Je me suis beaucoup interrogée sur les articles que je souhaite écrire, les livres dont je veux parler.

Dois-je faire un article pour chaque livre ? Ou uniquement ceux qui m'ont vraiment plu ?

La réponse je l'ai trouvé en pensant à mon club de lecture ; nous y sommes pour parler de tous les livres que nous lisons, pour échanger, discuter, alors comme l'idée est de faire un peu pareil ici, j'ai décidé de tout mettre. Il y aura donc des articles courts, des plus longs, des passionnés et des plus ternes. Certains vous donneront peut-être envie de lire le livre concerné, d'autres vous donneront peut-être envie de me convaincre...

Alors soyez indulgents, et surtout n'hésitez plus à faire un commentaire !

Au plaisir de (vous) lire.

mardi 31 octobre 2017

❤️❤️ "La disparition de Josef Mengele" de Olivier Guez


PRIX RENAUDOT 2017

Un roman, mais aussi un récit documenté sur la fuite de Josef Mengele en Amérique du Sud après la fin de la seconde guerre mondiale.

Josef Mengele était "l'Ange de la Mort", le médecin du camp de Auschwitz. Il fit de nombreuses expériences et expérimentations sur les déportés vivants et morts. Il était celui qui décidait à l'arrivée des trains de la mort d'envoyer tel ou tel directement dans les chambres à gaz ou dans son hôpital.
Il était sans pitié, sans émotion et croyait dur comme fer à l'importance de son "travail".
Quelques pages décrivent avec plus ou moins de détails ce qu'il a pu faire ou ordonner, c'est assez difficile à imaginer ; comment un être humain est capable de faire toutes ces choses à un autre être humain.

Josef Mengele serait arrivé en Argentine et y aurait vécu sous un pseudonyme pendant quelques années, il y aurait vécu de belles années avec sa nouvelle femme ; puis toujours traqué il aurait fui au Brésil et aurait eu une vie "de rat" à se terrer, se cacher. On suit sa fuite, ses peurs, ses angoisses mais aucune pitié pour un tel homme qui a tout de même réussir à vivre 30 ans après la fin de la guerre sans jamais être jugé pour ses actes.
Alors certes cette vie décrite par Olivier Guez ne fait pas envie, et visiblement il aurait "souffert" mais il a malgré tout "vécu", il a eu cette chance, sans être jamais rattrapé. Protégé par toute une intelligentsia nazi présente en Amérique du Sud et aussi et surtout grâce à sa famille très riche, qui a toujours tout fait pour le protéger et le cacher. Seul son fils, qui ne l'a que très peu connu, semble être révolté parce que son père a fait, il tentera une ultime visite pour essayer d'obtenir les regrets de son père qui jamais ne doutera du bien fondé du nazisme, de l'eugénisme et de l'expérimentation humaine.

Le roman est vraiment très bien mené, à priori très bien documenté. Certains nazis ont été très bien protégés, y compris par certains gouvernements sud américain et parfois ont eu beaucoup de "chance"... Probablement que si le Mossad n'avait pas été obligé d'interrompre ses recherches ils auraient fini par retrouver le médecin de la mort et lui faire payer, à leur façon, ses crimes.
Pas de pitié pour le sujet, juste une description froide de ce que fut sa vie.

J'ai aimé ce livre bien que le sujet soit difficile, je l'ai lu presque plus comme un document/essai, capital pour le souvenir. Nous ne pouvons pas oublier, à quel point l'homme, et en particulier "en groupe", peut être déviant, à quel point on peut être incapable de se remettre en question.

Grasset, 240 pages.

jeudi 26 octobre 2017

"Comment vivre en héros ?" de Fabrice Humbert


À 16 ans Tristan fait de la boxe, poussé par son père, ancien résistant et héros de la seconde guerre mondiale. 
Dans le métro avec son entraîneur Bouli, ce dernier provoque une bagarre - comme à son habitude - et Tristan se sauve...
Cet acte de lâcheté va le poursuivre toute sa vie. Lâcheté ou héroïsme ! Là est la question.
Mais comme lui dit sa maman il n'aurait certainement pas pu changer grand chose à la situation hormis se retrouver lui aussi en très fâcheuse position...

