Je me suis beaucoup interrogée sur les articles que je souhaite écrire, les livres dont je veux parler.

Dois-je faire un article pour chaque livre ? Ou uniquement ceux qui m'ont vraiment plu ?

La réponse je l'ai trouvé en pensant à mon club de lecture ; nous y sommes pour parler de tous les livres que nous lisons, pour échanger, discuter, alors comme l'idée est de faire un peu pareil ici, j'ai décidé de tout mettre. Il y aura donc des articles courts, des plus longs, des passionnés et des plus ternes. Certains vous donneront peut-être envie de lire le livre concerné, d'autres vous donneront peut-être envie de me convaincre...

Alors soyez indulgents, et surtout n'hésitez plus à faire un commentaire !

Au plaisir de (vous) lire.

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lundi 22 mars 2021

❤️❤️❤️ "L'homme-chevreuil, sept ans de vie sauvage" de Geoffroy Delorme

 




Un enchainement de bonnes lectures, très différentes cela dit. 


Cette fois je me suis plongée dans une forêt de Normandie, j’ai suivi ce jeune homme qui a décidé de vivre auprès de ses amis les chevreuils. 

Un récit qui ne me semblait pas du tout être mon genre de lecture, et pourtant, quel délice, quel bonheur de découvrir la vie sauvage de nos forêts, de regarder les chevreuils et d’apprendre leurs habitudes, découvrir leur intelligence et leur capacité d’adaptation, d’observation et de résilience. 

 

 

J’ai aimé m’engouffrer dans la forêt, apprendre le nom des plantes, comment se nourrir, survivre dans la nature, mais ce que j’ai aimé le plus ce sont les histoires de rencontres et d’échanges, oui vraiment d’échanges, avec ces chevreuils qui tous portent le nom que leur a donné Geoffroy Delorme. 

 

 

C’est aussi un appel, un cri du cœur, car nous détruisons nos forêts, et avec, l’habitat et la source d’alimentation de nombreuses espèces qui vivent en paix. Il est temps de s’arrêter, d’observer, de comprendre et de RESPECTER ! 

 

 

Un récit hors norme, une vraie histoire d’amitié.

Un livre passionnant, émouvant et drôle.

N’attendez plus, lisez-le !!! 

Les Arènes, 252 pages. Février 2021

"Ce manque de considération des forestiers pour la forêt et ses habitants me désole profondément. Une forêt, c'est avant tout une communauté d'arbres qui accueille d'autres communautés végétales et animales. Lorsque l'équilibre sylvestre est ébranlé, ce sont toutes les communautés qui sont fragilisées. La forêt, c'est le reflet de la vie : complexe, mystérieuse, changeante. Elle offre à ses habitants ressources, protection, ombrage, réconfort, beauté et, surtout, elle est d'une grande importance biologique. Je peux vivre avec les chevreuils et les autres animaux sauvages non pas parce que j'applique une science mais parce que j'ai pénétré leurs secrets en comprenant l'une des oeuvres les plus magnifiques de la nature : la forêt. On n'apprend pas une langue en traduisant mot à mot. On apprend une langue grâce à la subtilité de son langage, au mode de vie des habitants du pays la parlent, sans rien comparer à ce que l'on connaît de sa propre langue. J'ai la chance de vivre avec les animaux sauvages, car je ne traduis pas la nature, je la parle.

jeudi 14 janvier 2021

"La familia grande" de Camille Kouchner

 



Je ne voulais pas lire ce livre, j’ai honte, mais je me suis dit ENCORE, 

et puis finalement ça veut dire quoi ENCORE, 

ça veut dire qu’il y a combien de voix qui se taisent ENCORE,

combien d’adultes qui profitent de leur ascendance ENCORE, 

combien d’enfants que l’on détruit ENCORE, 

combien d’autres qui savent et se taisent, acceptent et font avec ENCORE, 

quand va-t-on pouvoir enfin ne plus dire, ENCORE ?

 

 

Camille se raconte, la relation avec sa mère d’abord, cette vie dissolue, ces fêtes, ces amis, cette mère qu’elle aime tant, et ce beau-père aussi, elle l’aime, il est un père pour elle, Camille raconte cette hydre, ce serpent qui la mord, 

Camille raconte cette famille de suicidés, cette famille où le mot Liberté prend un sens si différent, qu’on n’en voudrait presque pas, de cette liberté. C’est une liberté qui empêche, une liberté qui emprisonne. 

Camille raconte le secret de son frère, l’emprise du beau-père sur lui, mais sur elle aussi, cette emprise qui bouleverse toute sa vie. 

Il n’y a ni misérabilisme ni voyeurisme, simplement des faits, des ressentis, des émotions.

 

 

Ce texte est essentiel pour ce qu’il raconte ENCORE, essentiel car il est bourré de sincérité, essentiel car il n’est pas sale, essentiel pour que les paroles se libèrent, essentiel pour que tout ça s’arrête ENFIN.

 

 

J’écris, ma lecture à peine terminée, à chaud, je le fais si rarement, quand un texte m’a profondément bouleversé par son sujet, par ses mots, par sa simplicité, sa franchise, son courage.

 

 

Alors oui il faut lire ce texte, il faut le partager, il faut soutenir ces enfants devenus grands, les regarder droit dans les yeux sans les stigmatiser, car ils sont avant tout des hommes et des femmes, avec une blessure, mais la honte doit être sur les autres, ceux qui attaquent et ceux qui se taisent, ce sont eux que plus personne ne devrait regarder.

 

 

« Ce livre m’a permise d’être en colère contre ma mère et de l’aimer immensément », les mots de Camille Kouchner sont d’une telle puissance et d’une telle simplicité.


Seuil, 204 pages. Janvier 2021

mardi 1 septembre 2020

"Le fumoir" de Marius Jauffret

 




Dans ce texte autobiographique Marius Jauffret nous fait partager son expérience de l’institution hospitalière, en psychiatrie. 

Ce jeune homme, visiblement mal dans sa peau, boit et prend quelques comprimés pour pallier son mal-être, il se connaît et sait parfois s’arrêter…jusqu’au jour où ayant encore trop bu son frère l’emmène à Sainte Anne (hôpital psychiatrique) et où comme dans un cercle infernal il voit son frère signer, presque à son insu, une hospitalisation sur demande de tiers. Il faut dire que le médecin leur a fait peur et leur a fait valoir tous les bienfaits d’une hospitalisation.

Seulement Marius pense sortir dès qu’il sera sevré de sa dernière grosse cuite (2,5g quand même…) et là il découvre qu’il ne peut pas sortir comme ça, il est enfermé alors qu’il n’a rien fait.

Il n’est pas le seul à être enfermé, certains sont là depuis des mois voire des années, sans vraiment d’espoir de se voir sortir. 

Il y a les chanceux qui ont de la famille et des connaissances, et de l’argent, et puis il y a les pauvres, seuls, sans domicile, sans travail, qui n’ont que peu d’espoir de sortir.

C’est pire que la prison dise certain, pas de travail, pas d’occupation, hormis le « fumoir » haut lieu de rencontre avec les autres enfermés et le personnel. 

 

 

Une description effrayante du système, de l’engrenage dans lequel nous pouvons tous glisser sans nous rendre compte…
Si tout ce qui est raconté est vrai alors il y a de sérieux problèmes.

Quand l’innocent a plus à prouver que le coupable qui n’est même pas en prison.

Un texte qui fait réfléchir sur nos institutions et leur fonctionnement. 

 

 

Pas de misérabilisme ni d’apitoiement, une simple constatation, un témoignage effrayant. 

À découvrir absolument !

