venant de maman. La voir mourir en faisait partie."
Je trouve cette première phrase très belle, en tout cas elle a beaucoup d'écho chez moi, et elle me trouble beaucoup.

Le traitement du rapport au corps, du vieillissement, de la perte d'autonomie, de la dépendance est vraiment intéressant. Ce dégoût de la peau flasque, de ce corps qui n'est plus celui de l'être aimé ou si peu. Beaucoup de questions naissent, d'interrogations sur ce que l'on ferait soi-même dans cette situation, des choix que l'on prendrait, ce que l'on ressentirait....
Mes petits bémols sont que j'aurais peut-être aimé que les personnages soient un peu plus fouillés, notamment le père, j'aurais voulu en savoir plus sur lui et son ressenti. C'est Manon qui nous raconte, c'est surtout elle que l'on découvre mais c'est vrai que son frère et sa soeur sont importants et particuliers et quelques éléments nous manquent sur leurs relations.

Flammarion, 191 pages.

vendredi 26 janvier 2018

❤️❤️ "Je me promets d'éclatantes revanches" de Valentine Goby



Lors de l'écriture d'un de ces précédents romans, "Kinderzimmer", Valentine Goby a rencontré Marie-José Chombart de Lauwe une ancienne résistante déportée.
Au cours d'un des nombreux entretiens le nom de Charlotte Delbo est prononcé pour la première fois et Valentine Goby veut tout retrouver à son sujet car elle est, elle-aussi, une ancienne résistante déportée à Auschwitz et après son retour elle a écrit pour témoigner, rendre hommage à toutes ses compagnes...
C'est ainsi que de bibliothèque en bibliothèque elle retrouve et ressort ses écrits, y compris les correspondances privées (dont elle n'a pas eu l'autorisation de retranscription dans son livre mais que l'on peut consulter à la Bibliothèque Nationale de France dans les archives du Fonds Delbo). Elle va lire ses récits, poèmes, pièces de théâtre, tout ce que l'auteur a produit après son retour du camp de Auschwitz-Birkenau.
Petit à petit Valentine Goby nous raconte Charlotte, elle lui rend un hommage, fort, respectueux. Pour elle c'est une écrivain qui a écrit comme personne sur les camps de concentration, mais aussi sur le retour, sur le long chemin du souvenir, du devoir de mémoire.

On (re)découvre une autre manière de vivre les choses, Valentine Goby nous donne un texte dans l'ensemble positif, presque rassurant alors même que Charlotte Delgo disait : "Il n'y a pas de compensation ni de consolation à la déportation. On ne revient pas meilleur. On n'est augmenté que d'effroi. La déportation est une perte sèche."
Charlotte Delbo est d'abord désemparée elle-aussi :
« [...]la vie m'a été rendue et je suis là devant la vie comme devant une robe qu'on ne peut plus mettre.»
A Jacques Chancel qui lui dit qu'on ne s'en sort plus de tout cela [les camps], elle répond : «Je crois au contraire que j'en suis sortie. Peut-être que, en l'écrivant, je le projette hors de moi.»
Pour elle la vie a été plus forte malgré le souvenir de son mari disparu, assassiné par les allemands.
C'est le hasard ou l'air du temps, mais Valentine parle aussi de Robert Antelme, l'ancien mari de Marguerite Duras lui aussi résistant déporté à Buchenwald et qui est le grand second rôle absent du film "la douleur" tiré du livre éponyme de Marguerite Duras.

En résumé nous avons ici un récit intense, intelligent, et qui nous ouvre les portes d'un écrivain peu connu et qui apparemment mérite que l'on s'attarde un peu plus sur ses écrits.
Je suis bien évidemment fortement tentée... à suivre !
"L'injonction de parler [...], voilà ce qui commande à Charlotte Delbo, en dépit des souffrances endurées et de la perte de Georges, de préférer la vie. Incarner plus que soi-même, porter l'humanité en soi."
"Qui a lu les récits et poèmes du retour livrés par des déportés sait comme il est difficile de revenir d'Auschwitz. Je veux dire revenir complètement, au-delà du corps, se délester des réflexes de la déportée, de ses peurs, repousser l'invasion quotidienne. C'est un poids terrible que la cohorte des souvenirs."
"Écrire, c'est probablement chaque fois rouvrir la blessure. Mais aussi, et là est le miracle, faire l'expérience d'un mouvement paradoxal : plus la plaie est rouverte, mieux elle cicatrise."
L'Iconoclaste, 164 pages.