Cependant cet acte (ou non-acte) va conditionner le reste de sa vie, ses rencontres, ses choix d'études et même 38 secondes de sa vie qui une fois de plus lui feront prendre un chemin plutôt qu'un autre.

Ces 38 secondes feront de lui un héros et encore une fois il fera ses choix de vie en fonction de cette vision que son entourage a de lui.

Plusieurs questions se posent derrière ce texte, faut-il être un héros ? Sommes-nous tous des héros/lâches ? 
Finalement nos actes donnent à voir ce que chacun veut y voir, peut y voir, ou ce que nous-même laissons voir.

Tristan découvrira une autre vérité sur son père après sa mort, mais cela change-t-il celui qu'il a été et la manière de le voir et d'interpréter ses discours et ses actes ?

Bon en réalité ce roman est beaucoup plus simple que cela, facile à lire, on se laisse emporter dans l'histoire qui malgré quelques petites exagérations est tout à fait crédible, sur une vie banale de tous les jours. Les caractères des personnages sont un peu exagérés mais c'est aussi ce qui permet de comprendre leur manière d'être.

Une belle histoire d'amour en filigrane, une histoire de vie.

Ce n'est pas un coup de coeur mais un bon moment de lecture.

"—Marcel n'a rien d'un criminel. Il a un peu embelli son rôle ? Et alors ? Il a pris des risques énormes quand il était agent de liaison. Beaucoup ne l'ont pas fait. [...] Il n'a pas trahi, c'était seulement un homme ordinaire, comme moi, entraîné dans des événements inhumains."
"[...] Tout était aléatoire, tout était contradictoire. Marcel n'avait pas tiré - il aurait pu tirer. Il était un résistant courageux - il était un lâche. Il mentait - il disait pourtant vrai. Tout était contradictoire, tout était aléatoire."
Gallimard, 416 pages.

dimanche 22 octobre 2017

"Les petites consolations" de Eddie Joyce



Bobby, pompier, est mort dans l'effondrement des tours jumelles de New-York.
Sous ce prétexte là l'auteur nous emmène dans la vie d'une famille italo-irlandaise installée à Staten Island.
À chaque chapitre on découvre un membre de cette famille de manière plus personnelle. Il y a la mère, Gail, le père Michael, les deux frères, Peter et Frankie, et bien sûr la veuve, Tina. On revient sur leur parcours, leur vie avec Bobby, et comment dix ans après ils vivent ce deuil.

C'est un roman simple et facile qui n'a aucune prétention littéraire ou psychologique mais très sympa quand même. On se laisse prendre dans l'histoire et on y va comme dans une bonne série américaine.

Rivages, 480 pages.

"J'aurais dû apporter des fleurs" de Alma Brami



Dans ce roman, Alma Brami choisit de se mettre dans la tête d'un homme, la cinquantaine, célibataire, au chômage.

Et nous sommes avec lui dans son quotidien, ses rencontres, nous savons qu'il est apprécié, que son entourage le trouve plutôt gentil, discret, sympathique ; mais nous, nous savons ce qu'il pense, et ce n'est pas toujours joli, joli.

On sent la colère qui monte, on le sent bouillonner de l'intérieur et pourtant il reste toujours aussi impassible extérieurement. On comprend vite que la relation avec sa propre mère est peut-être à l'origine de son mal-être ; une mère qui fait endosser à son fils toute sa vie ratée... nous savons à quel point cela peut être destructeur.
On l'imagine tout à fait "péter un plomb" et faire beaucoup de mal autour de lui, comme ça, d'un coup et son entourage dirait de lui que c'est tellement inattendu.