"La plupart du temps, boire m'évite de subir mes cogitations de plein fouet. Elles se font plus vagues après quelques verres, le point central de mon attention s'accroche à l'histoire futile d'une série feel good ou, pire, à un débat politique. La plus grande partie de mes journées est consacrée à la réflexion, une terrible et intense plongée inutile dans mon for intérieur. Boire n'est pas un loisir. Boire est une nécessité sans saveur. L'alcool m'apporte une sérénité qu'il m'est impossible de trouver dans la lucidité, qui charrie inévitablement avec elle toutes les horreurs et les injustices de la société. Des injustices que j'absorbe et métabolise en acide sulfurique. Quand à l'idée de crever à cause du whisky, si je me pose la question, elle s'étiole à mesure que je bois. Avec un litre d'alcool fort par jour, c'est le foie qui s'épuisera. À moins qu'un autre organe ne lui vole la vedette, ce qui serait une injustice de plus." 

"Mais moi, le dépressif, l'excessif, le jouisseur solitaire, le handicapé social, je ris, je pleure, j'exulte, je me morfonds, je suis en haut de l'échelle ou au fond du puits, mais je suis vivant. Et j'ai le droit de vivre. Je ne suis pas une construction rectiligne. Je suis un morceau de viande flanqué de neurones qui s'agitent. Les psychiatres sont faits de la même manière que moi. Pourtant, ils croient dur comme fer que la raison les fait agir, qu'ils obéissent à une logique naturelle et en parfaite symbiose avec les attentes cartésiennes de la société. Ils se placent au-dessus de ceux qu'ils soignent. Comment être lucide lorsqu'on se sent supérieur, supérieur non par l'intellect, non par l'éducation, mais supérieur tout court, humainement ?"

"Le nombre de personnes internées sans consentement a doublé en dix ans. Aujourd'hui elles sont quatre-vingt-deux mille. Soit douze mille de plus qu'en prison. Sommes-nous devenus deux fois plus fous ? Ou vivons-nous dans une société deux fois plus sécuritaire ? Liberticide ? Plus de trois quarts des patients ne sont pas atteints par une pathologie précise. Plus de trois quarts des patients ne sont pas malades. Et dans la plupart des asiles, la chance de recouvrer la liberté après le passage devant le juge est de zéro pour cent. Les innocents sont plus nombreux dans les chambres blanches des asiles que les criminels derrière les verrous. Et, contrairement à ces derniers, ils y restent. Ils y crèvent."

 

Éditions Anne Carrière, 192 pages. Septembre 2020.

jeudi 6 août 2020

"Honoré et moi" de Titiou Lecoq

Au collège je découvre Balzac en lecture obligatoire avec « Le Père Goriot ».

Autant dire qu’à l’époque j’ai détesté et que j’en avais gardé un souvenir terrible et peu engageant sur une exploration plus poussée de l’auteur.

 

 

Et puis récemment je repère sur les réseaux sociaux le livre de Titiou Lecoq, « Honoré et moi », la couverture m’intrigue par sa couleur, par la photo de Balzac ; les éloges que je lis sur ce texte m’interpellent encore plus, puis j’écoute un entretien avec l’auteur, et le ton et les mots qu’elle utilise titillent encore plus ma curiosité, me voilà prête pour une jolie rencontre  ! 

 

 

Les aléas du temps et le hasard font que je relis « Le Père Goriot » avant, et bien entendu j’apprécie beaucoup plus cette lecture à sa juste valeur (on nous fait lire des choses pas toujours adaptées à notre maturité au collège…), donc quand enfin je reçois ce joli livre orange je me précipite !

 

 

Quelle magnifique et belle surprise !


Titiou Lecoq nous emmène à la rencontre de Balzac, le vrai, l’infortuné, le malchanceux, l’homme d’affaire raté, l’amant amoureux éternel, des chicots plein la bouche, le ventre bedonnant, le cheveux gras, aimant les objets rares et beaux, aimant la richesse, l'argent, sa mère (pas toujours).

Honoré qui pourrait passer pour un homme comme les autres ne l’est vraiment pas, en plus d’être un génie littéraire, il a été un génie du ratage, un génie de la vie. 

Titiou Lecoq nous le fait aimer tellement fort qu’on voudrait pouvoir le rencontrer, le regarder s’agiter, on voudrait l’aider, le conseiller. 

Un homme attachant, émouvant, un texte drôle et enlevé, un récit à lire parce que le soustitre aussi est merveilleux et veut tout dire,

« parce qu’il a réussi sa vie en passant son temps à la rater, Balzac est mon frère. » 


L'Iconoclaste, 295 pages. Octobre 2019

mercredi 13 mai 2020

"L'écart" de Amy Liptrot



Amy Liptrot est née dans l’archipel des Orcades, au nord de l’Écosse ; elle a grandi dans la ferme de ses parents, dans un environnement rude, intense, entre les vents violents, sur un terrain escarpé, devant une mer forte et implacable, et surtout entre un père bipolaire et une mère très très religieuse.
C’est ainsi qu’elle est devenue une jeune femme qui a voulu partir et vivre intensément, toujours en équilibre, sur le fil. 
Elle s’est installée à Londres et petit à petit entre deux boulots et deux soirées, sans s’en rendre compte elle est devenue alcoolique. 


Dans ce récit autobiographique, Amy nous raconte sa descente en enfer puis son retour à la vie lorsqu’après avoir tout perdu elle décide enfin d’arrêter de boire et de faire une cure de désintoxication. Après quelques mois d’abstinence elle retourne sur son île.


L’auteur ne mâche pas ses mots et ne se cache pas derrière des excuses, elle se livre entièrement et sincèrement. J’ai trouvé la première partie assez difficile à lire, écœurante comme si je buvais autant qu’elle ; elle décrit très bien l’addiction, et comment cette addiction dirige sa vie, ce qui peut être très difficile à comprendre. Elle voit, elle sait qu’elle se détruit physiquement, qu’elle a des comportements et des attitudes qui la mettent en danger en permanence. 
La deuxième partie se passe aux Orcades, ces îles du nord, balayées par les vents, où peu de gens vivent. Elle y passe d’abord quelques jours auprès de son père, l’aide à refaire un mur, puis prolonge son séjour pour l’aider à l’agnelage, et petit à petit elle reste, trouve un job d’été à la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds) pour laquelle elle doit parcourir l’archipel et recenser les râles des genêts (roi caille) en écoutant leur chant qu’il pousse essentiellement la nuit, et lorsque l’hiver vient, elle s’installe sur un des îlots les plus au nord qui se nomme Papay. Elle y fera de jolies rencontres autant humaines qu’animales. 


C’est un magnifique chemin de résilience que nous raconte Amy Liptrot, un chemin long et difficile mais qui l’emmène (et nous avec) dans de magnifiques paysages, sauvages, où se côtoient les moutons, les phoques et beaucoup d’oiseaux ! Elle découvre une nature différente de la vie londonienne faite de sorties, d’alcool, et de dancing, 
Un récit fort, déroutant et très intelligent. 