jeudi 25 janvier 2018

"Ma reine" de Jean-Baptiste Andrea


Il a 12/13 ans, et vit avec ses vieux parents dans une station service au pied de la montagne, il est "bizarre", différent des autres enfants.
Le médecin a expliqué à ses parents que sa tête avait arrêté de grandir, mais lui il ressent l'inverse, c'est tellement immense ce qu'il y a dans sa tête, tout ce qui s'y passe, qu'il a besoin d'espace, il a besoin de sortir de sa tête, "toucher le ciel avec une main et la terre avec l'autre".

Cet enfant-ado se raconte, nous raconte.
Il veut partir "loin" pour faire la guerre, pour prouver à ses parents qu'il est un homme, qu'il est grand.  Car ils ont décidé de l'envoyer ailleurs.
Alors il monte dans la montagne au-dessus de la station-essence, et arrive sur un plateau immense où il rencontre Viviane, une jeune adolescente qui va devenir sa reine. Une reine bien mystérieuse.

C'est une histoire d'amitié, d'amour, de rêve, d'enfance, de différence.

Un premier roman assez inattendu, mais plutôt prometteur, une jolie histoire pas toujours rigolote, mais qui pour une fois nous met dans la tête d'un enfant qui ne pense pas comme les autres, un enfant simple, sans méchanceté, plein d'amour.
"Si les gens lui avaient posé une question qui exigeait des mots il aurait répondu, mais personne ne lui demandait jamais rien. Alors voilà, il était muet la plupart du temps. J'ai acquiescé, c'était un peu pareil à la station. La différence c'est plutôt que de devenir muet, je préférais parler à mes jouets ou laisser les mots sortir au hasard, comme ça, pour ne pas les laisser s'empiler à l'intérieur."
 "Mais j'ai reposé doucement la trousse. Quelque part pendant le trajet j'avais lâché ma colère, elle devait être dans la luzerne à sécher au soleil parce qu'elle n'était plus sur moi, elle ne m'appuyait plus sur le front et les épaules. Je n'ai pas saccagé la chambre de Viviane, je n'ai rien défait ou cassé ou renversé. Je me suis juste assis sur le rebord du lit. C'était mieux comme ça."
L'Iconoclaste, 222 pages.

dimanche 21 janvier 2018

"Frappe-toi le coeur" de Amélie Nothomb

"Frappe-toi le coeur, c'est là qu'est le génie." Alfred de Musset

C'est l'histoire de Diane.
Diane qui était belle et intelligente.
Diane que sa mère n'aimait pas.
Diane qui voulait devenir médecin.

Une première partie narre la naissance et l'enfance de Diane dans une famille un peu spéciale où tout le monde a conscience du manque d'amour maternel envers cette petite fille et que tout le monde essaie plus ou moins de combler.

Puis une seconde partie s'attache à ses années d'étude pour devenir médecin, à son mentor, Olivia avec qui elle va vivre une amitié très forte.

Comme d'habitude avec Amélie Nothomb, roman très court qui va droit au but, mais du coup je n'ai pas eu le temps de m'attacher ou de ressentir de l'empathie ; les caractères sont trop "gros" ce qui m'a empêcher d'y croire.
En fait le thème de l'enfant mal aimé par sa mère me paraissait intéressant et j'ai été déçu par la rapidité et la manière de le traiter.

Pourtant quelques jolis passages et réflexions. Bref, pour un Nothomb as usual...