Bien sûr ce roman est beaucoup moins puissant que les deux autres déjà lu ("Qui ne dit mot consent", "Sans elle"), cependant on retrouve une vraie force d'analyse psychologique du personnage principal qui est tout à fait intéressante. J'ai ressenti beaucoup moins d'empathie pour ce personnage, parce qu'il est un homme ? parce qu'il n'a aucune pitié ? Difficile à dire. J'étais plus dans l'observation que dans le ressenti.
A découvrir.

"Mon premier compare l'incomparable, mon deuxième inocule la honte et mon troisième réduit son fils au désespoir, mon tout est un fléau. Qui suis-je ?"
"Sa gentillesse est fatigante. J'ai dit non c'est non, Françoise, le mieux est l'ennemi du bien, le plus du trop, le trop du juste ce qu'il faut, bref quelque chose dans ce genre-là. Je porte le jus d'orange faussement frais à mes lèvres, «attends attends ! - Françoise coupe mon élan -, attends on trinque... Tchin-tchin», elle dit. Sa ringardes est un fléau."
Folio, 176 pages.

jeudi 19 octobre 2017

❤️❤️ "Fief" de David Lopez


Jonas est notre narrateur, et il y a ses copains Ixe, Poto, Sucré, Untel, Romain, Miskine et la mystérieuse Wanda ; ils partagent un quotidien dans une petite ville de banlieue qui n'a pas assez de bitume pour être la "vraie ville" mais pas assez de verdure pour être vraiment la campagne. C'est un entre-deux, ce "fief" justement, où l'on est ni l'un ni l'autre, un peu de l'un et un peu de l'autre.
Jonas vit encore chez son père, essaie de se faire discret. Il boxe, traine et fume des joints avec ses copains.

Il ne se passe pas grand chose dans ce roman, en terme d'action, mais il se passe beaucoup beaucoup de choses en terme de réflexion, de questionnement, d'analyse (?), et surtout de littérature.
C'est un livre d'ambiance, d'atmosphère, de milieu.
Ce premier roman de David Lopez est pour moi une très grande réussite. Il nous décrit à la perfection ce lieu instable, avec ses mots, leurs mots à eux, ce vocabulaire de la banlieue, ces expressions particulières de d'jeuns, et en même temps, derrière en filigrane il y a une grande culture,  beaucoup de jeux de mots, d'humour.
C'est truculent et triste à la fois.

On voit ses jeunes qui n'arrivent pas à sortir de leur vie, qui s'ennuie à longueur de journée ; pour eux la ville est trop loin et la campagne trop "campagnarde" !
On ressent tellement bien l'étirement des longues journées, suivies des longues soirées, il n'y a rien à faire ou si peu, et on a l'impression qu'ils sont écrasés par tout ce temps et cet ennui que cela les empêche de bouger, d'avancer, et ça fume, et ça fume....

Et il y a la boxe, Jonas fait des combats, il sait qu'il pourrait en faire son métier, qu'il pourrait tenter de sortir de tout ça, mais a t-il vraiment envie de partir ? A t-il vraiment envie de boxer ? A t-il vraiment envie de prendre le risque de se faire exploser la tête ?

Il y a de très très beaux passages notamment sur la boxe, c'est un texte d'une très grande richesse.
J'avoue être impatiente de lire ce que cet auteur nous proposera la prochaine fois.