"Pour nous qui sommes sujets à la dépendance, l'alcool devient rapidement le moyen le plus simple de soulager l'anxiété physique et morale, et de surmonter les situations de stress. Or chaque fois que nous faisons un usage répété d'une substance narcotique, ces chemins neuronaux s'impriment si profondément dans notre encéphale qu'il nous sera impossible par la suite, de les effacer. Quoi qu'il arrive, je ne serai jamais à l'abri d'une rechute et je demeurerai vulnérable aux addictions de toutes sortes." 
"Le grand pingouin, aujourd'hui disparu, mesurait environ un mètre de haut. Le dernier spécimen de grand pingouin reproducteur vivant en Grande-Bretagne a été abattu par balle en 1813 sur l'île de Papay. Le chasseur responsable de cette prise agissait pour le compte d'un collectionneur londonien. Au cours des années mille neuf cent quatre-vingt-dix, les écoliers de Papay ont écrit et mis en scène Les Aventuriers du grand pingouin perdu, une pièce de théâtre relatant le destin tragique de cet oiseau exceptionnel." 
"Je suis née dans un foyer enclin au drame, j'ai grandi dans le mugissement du vent, au coeur d'une nature tourmentée, parmi les épaves de navires échoués, les agnelets mort-nés et les visions mystiques, avec la certitude que tout pouvait basculer à tout moment dans le chaos - excitant ou dévastateur, selon les cas. Au fil des années, ces variations d'un extrême à l'autre m'ont paru normales, voire souhaitables ; j'ai appris à m'y préparer, puis à les rechercher. N'est-il pas merveilleux de vivre au bord du monde ? L'alternative, celle de l'équilibre, m'a toujours semblé terne et sans intérêt."
"Reste l'explication la plus logique, celle d'une mauvaise habitude devenue incontrôlable. À force de boire de manière systématique pendant des années, j'ai usé mes freins, comme la falaise s'use sous le fracas répété des vagues. Quand j'ai voulu les réparer, il était trop tard - et je suis allée droit dans le mur."
"L'île est chaque jour plus petite, la falaise plus découpée et creusée plus profondément. De même, la vie est chaque jour plus triste, mais plus intéressante. Les coups et les blessures, telles des cicatrices sur le littoral, se creusent et s'effacent en permanence." 
"Boire, pour les alcooliques, n'est jamais une solution. C'est un remède inefficace, une erreur sans cesse recommencée, un train qui ne mène nulle part. Dans mon cas, quels que soient le soulagement ou l'euphorie recherchés, ils n'étaient jamais atteints." 

Globe, 336 pages. Août 2018
Traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre.

samedi 18 avril 2020

"Crazy brave" de Joy Harjo




Avec ce court récit je découvre Joy Harjo qui est une poétesse et musicienne américaine d’origine amérindienne, de la tribu et de culture creek.

Dans ce texte  elle nous livre son histoire de sa naissance jusqu’à ses vingt ans, lorsqu’elle décide de prendre sa vie en main et découvre qu’elle aime la poésie.

Quatre parties nommées selon les quatre points cardinaux, s’ouvrant chacune sur un poème qui nous donne le mot clé d’une partie de sa vie ; il y a le commencement, l’ennemi(s), le dénouement et la délivrance.
  
Ses débuts n’auront pas été faciles entre un père alcoolique et absent, un beau-père violent, une grossesse très jeune… mais elle a toujours su vivre selon son instinct, son système d’alarme et respecter le plus profond de son âme. Elle a fait ses choix et les a assumés.

Âme qui revêt une importance toute particulière lorsqu’elle se mêle à sa culture amérindienne très forte.
L’autre monde y est très présent, ainsi que l’âme et ses voyages.

C’est un livre un peu particulier et j’aurais des difficultés à en parler sans avoir un échange, je ne suis pas certaine d’avoir perçue toutes les subtilités et je suis restée un peu en dehors malheureusement.
Il y a de très très beaux passages qui m’ont beaucoup touché mais j’ai aussi ressenti une certaine distance et froideur dans le texte. 
J’ai particulièrement aimé les poèmes et surtout les petits « contes » qui se trouvent au milieu et qui sont un autre moyen de se raconter, je les ai trouvé plus fort, plus plein d’émotions. 


❀❀❀
"En vérité, chacun de nous est seul, devant ses gouffres de tristesse..."
"Lors de sa venue au monde, chaque âme est accompagnée. Généralement, c'est un ancêtre avec lequel l'enfant partage des traits de caractère et des dons particuliers."
"Vers l'âge de treize ans, j'en ai eu assez de tous ceux qui se servaient de la Bible pour prouver la supériorité des Blancs et imposer la domination des femmes par les hommes, et je ne supportais plus l'interdiction de danser ni les mises en garde contre les prophéties et les visions."
"Je préférais voir en Dieu un bien-aimé plutôt qu'un homme blanc colérique et déterminé à détruire tous ceux qui ont de l'imagination."
"Nous étions tous des «Peaux-Rouges», embarqués dans un même voyage et en pleine métamorphose, confrontés aux mêmes traumas liés à la colonisation et à la déshumanisation. Nous étions la preuve vivante du combat de nos ancêtres. " 
 ❀❀❀
Globe, 163 pages. Janvier 2020
Traduction de Nelcya Delanoë et Joëlle Rostkowski.

lundi 13 avril 2020

❤️❤️❤️ "La panthère des neiges" de Sylvain Tesson




Dans ce récit, Sylvain Tesson nous livre ses observations et pensées lors d’un voyage qu’il a fait au Tibet, sur le haut plateau de Chang Tang au pied du mont Kunlun. Un voyage un peu particulier car invité par Vincent Munier, photographe animalier, il partait se mettre à l’affût de la panthère des neiges. Avec Munier et Tesson,  Marie, cinéaste-animalière (et fiancée de Munier) et Léo aide de camp de Munier - après avoir abandonné sa thèse de philo. Quel drôle d’équipage !

Les voilà à plus de 4000 m d’altitude dans une nature sauvage, aride, gelée mais tellement vivante. Vivante de tous ces animaux qui déambulent à peu près librement -malheureusement les braconniers font tout de même partis de cette réalité.
Il y a des gazelles, des ânes sauvages, des renards, des loups, des yacks, des kiangs, des pikas, des chirous, des chèvres bleues, de multiples oiseaux du plus petit au plus gigantesque tels les vautours et aigles royaux…
Partir en hiver, car c’est l’hiver que les panthères sont en rut, qu’elles sortent, qu’on a une chance de les apercevoir…

Ainsi en étant à l’affût, ils sont contemplateurs, observateurs, témoins de cette force de vie magnifique !
Le plaisir est presque plus dans l’attente, l’attente décuple la joie du moment de l’apparition.


Un livre qui parle de montagne, d’animaux, de contemplation, d’attente, de patience, de philosophie : la vie.
Que fait l’homme, quelles traces laisse-t-il ? Un livre pour ouvrir les yeux ?
Il y a l’aventure physique, géographique mais aussi cette aventure du questionnement sur l’humain, la vie.

Une très belle analyse de l’Homme en tant qu’être humain qui veut tout et son contraire, qui est un éternel insatisfait, lui-même ne se met pas en dehors de cet être humain là, ce n’est pas un jugement des autres mais bien de la nature humaine.
Une critique qui à lire aujourd’hui, au moment où nous vivons le confinement, est assez intéressante. En espérant que notre mémoire ne nous joue pas de mauvais tour à la sortie de cette crise….

Un livre court, mais dense, très dense.
Ce fut pour moi un voyage lent, progressif, j’ai pris le temps de relire des phrases entières, plusieurs fois.
D’en recopier…parce que la langue est belle, finement maniée, utilisée.

Je découvre cet auteur avec son écriture si belle et si simple à la fois ; le vocabulaire est précis, imagé, il sait stimuler notre imaginaire, on voit, ressent, entend…. On y est !


C’est un livre qui pendant sa lecture m’en a remémoré de très beaux, tel « Voyage d’une parisienne à Lhassa » de l’extraordinaire Alexandra David-Néel, ou encore « Sur les pas d’Alexandra… », le très beau « Funérailles célestes » de XinRan ainsi que le récit de Paolo Cognetti « Sans jamais atteindre le sommet ». Tous ces livres qui nous font voyager dans le monde et près de nos âmes.