"Marie eût-elle pu se conduire autrement ? Diane pensait que non. Sa mère n'avait pas assez d'intelligence, il lui était impossible de prendre du recul. À quoi cela rimerait-il d'adresser des reproches à une personne incapable de s'analyser, à plus forte raison avec tant d'années de retard ?"
Albin Michel, 169 pages.

vendredi 19 janvier 2018

❤️❤️ " Un certain M.Piekielny" de François-Henri Désérable



L'année du bac de français, F.H ne lut qu'un seul livre, La Promesse de l'aube, et sa bonne étoile lui valut d'être interrogé sur ce livre qu'il avait lu et relu.
Quelques années plus tard, suite à une série d'événements improbables, il erre par hasard dans Vilnius et se retrouve devant une plaque indiquant que Romain Gary a vécu dans cet immeuble, c'est alors que lui revient à l'esprit une phrase lu dans La Promesse de l'aube, au chapitre VII : "Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M.Piekielny..."

Dès lors le narrateur, qui n'est autre que l'auteur, va s'acharner à retrouver ce fameux M.Piekielny.
F.H Désérable nous fait replonger dans La Promesse de l'aube mais aussi et surtout dans la vie de Romain Gary, cet homme fantasque et passionnant. Et beaucoup d'éléments peuvent être lus ou relus différemment après les découvertes faites dans ce livre.

On voyage aussi beaucoup à Vilnius (Wilno), dans le temps, à l'époque de la seconde guerre mondiale; M.Piekielny a-t-il été tué d'une balle dans la nuque ? A-t-il été déporté ? A-t-il disparu dans les ghettos ?
Recherches sur le web, dans les archives de Vilnius, rien n'arrête notre intrépide auteur pourtant parfois découragé et nous suivons ses pérégrinations et questionnements tout au long de cet espèce de voyage initiatique autour de M.Piekielny et de Romain Gary.

Écrit avec beaucoup d'humour et d'intelligence j'ai dévoré ce livre que j'ai particulièrement aimé. Il y a de la recherche, de la dérision, un amour tendre envers R.G.
J'ai aimé les alternances biographie/roman, j'ai aimé être parfois perdu par l'auteur et son auteur-modèle. Pour moi le traitement du sujet et de l'idée est brillant.

Bref une découverte vraiment très chouette que je recommande !

"Elle est devenue exceptionnelle [...] La Promesse de l'aube l'a tirée de l'oubli dans lequel tombent toutes les mères. Il y a des quantités extraordinaires de mères extraordinaires qui se perdent parce que leur fils n'ont pas pu écrire La Promesse de l'aube, c'est tout. La nuit des temps est pleine de mères admirables, inconnues, ignorées, entièrement inconscientes de leur grandeur, comme le fut ma mère. Il est vrai qu'elle était exceptionnelle par le panache, par la couleur, la flamboyance, mais pas par l'amour. Elle était dans le peloton de tête, c'est tout. La mienne, au moins, a eu droit à un livre."
"[...] tu m'aurais dit que l'important c'est d'y croire, et que d'ailleurs j'y avais cru, tu m'aurais dit que c'est ça, la littérature, l'irruption de la fiction dans le réel, et parodiant la bonne vieille parade de Boris Vian tu m'aurais dit mais voyons, mon cher F-H, cette scène est vraie, puisque je l'ai inventée." 
Gallimard, 259 pages.

mercredi 17 janvier 2018

❤️ "Encore vivant" de Pierre Souchon



Pierre Souchon est journaliste pour "Le Monde diplomatique" et "L'Humanité", avec "encore vivant" il écrit son premier livre qui est un récit autobiographique au cours duquel il nous raconte sa maladie.
En effet Pierre Souchon découvre vers 20 ans qu'il souffre de bipolarité, un diagnostic qu'il lui faudra reconnaitre, admettre, accepter afin de pouvoir vivre avec, vivre malgré.

Il vient de trouver un nouveau travail, s'est marié il y a quelques mois avec Garance issue d'une famille bourgeoise parisienne, mais tout bascule, il vit une phase maniaque intense au bout de laquelle il est récupéré à moitié nu en haut de la statue de Jean Jaurès mangeant du buis...
Hospitalisé en psychiatrie il aura de nombreuses visites de son père au cours desquelles il pourra évoquer son passé, ses origines cévenols paysannes, revenir sur les possibles raisons de son mal-être, enfin accepter sa maladie, son traitement.