"Dans ces ambiances, dès qu'il y en a un qui se met à parler de ses problèmes, il y en a un autre pour trouver que ce n'est pas marrant ce qu'il raconte, et puis ça passe à autre chose. Ou alors on fait des blagues dessus. Ça ne court pas les rues les oreilles. Pourtant, il paraît qu'il y en a plein les murs. Et à force qu'on les tienne ils doivent en savoir des trucs. Mais ils ne doivent pas s'en souvenir parce qu'ils sont trop foncerais les pauvres."
"Et puis on s'est habitués. Ce n'est plus nos soirées qu'on passait à fumer, mais aussi nos journées. Nos nuits. Nos heures de cours. Peu à peu on n'avait plus un joint, mais trois, et puis est venu le temps où on a eu chacun le sien. Fumer n'était plus l'occupation, on fumait en se demandant ce qu'on allait bien pouvoir foutre. On n'était plus dehors. On s'est enfermés. On a opté pour d'autres jeux. Des jeux auxquels on peut jouer assis. On ne se lance plus de glands. On ne se lance plus de boules de neige. On ne se lance plus des ballons de basket dans la gueule. On ne se lance plus que des insultes."
"Je demande à Sucré, Sucré, comment ça se fait que par exemple si je creuse pour aller en Chine ou en Australie [...], et je dis non mais on s'en fout en fait, admettons que je creuse tout droit tu vois, peu importe où ça me mène, [...], si je creuse pour aller en Chine, t'es bien d'accord que je vais creuser vers le bas, t'es d'accord, il dit ouais, et je dis alors que quand je vais arriver en Chine, je vais sortir de sous terre, donc je vais creuser vers le haut.  [...] On se regarde, et je demande, à quel moment je me retourne en fait ?"
"Notre ville c'est une cuvette. Il y a une colline de chaque côté. Celle où nous sommes, rive ouest, et en face celle sur laquelle est construite la cité des Tours, rive est. [...] Je devine aussi la maison de Romain, pas loin de la gare, et j'imagine les gars là-bas. Je me demande ce qu'ils peuvent bien être en train de foutre, mais ce n'est pas comme si l'éventail de possibilités était large.  [...] Je vois tout ça en même temps et je me dis que ma vie est là, dans cette cuvette. Pour en sortir il faut grimper."
Le Seuil, 256 pages.

dimanche 15 octobre 2017

"La chambre des époux" de Éric Reinhardt



Bon alors celui-là ne va vraiment pas être simple à commenter...
Il est très difficile d'expliquer ce qu'est ce livre, je pense qu'il risque de beaucoup diviser.

Dans un premier chapitre, Éric Reinhardt reprend un texte qu'il avait écrit il y a une dizaine d'années pour "Les Inrockuptibles" ; texte dans lequel il explique et raconte de manière succincte et rapide le cancer du sein de sa femme. Il écrit à ce moment là son roman "Cendrillon", il veut tout arrêter pour s'occuper de Margot mais elle lui demande au contraire l'impossible, qu'il finisse son roman pendant qu'elle guérit.

A la suite de cela, en 2008, il rencontre au cours d'un diner une jeune femme, Marie, une miraculée du cancer elle aussi (le pancréas en ce qui la concerne), il est ému, touché par cette femme qu'il veut "sauver", il ne veut pas qu'elle rechute, il ne veut pas qu'elle meure.

Et le roman gigogne commence, l'auteur nous livre les notes qu'il écrit à ce moment pour son nouveau roman. Finalement par petits morceaux, le livre apparaît sous nos yeux, ou ce qu'il aurait pu être. Et c'est dans ce pseudo-roman que l'on retrouve Nicolas, compositeur de musique, marié à Mathilde qui a survécu à un cancer du sein et qui rencontre au cours d'un dîner Marie une autre survivante.... jusque là c'est un peu comme relire la même histoire en changeant simplement les prénoms ; Nicolas a composé une musique merveilleuse au cours de la maladie de sa femme et il est bien sûr internationalement reconnu...
Et puis on passe à la suite du roman, Nicolas apprend que Marie a rechuté et décide de la retrouver pour l'aider à guérir ou à mourir. Il laisse donc son épouse pour rejoindre cette jeune femme qu'il n'a rencontré qu'une fois... bon bon bon....

Alors, alors... ce livre ne m'a pas laissé indifférente, c'est le moins que l'on puisse dire... maintenant je crois que je suis totalement incapable de dire si j'ai aimé ou pas, en réalité plus j'y pense et plus mon avis change, varie. Je vais donc essayer de dire ce que j'ai aimé et ce que j'ai détesté (je crois).