"L'affût est un pari : on part vers les bêtes, on risque l'échec."
"la montagne était immobile, l'air pur, l'horizon vide. D'où un troupeau aurait-il débouché ? "
"Il célébrait la grâce du loup, l'élégance de la grue, la perfection de l'ours. Ses photos appartenaient à l'art, pas à la mathématique. "
"...je m'étais dit qu'il était fort dommage d'affubler du même nom de chasseur l'homme éventrant le mammouth d'un coup d'épieu et le monsieur à double menton distribuant sa volée de plombs à un faisan obèse, entre le cognac et le chaource. "
"On pouvait d'échiner à explorer le monde et passer à côté du vivant."
 "Alors l'inétendu s'étendit, l'ineffable connut le décompte, l'immuable s'articula, l'indifférencié prit des visages multiples, l'obscur s'illumina. Ce fut la rupture. Fin de l'Unicité !"
 "Avec Munier je commençais à saisir que la contemplation des bêtes vous projette devant votre reflet inversé."
"...l'une des traces du passage de l'homme sur la Terre aura été sa capacité à faire place nette."
" C'étaient des totems envoyés dans les âges. Ils étaient lourds, puissants, silencieux, immobiles : si peu modernes ! Ils n'avaient pas évolué, ils ne s'étaient pas croisés. Les mêmes instincts les guidaient depuis des millions d'années, les mêmes gènes encodaient leurs désirs. Ils se maintenaient contre le vent, contre la pente, contre le mélange, contre toute évolution. Ils demeuraient purs, car stables. C'étaient les vaisseaux du temps arrêté. La Préhistoire pleurait et chacune de ses larmes était un yack. Leurs ombres disaient : "Nous sommes d'ici et de toujours. Vous êtes de la culture, plastiques et instables, vous innovez sans cesse, où vous dirigez-vous ?""
"Aussitôt que nous l'apercevions [la bête], une paix montait en nous, un saisissement nous électrisait. L'excitation et la plénitude, sentiments contradictoires."
" Le cheminot défend le cheminot. L'homme se préoccupe de l'homme. L'humanisme est un syndicalisme comme un autre." 
Gallimard, 167 pages. Octobre 2019.

jeudi 2 avril 2020

"Boy Diola" de Yancouba Diémé






Dans ce premier roman, Yancouba Diémé raconte l’histoire de son père entre son village natal en Casamance au Sénégal et sa vie d’adulte et de famille en région parisienne.

« Boy Diola » est le surnom de ces jeunes hommes qui quittent leur village et leur forêt pour aller à Dakar - en ville - trouver du travail, c’est un surnom à la fois moqueur et affectueux.
Diola, c’est le peuple de riziculteur d’où vient Apéraw, le père de l’auteur. Mais dans les années 50 le niveau de pluie diminue fortement et atteint gravement ces agriculteurs, d’où un départ des jeunes pour la ville.

Une fois à Dakar Apéraw fera de multiples petits boulots avant de s’embarquer sur un bateau direction Marseille puis Paris. 

Une vie nouvelle commence pour lui en banlieue bien sûr, à l’usine évidemment. 

Il fera venir de Casamance sa première épouse, puis une seconde ; neuf enfants naitront de ses unions et rempliront la maison. 

Malgré son ardeur au travail Aperaw subira les aléas de la vie, avec perte d’emploi, huissier, maladie.


Très pudiquement Yancouba Diémé nous livre l’histoire de son père, celle de sa famille et par conséquent celle de toute une génération d’africain venu chercher du travail en France. Tout en nous racontant son histoire personnelle il nous parle aussi de la grande, celle de l’immigration africaine, il nous parle d’exil, de départ, de familles qui restent au village, et puis il y a les retours avec leur lot de joie et de tristesse car il manque toujours quelqu’un.
C’est une histoire de transmission familiale, d’origine et puis d’adaptation. 

La partie sur l’administratif, sur le « numéro 44 » m’a particulièrement touchée ; en effet Aperaw ne connaît pas sa date de naissance et cependant en France il faut cette date, pour tout, tout le temps, il ne comprend pas pourquoi on veut le réduire à un numéro, alors il décide d’être le « numéro 44 ».


"On nous a ramassé pour venir travailler en France."
"Le temps de avant-avant échappe à la datation. Il trouve sa raison d'être dans l'oubli."
"Nous venons par devoir, par respect, pour la transmission, nous sommes vos enfants, vos frères." 

Flammarion, 188 pages. Août 2019.

mercredi 4 mars 2020

"À mains nues" de Amandine Dhée




Dans ce récit, Amandine Dhée nous fait part de son expérience de femme au regard du sexe, du désir, de l’amour. 
⊱⊰⊱⊰⊱⊰
La narration est intéressante avec des chapitres très courts qui se succèdent entre le « je » du présent, et le « elle » du passé.
Ainsi on découvre comment petit fille puis adolescente et jeune femme elle a fait face au désir naissant, à cette vibration du bas ventre mais aussi à toutes les questions qui viennent autour et avec. 
Le quoi, le comment, le qui ?
La découverte des garçons, des filles, du gynéco
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Aujourd’hui elle est en couple, elle a un petit garçon et se pose encore la question du sexe, de l’amour, quand on vit dans son train-train quotidien, quand on vieillit…
Elle a peur, veut se rassurer… 
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Cherche-t-on ses propres limites toute la vie, sont-elles en évolution constante ?
Doit-on avoir une vie sexuelle libre ? Continue-t-on à désirer et pratiquer l’acte sexuel en vieillissant, même avec la peau moins tendue, plus plissée….
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On perçoit bien aussi que cette question du désir, du corps féminin, du sexe, évolue encore plus vite ces dernières années avec l’évolution des droits de la femme, le féminisme, les metoo et balancetonporc.
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Un récit fort et intense, un récit dans lequel nous pouvons chacun et chacune nous retrouver. 

C’est un livre intime,
mais celui de toutes les femmes.

J’ai aimé le style, j’ai aimé le texte, j’ai aimé le questionnement où chacun finalement apportera sa réponse, mais où, c’est sûr, le meilleur est à venir !!

 La contre allée, 136 pages. Janvier 2020. 

mardi 3 mars 2020

❤️❤️❤️ "Avant la longue flamme rouge" de Guillaume Sire



Dans la tête de Saravouth il y a tout un monde qui existe, qu'il fait exister, qu'il construit, bâtit, en permanence grâce à ce qu'il voit chaque jour, grâce aux histoires merveilleuses que sa maman lui raconte - Peter Pan, l'Iliade et l'Odyssée - et dans ce monde il essaie d'y inviter sa petite soeur Dara qui est une petite fille pleine d'énergie mais aussi de violence et de force.

Nous sommes au début des années 70 à Phnom Penh au Cambodge, et le pire est à venir...
C'est la guerre civile qui mettra le jeune Saravouth à terre alors qu'il est à peine âgé de 11 ans.

Il est issu d'une famille cultivée ; le père travaille au ministère de l'agriculture et la mère est professeur de littérature, c'est elle qui fait découvrir à ses enfants le monde merveilleux des livres et de ce fait de l'imaginaire et des histoires. Monde dans lequel son jeune garçon plonge.

La chute approche, Saravouth va se retrouver seul, il n'aura de cesse de retrouver sa famille dans une Phnom Penh à feu et à sang.

Sur son long chemin il croisera des personnes qui l'aideront et d'autres moins bienveillantes, et ce jeune garçon deviendra un jeune homme au milieu de la guerre, de la misère, de la violence...

Par les mots, par les images, dans son royaume il s'accroche à des fils, il les remonte lentement, sans trop tirer pour ne pas les casser.