En nous racontant cette hospitalisation, Pierre Souchon revient sur les débuts de sa maladie, les premières crises, la première hospitalisation, la peur de ce monde (de) fou. Et comment il est arrivé à enterrer son passé pour pouvoir avancer dans sa vie à lui.

Certes une fragilité génétique est largement reconnue dans les causes de la bipolarité, mais il y a aussi des "déclencheurs", et notamment pour Pierre Souchon, on comprendra qu'en plus des "declencheurs" classiques le secret, le poids du secret, a eu un impact énorme sur son histoire.

Il nous replonge dans la condition paysanne, le pays cévennol, son enfance où l'on parlait encore l'occitan, ses grands-parents qui ont eu la vie si dure...

Un premier livre vraiment très réussi. Pierre Souchon étant journaliste, il écrit depuis longtemps mais son besoin était d'écrire un livre, il l'a fait et très bien fait. Il manie la langue brillamment. Que ce soit à l'HP ou dans les châtaigneraies cévenols, il nous transporte avec tact et finesse.
Il y a aussi de la violence, parce que ce qu'il vit, ce qu'il ressent est violent, mais c'est un magnifique plaidoyer pour ces malades et leurs symptômes pas tout à fait comme les autres, lorsque le symptôme touche l'humeur, le comportement, nous autre avons tendance à "juger".... comme il l'explique très bien lorsqu'il parle des visites qu'il n'a pas reçu de sa famille et de ses amis alors qu'il était hospitalisé et toutes celles que sa soeur a eu pour une intervention sur un organe, une maladie avec de "vrais" symptômes; toute la nuance du jugement.

J'ai aimé sa manière de se livrer, sans retenu, simplement, j'ai aimé la relation avec le père, douce et tendre, complice. J'ai aimé sa sincérité, sa franchise.

« - Il faut jamais se vanter, Chichi. Il faut être humble. Tu sais d'où ça vient, "humble" ?        - Non ?                                                                                                                                   - De humus, la terre. Comme nous. »
« C'est très intéressant, les bibles. La charité, l'attention, l'amour de son prochain, dedans c'est tout expliqué, et le prochain peut méditer dans son asile, parfois pendant trente ans, ça laisse un peu de temps. »
 « La famille Claudel, de nouveau, vide un de ses membres à l'asile. Comme ce catholique clan confit de bourgeoisie avait condamné les fulgurances et les transgressions amours d'une artiste, la laissant agoniser de faim au bout de la longue nuit de l'internement, le voici, un siècle plus tard dressé tout entier pour détruire jusqu'à la trace d'un aliéné qui avait espéré, le temps d'une noce, s'incorporer dans leur sainte trinité - vanité des vanités ! Et que crève la différence, au fond d'une piaule dénudée ou au bout d'une corde, pourvu que l'honneur de la tribu soit préservé. »
La brune au rouergue, 248 pages.

vendredi 12 janvier 2018

"Monsieur le Consul" de Lucien Bodard




Lucien Bodard est le fils d'Albert Bodard, le fameux consul, et d'Anne-Marie Greffier son épouse. Lorsqu'il écrit ce roman ses deux parents sont décédés, je le précise parce qu'à sa lecture je me suis posée la question.
Comme le titre le dit bien, c'est un bout de l'histoire du père de Lucien en tant que Consul de France et notamment à Chengdu, capitale de la province du Sichuan en Chine.
Lucien Bodard est lui-même né en Chine en 1914, il raconte ici surtout la période de son enfance où son père était consul à Chengdu à la fin des années 1910, début des années 1920.

Le roman se découpe en 5 parties pour moi assez inégales dans l'intérêt mais toutes très bien écrites.

La première partie relate l'installation à Chengdu et la vie quotidienne du consulat et de Lucien petit garçon avec son mafou et sa ahma, les voisins du consulat anglais, le pasteur et sa femme, les français de la ville... bref un quotidien pas toujours facile en ce début de siècle dans une Chine très pauvre et misérable où l'on récupère encore les excréments humains qui sont revendus pour de l'engrais,  où l'on fait des caresses intimes aux petits garçons pour les aider à s'endormir, où chaque enfant à un chien derrière ses fesses pour les lui essuyer d'un coup de langue (!), où l'on coud les yeux des grues, hérons et flamants afin qu'ils ne s'envolent pas ! Une Chine où les Seigneurs de guerre ont encore beaucoup de pouvoir et en particulier dans les provinces, et se font la guerre régulièrement. Les guerres de l'Opium ont eu lieu et cette "boue noire" circule à tout va.

La deuxième partie est plus courte et nous raconte rapidement la naissance de Shangaï, les deux premières guerres de l'Opium, la révolte des Taiping, l'installation des différents consulats et communautés (notamment les anglais et les français). Partie très intéressante d'un point de vue historique.

La troisième partie raconte la longue discussion au cours d'une nuit entre Albert et Mr Dumont un français à la solde de Mr Tu un gangster chinois maitre du marché de l'opium et de la mafia. Dumont fait un chantage à Bodard pour qu'il l'aide dans son commerce de l'opium, en échange de quoi lui-même l'aiderait pour exécuter son vieux rêve, une ligne de train reliant Hanoi à Chengdu.

La quatrième partie, la moins intéressante pour moi et que j'avoue avoir survolé, dépeint le reste de la nuit qui suit le départ de Dumont. Le consul très tendu et stressé par sa discussion s'installe pour fumer de l'opium et son délire commence....

La cinquième et dernière partie est une longue discussion qu'il a le lendemain matin à propos des négociations qu'il a entamé avec Dumont. Bien entendu son épouse, qui le méprise, n'est pas du tout en accord avec lui.

Lucien Bodard est loin d'être tendre avec son père sur lequel il a un regard très critique, même moqueur ; visiblement sa mère fait meilleure figure mais n'a malgré tout pas toujours le beau rôle.
J'ai aimé ce roman pour le côté historique de la Chine et d'une certaine époque malgré quelques passages un peu longuets.
"Et surtout, pour la première fois de ma vie, j'avais jugé mes parents. J'avais discerné la vanité bête de mon père, l'orgueil détraqué de ma mère. Tous deux étaient comme des fétus face à un destin qui allait les écraser."
Éditions Grasset et Fasquelle, 541 pages.

lundi 8 janvier 2018

"Mes pas vont ailleurs" de Jean-Luc Coatalem


PRIX FEMINA ESSAI 2017

"tous les voyages finissent en livres et tout part d'une lecture" JLCoatalem

Jean-Luc Coatalem est journaliste, écrivain, grand-reporter, grand voyageur et originaire de Brest, un peu comme le sujet de son livre, Victor Segalen.
Dans ce récit il s'adresse directement à son héros par un long et grand monologue au cours duquel il lui parle de son amour, de tout ce qu'il a accomplit, voyages et oeuvres littéraires.
Sans être vraiment une biographie - plutôt une ode (!) - il retrace les 15-20 dernières années de la vie de notre aventurier.

Victor Segalen était donc, lui aussi, originaire de Brest ; médecin engagé dans la Marine, mais aussi romancier, poète, archéologue et passionné de Chine. Il a beaucoup voyagé, découvert, rencontré. La Marine lui a permis de partir mais ce qu'il aime c'est marcher, chevaucher.

Au début du XXème siècle il est arrivé aux îles Marquises juste après la mort de Gauguin, il a ainsi récupéré quelques unes de ses oeuvres et comme lui a surtout tiré de son passage tout le mal que le monde civilisé a pu faire au peuple indigène, il en a fait un livre "les Immémoriaux".

Puis étudiant le chinois il devient élève-interprète et a pu partir en Chine - 3 séjours - où il a fait de nombreux voyages et surtout de nombreuses découvertes. Entre ses voyages il a épousé Yvonne, une brestoise de qui il aura 3 enfants.
Il meurt assez jeune (41 ans) dans des conditions qui restent plutôt mystérieuse.

Donc, donc, j'étais ravie de découvrir ce livre car avant d'arriver à Hong Kong je n'avais jamais entendu parler de ce Victor Segalen - nom porté par le lycée français de HK.
Me voici donc donnée l'opportunité de le découvrir, de découvrir ses voyages qui nous emmènent en Chine - où il rencontre un consul français pas très malin (j'essaie de lire le livre du fils !) - et aux îles Marquises où Gauguin finit sa vie (ayant lu un livre fort intéressant sur ce dernier où l'on parlait effectivement en 2 mots de Victor Segalen - Gauguin aux Marquises ).
Ainsi plein de petits rappels sur des livres déjà lus, et surtout une grosse envie maintenant de lire ce fameux Victor Segalen et notamment son roman "René Leys".