Ce livre est bouleversant, et magnifique !
- parce que la vie de ce petit garçon (tirée d'une histoire vraie) est déchirante,
- parce que Guillaume Sire écrit tellement, tellement bien. C'est une plume que je découvre mais qui m'a faite rêver. Dans la lecture j'aime les histoires mais aussi la langue, et là la langue est tout simplement belle.

Calmann Levy, 332 pages. Janvier 2020

mardi 21 janvier 2020

"Les yeux rouges" de Myriam Leroy



Dans ce roman semi-autobiographique, Myriam Leroy raconte l'histoire d'une journaliste harcelée sur les réseaux sociaux par un homme sans limite.
Elle a utilisé sa propre histoire et celles d'autres personnes pour écrire ce roman.
La construction est assez intéressante car on entend essentiellement la voix du harceleur.

Au démarrage il est plutôt bienveillant, gentil, puis un peu insistant et lourd. On perçoit la menace sous-jacente qui monte petit à petit. Jusqu'à ce qu'elle le retire de sa liste "d'amis" et qu'il pète complètement les plombs et en fasse sa cible numéro un sur sa page Facebook ainsi que dans les multiples comptes twitter qu'il se crée.

La journaliste est évidemment victime de de remarques machistes, d'insultes, sa photo est postée retouchée de façon assez immonde, et elle a du mal à prendre du recul, elle ne peut s'empêcher de vérifier ce que cet homme écrit ainsi que les commentaires nauséabonds de ses "followers".

J'ai du mal à savoir si j'ai aimé ce livre car j'ai plusieurs fois été gênée, notamment par la critique permanente de l'entourage qui du coup pousse en arrière-plan la mise en abîme de la victime, et sa lente descente en enfer alors que c'est le sujet important. C'est peut-être moi qui me suis focalisée là dessus mais malheureusement c'est la lecture que j'en ai eu.

Il n'en est pas moins que c'est un livre glaçant sur les risques réels de cyberharcèlement et qui peut être vraiment intéressant à lire, notamment par nos ados qui parfois ne se rendent pas compte des risques qu'ils prennent sur le net.

En revanche je n'ai ni compris, ni apprécié la fin.

Seuil, 188 pages. Août 2019

vendredi 10 janvier 2020

❤️❤️❤️ "Les mains du miracle" de Joseph Kessel




Mais comment cela se fait-il que je n'ai pas lu ce livre avant ?!!
Comment cela se fait-il que ce livre ne soit pas lu à l'école ?!

Félix Kersten, dont les origines familiales ont traversé toute l'Europe, vit en Hollande et a un passeport finnois.
Après quelques tergiversations en tant que jeune homme il a fini par trouver sa voie dans la médecine et en particulier dans le massage thérapeutique.
Ses mains sont des fées magiciennes qui soignent et soulagent, et très vite leur réputation dépasse les frontières de la Hollande où il s'est installé.
Alors un très bon ami lui demande de soigner Himmler, le second de Hitler, qui représente tout ce qu'il exècre.
Ne pouvant refuser, Kersten soigne Himmler, et le soigne si bien que ce dernier en fait son médecin personnel.
Ce qui pour l'homme aux mains miraculeuses est au départ un évènement terrible devient petit à petit une opportunité magnifique de faire le bien en manipulant (dans tous les sens du terme), le petit homme sec et nerveux, ce monstrueux criminel.

En effet, au fur et à mesure des soins, Kersten prend un ascendant énorme sur Himmler et parvient à lui faire accepter de libérer des hommes, d'en épargner d'autres, de ne pas organiser la déportation de 3 millions de hollandais.... il devient un des hommes les plus influents en négociant avec Himmler et les suédois pour sauver le plus grand nombre, et notamment à la fin de la guerre.

Sous la plume magnifique de Kessel on voit naitre cette relation si étrange, on prend peur pour le docteur qui prend des risques, on est écoeuré de l'attitude de ce fou qu'était Himmler qui de son bureau ordonnait les atrocités les plus abjectes dans le seul but de plaire et d'obéir à son dieu (Hitler...).

Un roman passionnant, puissant, à découvrir absolument, pour l'histoire dans l'Histoire, mais aussi parce que finalement même au pire du pire il y a toujours des hommes courageux, forts, déterminés, valeureux, prêts à se sacrifier pour sauver le plus grand nombre simplement parce qu'ils sont bons.
Un roman dans lequel on découvre le pire comme le meilleur de l'espèce humaine.

Au début du livre Kessel nous explique comment on lui a parlé de Félix Kersten, la difficulté au départ pour lui de croire à cette histoire, en effet inconcevable, et finalement sa rencontre avec le docteur qui avait conservé tout un tas de documents prouvant ces actes.
Cet homme est un héros dont je n'avais jamais entendu parler, c'est bien triste que l'on ne retienne pas aussi son nom.
Mais je suis heureuse maintenant d'avoir lu ce livre et découvert son histoire !

Folio, 400 pages. 1960

jeudi 10 octobre 2019

"Le Ghetto intérieur" de Santiago H. Amigorena


Vicente Rosenberg, juif originaire de Pologne, a émigré en Argentine en 1928 pour y trouver un meilleur avenir.
Il y rencontre celle qui deviendra sa femme et la mère de ses enfants, Rosita.
Il travaille dans un magasin de meuble pour son beau-père.
Sa vie est paisible, il est amoureux, heureux, et a deux bons amis qui ont émigré en même temps que lui.

Mais voilà qu'en Europe le nazisme se déchaine, la guerre fait rage et Vicente s'inquiète pour sa famille. Pour sa mère notamment, qui est bientôt enfermée dans le ghetto de Varsovie, et pour son frère qui est avec elle.

Vicente a quitté l'Europe pour découvrir autre chose, mais aussi probablement pour fuir une condition, celle d'être juif dans une Europe largement antisémite, fuir aussi sa mère, il me semble, trop présente.
Lorsque les lois antisémites sont déclarées il demande à sa mère de venir le rejoindre, mais elle ne veut pas abandonner ses deux autres enfants, il propose mais sans trop insister.
J'ai aimé ce point de vu, un peu nouveau (bien que déjà abordé dans les Déracinés), des juifs qui sont loin et n'ont pas à subir l'ire nazi. Nécessairement nait une culpabilité de ce que vit le peuple juif et dont on est éloigné, et d'un coup Vicente qui ne se sentait pas particulièrement juif ne devient plus que juif, il n'est plus rien d'autre qu'un juif. J'ai trouvé l'approche de cette question vraiment très intéressante et particulièrement bien traitée.
Mais cela entraine chez Vicente une entrée en le silence, la culpabilité le ronge au point qu'il ne peut plus prononcer un mot, et ce n'est pas que cela, il ne fait plus rien dans sa famille, il ne s'occupe plus ni de sa femme ni de ses enfants.
Et c'est là où j'ai un petit peu de mal à comprendre le processus, il culpabilise d'avoir en quelque sorte abandonné sa famille en Europe (bien que non responsable de l'antisémitisme ambiant) et cette culpabilité fait qu'il abandonne sa propre famille ici, là, celle avec laquelle il vit. Il abandonne sa femme et ses enfants en étant totalement absent à lui-même et à ses proches. L'histoire est vraie puisqu'il s'agit de celle du grand-père de l'auteur, mais j'avoue ne pas avoir réussi à avoir d'empathie pour lui. Au début oui, mais lorsqu'il se renferme totalement sur lui et tourne le dos à ses proches là je reconnais que je n'y arrivais plus.

Je reste donc indéterminée sur ce roman et ne peux malheureusement pas partager les avis dithyrambiques.
En revanche c'est un très beau texte, merveilleusement écrit même si j'y ai trouvé quelques longueurs.
Un roman qui mérite d'être lu et découvert malgré mon avis mitigé.
"À partir de ce triste mois de mars 1941, Vicente allait éprouver une double haine de lui-même : il allait se détester parce qu'il s'était senti polonais et il allait se détester davantage encore parce qu'il avait voulu être allemand. Il allait éprouver une double haine de lui-même que jamais le fait de se sentir juif n'allait soulager. « Pourquoi jusqu'aujourd'hui j'ai été enfant, adulte, polonais, soldat, officier, étudiant, marié, père, argentin, vendeur de meubles, mais jamais juif ? Pourquoi je n'ai jamais été juif comme je le suis aujourd'hui - aujourd'hui où je ne suis plus que ça. » Comme tous les Juifs, Vicente avait pensé qu'il était beaucoup de choses jusqu'à ce que les nazis lui démontrent que ce qui le définissait était une seule chose : être juif. "
"Être juif, pour lui, n'avait jamais été si important. Et pourtant, être juif, soudain était devenu la seule chose qui importait.  « Mais pourquoi je suis juif ? Pourquoi, aujourd'hui, je ne suis que ça ? Pourquoi je ne peux pas être juif et continuer d'êtretout ce que j'étais auparavant ? »"
" ...les nazis ne tuaient pas les Juifs parce qu'ils étaient polonais, vieux, inutiles, blonds, mariés, célibataires, boiteux ou parce qu'ils avaient mauvaise haleine : ils les tuaient parce qu'ils étaient juifs. En 1941, être juif était devenu, grâce à ceux qui cherchaient à les exterminer, la condition fondamentale de millions de personnes qui, comme Vicente, n'avaient jamais accordé une grande importance à cette caractérisation, à cette appartenance mi-religieuse, mi-ethnique, et trois quarts n'importe quoi. En 1941, être juif était devenu une définition de soi, qui excluait toutes les autres, une identité unique : celle qui déterminait des millions d'êtres humains - et qui devait, également, les terminer."
"Vicente avait été un homme installé : quarante ans, marié, deux filles et un fils, des amis, un magasin qui marchait, une ville qui ne lui était plus étrangère. Il avait été un homme comme plein d'autres hommes, heureux et malheureux, chanceux et malchanceux, vif, fatigué, présent, absent, souvent insouciant, parfois passionné, rarement indifférent. Il avait été un homme comme tant d'autres hommes, et soudain, sans que rien n'arrive là où il se trouvait,  sans que rien ne change dans sa vie de tous les jours, tout avait changé. Il était devenu un fugitif, un traître. Un lâche. Il était devenu celui qui n'était pas là où il aurait dû être, celui qui avait fui, celui qui vivait alors que les siens mouraient. Et à partir de ce moment-là, il a préféré vivre comme un fantôme, silencieux et solitaire."
P.O.L, 191 pages. Mai 2019


vendredi 5 juillet 2019

"Trois petits tours" de Hélène Machelon



Le livre commence avec l'annonce du décès de Rose, une petite fille, très jeune, hospitalisée depuis de longs mois à l'hôpital Necker dans le service très spécial d'immunologie pédiatrique ; il se termine avec son enterrement.

C'est un roman polyphonique où l'on découvre différents personnages qui interviennent entre ces deux moment où les parents doivent décider de tout arrêter et jusqu'aux funérailles.

Il y a la pédiatre, Mademoiselle Sardine la clown du service, l'infirmière, Aline une autre maman, la dame de l'administration, l'aumônier, le thanatopracteur et la vieille tante.

Chaque personne a son importance dans ce processus.
Chacun parle, se raconte, sa vie, son métier, son lien à Rose ou ses parents en fil ténu, discret. Et juste après chaque personnage il y a la voix de la maman, comment elle vit les choses, ce qu'elle ressent face à son histoire et aux différentes rencontres.
Chacun porte son fardeau, sa douleur, sa détresse.

On le sait dès le départ c'est une auto-fiction, dont les parents sont les seuls personnages réels. Le sujet n'est pas vraiment nouveau mais ici la forme choisie est très intéressante et donne à ce livre une originalité, une délicatesse qui maintient le pathos à bonne distance.

Il est très intéressant de voir comment chaque personnage vit son quotidien à l'hôpital, au contact des enfants, de la maladie, de la mort. Une très bonne analyse des rencontres de deux êtres humains avec chacun son passé, son histoire et du coup sa manière de vivre les choses et de les transmettre, j'aime cette perspective qui donne une ouverture à l'autre et nous oblige, nous lecteur, à plus d'humanité, de respect et moins de jugement.

J'ai particulièrement aimé le personnage de la "peau de vache", c'est à dire la dame de l'administration, qui n'est pourtant pas très appréciée de son entourage et de ses collègues, mais lorsqu'on découvre sa vie c'est tout autre chose.
Un bel hommage rendu à tout le personnel de l'hôpital dans les personnages rencontrés, ils sont humanisés, vivent des émotions et des sentiments, ce que parfois on oublie, ils sont des hommes et des femmes comme les patients et leur famille.

Le père n'est pas très présent dans ce texte et c'est vrai que j'aurai aimé plus le ressentir mais il y a des questionnements intéressants par rapport au couple ou à la foi.

L'écriture est très jolie et vraiment agréable à lire, on est ému, touché par ce récit, j'espère que cette auteur ne s'arrêtera pas là !

Librinova, 125 pages.



mercredi 3 juillet 2019

"Sans jamais atteindre le sommet" de Paolo Cognetti


" Qui a vu le mont Kailas du haut de la cime inviolée de la Montagne de Cristal ? "

L'auteur de "Le garçon sauvage" et de "Les huit montagnes" nous fait partager ces carnets de voyage dans l'Himalaya.
En 2017, pour ses 40 ans, il décide de partir avec des amis ; l'expédition doit atteindre Shey Gompa "le monastère de Cristal" en partant du lac Phoksundo, et doit durer un mois. Ils sont au nord-ouest du Népal sur la terre du Dolpo en bordure du Tibet.
Un mois de marche à des altitudes extrêmes, un mois au bout du monde, un mois en relisant le livre qui l'a poussé jusque là.
Le livre c'est "Le léopard des neiges" de Peter Matthiessen qui fit lui-même ce voyage, Paolo Cognetti marche sur ses traces tout en relisant son texte, certaines choses n'ont pas changé, sont immuables, c'est beau.
Sans jamais atteindre les sommets ils franchiront pourtant des cols à plus de 5000 mètres d'altitude, une difficulté particulière pour l'auteur qui à partir de 3000 mètres ressent déjà des effets négatifs sur son organisme.

Paolo Cognetti sait nous raconter la montagne, les paysages incroyables qu'il traverse, les gens qu'il rencontre, il nous donne envie de le suivre, d'être dans son ombre et de partager avec lui ses moments. On ne croise pas de léopard mais des chèvres, des oiseaux, des chiens... peut-être une réincarnation ?

J'aime l'idée de cette longue marche dans la haute montagne sans pour autant essayer de grimper au sommet, d'atteindre les dieux, j'aime la simplicité face à l'immensité, j'aime ces villages traversés et découvrir ces peuples qui vivent si haut.
J'ai aimé aussi avoir dans un coin de la tête le voyage d'Alexandra David-Néel que je vous recommande vivement "Voyage d'une parisienne à Lhassa".

Un livre qui nous transporte loin, très loin, dans l'infini.