L'écriture est magnifique et on ne peut que constater que l'auteur connait son sujet, l'aime, l'idolâtre presque - il est très compréhensif et magnanime - il veut nous faire partager son engouement et franchement il est plutôt convaincant, cependant il y a quelques longueurs et répétitions qui parfois alourdissent. C'est très érudit avec beaucoup de références mais livré un peu dans le désordre,  ce qui rend, parfois, le tout un peu confus et embrouillé.

Je comprends le prix, l'oeuvre est belle, le style très travaillé, mais pour qui n'est pas intéressé par Victor Segalen c'est peut-être plus difficile à appréhender... du coup je ne peux pas recommander cette lecture à tout le monde.
"[...] Un opiomane avéré qui n'arrive plus à se défaire de son addiction. Un esthète, sinologue érudit, doublé d'un voyageur infatigable - mais, désormais, de l'avis des psychiatres et d'un neurologue, astreint à un "repos total nécessaire.""
"...nous admirions votre quête d'ailleurs et ce besoin de possibles." 
"Vous croiserez ensuite le consul Albert Bodard - le père de Lucien, le futur reporter -, qui ne vous fait pas grande impression." 
Stock, 278 pages. 

vendredi 5 janvier 2018

PETIT BILAN 2017

Et voici le bilan de cette année de lecture qui fut assez riche, beaucoup de bons livres, de nombreux moments de plaisirs et, heureusement, plus rarement de l'ennui.

(dans chaque catégorie les livres sont par ordre chronologique de lecture)

ESSAIS/RÉCITS qui m'ont particulièrement touchée :
ROMANS COUPS DE COEUR dont je veux reparler 😊:
  • Continuer, un voyage dans la relation mère-fils, au fin fond du Kirgizistan, magnifique.
  • Arrête avec tes mensonges, merveilleuse histoire d'amour, un roman splendide.
  • Point Cardinal, malgré le sujet difficile d'accès pour moi, une écriture brillante qui a su me porter.
  • Taba-Taba, du fouillis, des informations, du voyage, de la générosité, j'aime c'est comme ça. 
  • La serpe, mon chouchou, aucune objectivité, c'est magistral !
  • Marx et la poupée, un premier roman remarquable, l'Iran, encore, l'enfance, une langue sublime.
  • Le Sans Dieu, un autre superbe premier roman, voyage dans le temps, chez les pirates.
ROMANS qui m'ont beaucoup troublée (et dont je serai friande d'avis) :
  • Règne animal, une ferme, des cochons, une famille, la modernité qui s'invite, c'est brutal.
  • Qui ne dit mot consent, une relation de couple nauséabonde, on n'en sort pas indemne.
  • La chambre des époux, brrr toujours difficile d'en parler, j'ai aimé, avec des nausées...
  • Le grand marin, incroyable destin, vie, mais.... quoi je ne sais pas, trop glauque ? sale ?
Découverte de Peter May dans la catégorie policier et notamment sa série irlandaise.

Dans l'ensemble très heureuse et l'année commence très bien !!!

Je vous souhaite donc à tous une excellente nouvelle année de lecture, découverte, partage, plaisir !!!!

mercredi 3 janvier 2018

❤️❤️ « Le Sans Dieu » de Virginie Caillé-Bastide



Bretagne, 1709, Arzhur de Kerloguen voit mourir son septième et dernier enfant suite à une terrible vague de froid qui a frappé la France et provoqué une grande famine ; son épouse en perd la tête...

Quelques années plus tard nous le retrouvons dans les Caraïbes sur un bateau de flibustiers, le "Sans Dieu". Il est devenu le terrible Ombre, cruel pirate redouté de tous.