"Mais il ne fut pas bon prophète quand il écrivit, à propos de Saldang : « Un jour les hommes se lasseront de tirer une si maigre subsistance de ces hauts plateaux glacés et les derniers vestiges de l'ancienne culture tibétaine disparaîtront au milieu des pierres et des ruines. » Il faisait erreur : ce ne seraient pas les mauvaises récoltes qui causeraient leur perte - c'était le lot des montagnards depuis toujours. Je corrigeai donc son propos : « Un jour les hommes construiront une route directe pour la Chine, des camions remplis de marchandises et de passagers clandestins traverseront la région, des baraques de toutes sortes surgiront le long de la vallée, le lit de la rivière ne sera plus qu'une décharge, et les derniers vestiges de l'ancienne culture tibétaine disparaîtront au milieu des immondices et des téléphones portables. »"
"Qui a vu le mont Kailas du haut de la cime inviolée de la Montagne de Cristal ? Trouve la réponse dans ces montagnes russes : parce que tu perdras tout ce que tu as cru gagner, dis-toi que le sentier est bien plus précieux que le sommet. Trouve un sens dans chaque pas. Dans cette concentration."

La cosmopolite Stock, 160 pages.
Traduit de l'italien par Anita Rochedy.

dimanche 9 juin 2019

❤️❤️❤️ "À la ligne Feuillets d'usine " de Joseph Ponthus


"J'écris comme je travaille
À la chaîne
À la ligne"

L'auteur a un parcours assez atypique
des études de littérature
travailleur social
puis intérimaire en Bretagne dans des usines agro-alimentaires
conserverie de poissons et abattoir
dépoteur de chimères
égoutteur de tofu
trieur de crevettes
cuiseur de bulots
nettoyeur d'abattoir
découpeur de porc
trieur de demi-vache

La ligne de production
la ligne d'écriture
il faut aller vite
vite
les horaires
décalage permanent
la force
la douleur du corps
la précarité de l'emploi
du temps et du transport
À la maison l'amour
l'épouse et le chien
Le mélange des genres
le mélange des mots et des poissons
le mélange de la poésie et de l’humour
parfois coquin

Un livre, un essai, un récit, un témoignage écrit comme un long poème en vers libres, sans ponctuation, dans le souffle de l'usine, de la ligne de production.
Joseph Ponthus nous raconte ainsi son quotidien, la difficulté de trouver un emploi dans son domaine et comment il se retrouve ouvrier dans les usines agro-alimentaires de Bretagne, pour gagner de l'argent. Il nous raconte les difficultés, physiques, d'organisations, les horaires, les collègues...

La forme utilisée est tout simplement parfaite pour le sujet, parfaite pour cette écriture à la fois dure, crue, incisive, brillante, intelligente, mais aussi pleine d'humour et de tendresse.
J'ai rarement autant ri en lisant un livre, je suis revenue en arrière pour relire, les jeux de mots sont fins, malins, ce n'est même plus du second degré, on vole haut, très haut dans la littérature, dans la langue, les mots, les phrases.

J'ai tellement tellement aimé !!!
Je lis pour ce genre de livre, sur lesquels on tombe un peu par hasard, sans savoir à quoi s’attendre.
Pour la surprise, la stimulation de l’intellect, l’ouverture sur un monde (ouvrier) inconnu.

Je me suis régalée, délectée,
je ne peux que recommander
mon enthousiasme est sans fin
J’attends, j’espère que Joseph Ponthus nous fera revivre d’aussi belles découvertes.

"À l'agence d'intérim on me demande quand je peux commencer
Je sors ma vanne habituelle littéraire et convenue
« Eh bien demain dès l'aube à l'heure où blanchit la campagne »
Pris au mot j'embauche le lendemain à six heures du matin"
"J'échafaude des contraintes qui me semblent bien sonner
Égoutteur de tofu
Et fauteur de dégoûts"
"Le temps perdu
Cher Marcel je l'ai trouvé celui que tu recherchais
Viens à l'usine je te montrerai vite fait
Le temps perdu
Tu n'auras plus besoin d'en tartiner autant"
"Le chauffeur me demande si je suis un chef pour aller comme ça à l'usine en taxi
Je lui réponds que je suis le fils d'Agnès Saal mais
il n'a pas l'air de capter ma vanne"
"L'autre jour à la pause j'entends une ouvrière dire à un de ses collègues
« Tu te rends compte aujourd'hui c'est tellement  speed que j'ai même pas le temps de chanter »
Je crois que c'est une des phrases les plus belles
les plus vraies et les plus dures qui aient jamais
été dis sur la condition ouvrière
Ces moments où c'est tellement indicible que l'on
n'a même pas le temps de chanter
Juste pour voir la chaîne qui avance sans fin l'angoisse
qui monte inéluctable de la machine et devoir
continuer coûte que coûte la production alors que
Même pas le temps de chanter
Et diable qu'il y a de jours sans"
"Je le dois à l'amour
Je le dois à ma force
Je le dois à la vie" 



La Table Ronde, 263 pages.

jeudi 18 avril 2019

"L'empreinte" de Alexandria Marzano-Lesnevich



Alexandria fait des études de droit car elle veut devenir avocate, comme ses parents.
Depuis toujours elle est contre la peine de mort et c'est pourquoi elle choisit de faire un stage dans un cabinet d'avocats en Louisiane spécialisée dans la défense des condamnés à mort.

Le premier cas auquel elle se trouve confronté va changer sa vie, c'est celui de Ricky Langley qui a assassiné le 7 février 1992 le petit Jeremy Guillory âgé de 6 ans.
Ricky Langley n'a pas encore trente ans mais a déjà été arrêté pour pédophilie.
Pour Alexandria c'est un choc qui la renvoie à sa propre histoire.

Ce récit est une alternance entre un compte-rendu journalistique/enquête sur l'histoire de Ricky Langley, comment il est arrivé à l'assassinat de Jeremy, ses trois procès, et l'autobiographie de l'auteur, sa rencontre avec un pédophile, dans sa famille.
Elle manie parfaitement ce va-et-vient entre les deux récits et les rapprochements qu'elle peut faire entre les deux.

C'est un texte troublant, d'une très grande intelligence.
On y découvre les failles de deux familles (je ne peux m'empêcher de noter qu'il n'y a qu'une lettre de différence entre ses deux mots), le poids du secret, des non-dits, l'absence de reconnaissance de la vérité.
Mais aussi les faiblesses de tout un système, de notre société.
Peut-être que les différentes prises en charge ont évolué aujourd'hui, j'ai envie d'y croire, mais malheureusement on découvre tous les jours que le silence est encore très lourd.

Mais ce livre n'est pas noire -pas totalement- car Alexandria voit la possibilité d'une résilience, d'un retour à la vie, ce qui ne veut pas dire oublier ou cacher, au contraire, dire, parler, informer .

Un livre dérangeant mais nécessaire ; une écriture simple, direct.

Éditions Sonatine, 471 pages, Traduction de Heloïse Esquié.

mercredi 10 avril 2019

« Auschwitz et après - II - Une connaissance inutile » de Charlotte Delbo


"Je reviens 
                                 d'au-delà de la connaissance
                                      il faut maintenant désapprendre 
                          je vois bien qu'autrement
                          je ne pourrais plus vivre."


Après avoir lu "Je me promets d'éclatantes revanches" de Valentine Goby, j'avais commencé à lire et découvrir Charlotte Delbo avec "Auschwitz et après - I - Aucun de nous ne reviendra" qui est le premier tome d'une série de documents qu'elle écrivit plusieurs années après son retour des camps de la mort.

"Une connaissance inutile" est le deuxième livre de cette série.
Charlotte Delbo nous y parle d’amour, d’amitié, de peurs, de soutien, d’entraide jusqu’à la libération.

L'amour avec son mari qui fut arrêté avec elle mais tué peu de temps après son arrestation. Elle lui écrit des poèmes magnifiques.

L'amitié car dans les camps on ne survit pas seul, on survit en groupe. Souvent les groupes se font par pays d'origine, parfois lorsque l'on est arrivé dans le même convoi, parfois simplement aussi parce qu'on ne se comprend pas avec les autres femmes. Des liens forts de solidarité, pour partager, se soutenir, parfois même s'amuser.
Alors Charlotte nous parle de ses compagnes, comment elles se partagent une cigarette (échangée contre un quignon de pain), comment certaines disparaissent....
Lorsqu'elle se meurt de soif, une chaîne d'amitié s'organise pour qu'elle puisse boire dans la rivière.
Charlotte réussit même à récupérer un exemplaire du Misanthrope, elle l'apprend par coeur, et avec ses compagnes elles vont, pour elles-même, mettre en scène la pièce.

Elles vont aussi partir "en voyage" à Berlin dans le camp de Ravensbruck où elles devront travailler dans un atelier à coudre des vestes pour l'armée allemande.

Et jusqu'à la fin de la guerre, et surtout la libération, le départ enfin !

Encore une fois Charlotte Delbo nous touche par ses récits, la simplicité de son écriture, la beauté de ses mots.
Il y a des textes plus ou moins longs et des poèmes, toujours.
On ne peut rester indifférent à un tel témoignage, si vrai, sans fausse-pudeur.

"Je l'aimais
parce qu'il était beau
c'est une raison futile

Je l'aimais
parce qu'il m'aimait
c'est une raison égoïste

Mais
c'est pour vous
que je cherche des raisons
pour moi je n'en avais pas
Je l'aimais comme une femme aime un homme
sans mots pour le dire"

Les Éditions de Minuit, Documents, 187 pages.



jeudi 28 mars 2019

❤️❤️❤️ "Mohammad, ma mère et moi" de Benoit Cohen



"Lorsqu'on peut, on doit."

Ce récit est celui de Benoit Cohen qui part à la rencontre de Mohammad un réfugié afghan accueilli par sa mère, chez elle, dans son immeuble particulier du centre de Paris, au pied de la Tour Eiffel.

Je ne vais pas vous refaire le récit de la vie de Mohammad avant d'arriver en France, mais sachez que ce très jeune homme à déjà beaucoup vécu lorsqu'il débarque à Paris, il a aussi beaucoup été déçu, trahi, et malgré tout il continue de croire en la vie. Il n'a jamais eu peur de travailler, d'aider ses parents, sa famille, mais malheureusement dans son pays d'origine la religion et la guerre sont les nerfs du pouvoir.

Ce récit est bouleversant de sincérité.
D'abord parce que ce n'est pas l'histoire d'un réfugié, mais bien celle de Mohammad.
Ensuite parce qu'il est écrit par Benoit Cohen, avec un grand respect, et une délicatesse rare.
Il fait le pendant de son propre "exil" aux USA. Il est parti en le choisissant, avec de l'argent, un visa, et en étant accueilli et bienvenu. Ce qui bien entendu met en lumière l'histoire de Mohammad.
"Mohammad et moi avons tous les deux quitté notre pays et vivons en terre étrangère. J'avais envie de changer d'air, lui sauvait sa peau. Il n'avait pas d'autre option, moi si. J'ai pu choisir mon pays d'adoption, lui non. Il n'avait pas d'argent, moi si. Je me suis tout de suite senti chez moi, lui non. Toute la différence tient en un mot : Welcome." 
On découvre aussi la grande solidarité qui existe en France et c'est grâce à deux associations créées par des jeunes que Mohammad a pu non seulement être accueilli par Marie-France, mais aussi faire les études dont il rêvait.

Il y a Singa, qui est un mouvement international qui vise à créer du lien entre des personnes réfugiées et des personnes qui veulent les accueillir.
Et Wintegreat qui redonne vie aux projets professionnels de ces personnes réfugiées.

Il faut lire ce livre pour découvrir ces deux magnifiques initiatives, je trouve dommage de ne pas entendre plus souvent parler de ces idées/projets qui sont positifs et très encourageants.

Même si j'ai conscience que la rencontre de ces trois personnes a un côté un peu exceptionnel, elle existe et peut exister encore, et surtout elle redonne foi en l'Homme, en l'amour, dans le respect et la bienveillance, c'est pourquoi j'ai fais de ce livre un coup de coeur.
Car il m'a ému, touché, rassuré. Un récit qui devrait être lu par tous.
"Ce manque de nuances me fait forcément passer pour plus bête que je ne le suis. Quand on parle une langue étrangère, on est moins sûr de soi, plus vulnérable, moins rapide, plus timide, en retrait. On devient une autre personne."
   "L'idée que son existence puisse être autre chose que l'accomplissement des tâches du quotidien est révolutionnaire. Il est pourvu d'une conscience, une conscience infinie, il comprend qu'il a en lui un champ d'exploration illimité. [...] À partir d'aujourd'hui, il commence un voyage à l'intérieur de son propre corps, de son esprit. Il a le droit d'être heureux, et réalise que même la tristesse peut lui apporter du réconfort s'il ne se contente pas de la subir mais l'analyse."
"Plus ça va, plus on est dans un système administratif, juridique, concentré sur l'humanitaire et le sécuritaire. Il faut remettre en cause ce paradigme. Il faut remplacer le discours qui consiste à dire : «Les réfugiés, ce groupe homogène, qui fait ci ou ça....», par : «J'ai rencontré Ahmed, il a un projet et je vais essayer de l'accompagner...». Plutôt que de dire qu'on doit accueillir toute la misère du monde, ce qui est décourageant et contre-productif, on présente des individus et une action à dimension humaine." 
"Chérir la différence de nos enfants et la vie qu'ils choisissent vers leurs bonheurs."
"Il faut leur expliquer que Dieu ne contrôle pas tout, c'est à nous de prendre nos vies en main. Une fois qu'ils auront compris ça, libre à eux de pratiquer n'importe quelle religion, mais au moins, ils auront eu le choix." 
Flammarion, 276 pages.

lundi 4 mars 2019

"Avec toutes mes sympathies" de Olivia de Lamberterie


Dans ce récit Olivia de Lamberterie nous raconte son frère.
Son frère Alexandre qui a toujours souffert de mélancolie, de dépression, et qui se suicide le 14 octobre 2015.
Pourtant il a tout, il est beau, intelligent, il a une femme, des enfants, une famille qui l'entoure et qui l'aime, un travail, mais rien n'y fait, son mal-être le fait s'enfoncer chaque jour un peu plus dans le désespoir.

Olivia nous fait vivre les derniers mois, le suicide et sa colère, son deuil. Elle nous parle de sa famille, ses parents, ses soeurs, son mari, ses enfants... comment elle a vécu chaque instant.

C'est certes une très belle preuve d'amour pour son frère, et le texte est plutôt bien écrit. Elle veut réhabiliter son frère dans la vie, nous dire combien elle l'aime et combien il lui manque.
Mais j'ai comme un malaise à lire ces mots, comme si j'étais un voyeur.
Je me sens prise dans une intimité qui ne me concerne pas, ne me regarde pas.
Je ne suis pas sure que j'avais envie de lire leur histoire, privée, personnelle...

Je trouve très difficile de parler de ce livre, et pour être tout à fait honnête je suis assez surprise du prix qu'il a reçu. J'ai particulièrement aimé quelques passages notamment sur la famille, mais plus j'avançais dans le livre plus j'ai eu l'impression de regarder par le trou d'une serrure.
Du coup j'ai un peu de mal à recommander cette lecture...

Stock, 254 pages.