Lors de l'attaque d'un bateau il fait prisonnier un abbé espagnol avec lequel il va nouer une relation très particulière et notamment avec lequel il va échanger sur le thème de l'existence de Dieu, ou plutôt le fait de croire en lui.
En effet Arzhur a cessé de croire à la mort de son petit Jehan, et toutes les cruautés auxquelles il a assisté depuis l'ont poussé sur cette voie. Il a quitté sa Bretagne natale en maudissant la religion et détruisant l'église de village.

Bien qu'étant devenu un monstre sanguinaire (selon l'abbé), il reste un homme intelligent et cultivé, qui conserve dans sa cabine un échiquier et de nombreux ouvrages.

Il est accompagné de Morvan qui devient son second, son fidèle lieutenant sur le bateau après avoir été son fidèle serviteur dans son domaine breton.

L'écriture est très agréable et adapté à l'époque. On est embarqué sur ses bateaux qui traversent les océans et on se laisse porter.
J'ai beaucoup aimé ce livre, l'ambiance décrite, les personnages et en particulier Arzhur. La relation qu'il tisse avec l'abbé et leurs discussions ; mais aussi les personnages secondaires sont tous attachants et intéressants. Malgré leur cruauté on se lie à eux.

Partageant quelque peu les interrogations de notre héros, j'ai particulièrement apprécié les échanges au sujet de l'existence de Dieu et sur le besoin/envie de croire des hommes.

On vogue encore longtemps sur ses mers dangereuses après avoir refermé le livre, on se promène avec prudence dans les ports qui fourmillent de mille activités et dangers.
Premier roman très réussi, une belle histoire qui ne m'a pas laissé en paix.

Merci maman pour cette belle découverte 😊

Éditions Heloïse d'Ormesson, 331 pages.

"Le passeur" de Lois Lowry


Premier livre de l'année !

Première fois que je fais cela mais voici un roman jeunesse, plutôt pas mal fait.
Il n'est pas très récent car il date, je crois, des années 1990. Roman découvert grâce à mon amie Anne qui m'a convaincue de me laisser tenter par cette lecture ce que je ne regrette pas. J'espère pouvoir, à mon tour, convaincre mon ado de le lire. 😉

L'histoire se passe dans une "communauté", ici, ailleurs, on ne sait pas très bien. Notre héros, Jonas, va passer chez les douze-ans durant la cérémonie de décembre, et c'est très important car au cours de cette dernière cérémonie de changement de groupe il connaitra son affectation pour son futur travail, alors il est un tout petit peu tendu.

En effet les enfants naissent sous des numéros, on ne leur attribue un nom qu'au cours de la cérémonie de décembre au cours de laquelle chaque enfant change de groupe (d'âge). Tout est extrêmement organisé, planifié, rien n'est laissé au hasard. En effet dans cette communauté on découvre petit à petit que chaque étape de la vie est régentée, qu'il n'y a pas d'émotion, pas vraiment de famille, que tout le monde est surveillé en permanence et que finalement il n'y a pas tellement de choix ou de décision prise par l'individu, tout est Identique...

Mais au cours de la cérémonie Jonas découvrira qu'il a un statut particulier car il a un don que les autres n'ont pas et ce don lui permettra d'avoir un rôle majeur pour la communauté, un rôle essentiel qui va profondément le changer, il doit devenir le gardien de la mémoire de la communauté.

Ce conte fantastique est aussi philosophique, il aborde des thèmes très intéressants comme les émotions, les sentiments, mais aussi le groupe versus l'individu, la souffrance, le bonheur, la liberté, l'ignorance...mais aussi la mémoire, le souvenir (chose particulièrement importante et étudiée en classe de 3ème pendant les cours d'Histoire avec les deux guerres mondiales, importante car les témoins ne sont plus très nombreux et pour nos jeunes enfants cela fait parti d'une Histoire assez lointaine.)
Vaut-il mieux ignorer pour ne pas souffrir ? , est une des questions que l'on se pose parmi beaucoup d'autres.
J'ai beaucoup aimé la construction de l'histoire et la manière dont on nous amène à la réflexion, une fin peut être un peu rapide pour moi, mais c'est un roman d'ado donc... peut être une suite avec "Le fils" du même auteur, à explorer !

École des loisirs, 224 pages.