Éric Reinhardt choisit une manière plutôt singulière pour nous parler de la maladie, de ce qu'elle peut faire dans un couple, comment elle est vécue, les changements qu'elle apporte, le regard d'un homme sur sa femme qu'il aime malgré tout, le besoin du "beau" et donc de l'Art pour avancer, rester vivant et ne pas sombrer.
Il y a de très beaux passages sur l'amour, sur le corps, sur le sexe dans un couple et le désir.
Il semble qu'il ait eu besoin de cette rencontre avec Marie pour se libérer dans une projection, et enfin laisser aller son émotion.

Il y a tout de même un moment où je me suis demandée si tout n'était pas un roman, si tout était une biographie, si il n'y avait pas quelque chose de l'ordre du fantasme.
Et c'est là où je dois dire qu'il y a des passages entiers où j'ai été terriblement mal à l'aise, gênée, embarrassée, je crois même avoir rougi, toute seule. (et pourtant je suis loin d'être bégueule...).
J'ai trouvé les réactions de Nicolas (Éric ?) totalement surprenante, une manière de faire, de penser incompréhensible pour moi. Et des scènes de sexe qui m'ont dégoutées, pas le sexe, mais la manière je crois. Le pourquoi et le avec qui. En fait une impression qu'il ne ressent ses émotions et ne peut les transmettre que par son sexe... ce qui est assez réducteur.

En revanche l'auteur sait manier le verbe et la phrase, et certains passages sont vraiment magnifiques, alors pourquoi parfois nous donner des phrases longues, ampoulées, ennuyeuses voire incompréhensibles ? Se regarde-t-il écrire ?

Je suis passée sans cesse tout au long de ma lecture de j'aime à je déteste et ainsi de suite.

Reinhardt est extrêmement présent, est-ce voulu ? ou juste une petite crise narcissique ?
En fait en fonction des réponses que l'on veut bien donner à beaucoup de questions on passe du chef-d'oeuvre à quelque chose de totalement ratée, vide, inutile.

Je ne pourrais donc pas recommander ce livre car certains passages qui m'ont choqué sont beaucoup trop forts et présents ...
En revanche si certains se lancent quand même je serais très intéressée d'avoir vos avis !!!!

Après avoir lu le livre j'ai écouté une interview de l'auteur à propos de son livre, j'ai trouvé qu'il s'écoutait parler, qu'il avait l'air d'être assez imbu de lui-même, pas très agréable... heureusement que j'ai regardé cette interview après la lecture du livre.
Ah et je trouve que la 4ème de couverture ne se rapproche que de très loin de ce qu'est le livre.
"Mais surtout, et il est capital pour moi de le préciser, et c'est pourquoi je peux raconter ici ce dîner, c'était la peur de perdre Margot que répercutait en moi la précarité supposée de Marie, c'était Margot que je désirais et avec qui j'avais envie de faire l'amour quand ce soir-là je désirais Marie, c'était le souvenir de l'amour que nous nous étions donné, physiquement, sexuellement, elle et moi, afin que la vie ne s'éteigne pas, quand elle avait été malade et dégradée par la chimio, que faisait remonter en moi la présence irradiante de cette femme. C'était la vie que je voulais maintenir en vie en voulant aimer Marie. C'était toutes les femmes malades du monde et qui luttaient pour ne pas mourir que je voulais aimer et aider à vivre. Que la maladie n'existe plus et qu'aucun être aimé ne succombe plus d'aucune maladie grave et incurable. C'est depuis l'intérieur de cette puissante émotion que je regardais et désirais Marie."
"Et c'est un an et demi plus tard, le 29 mai 2008 en début d'après-midi, sur les hauteurs de Lyon, à quelques heures de mon apparition aux Assises internationales du roman qu'aura enfin été percée cette bulle de protection et d'inconscience où je m'étais réfugié non pas pour fuir lâchement la maladie, mais au contraire pour l'affronter efficacement, ce qui s'était révélé être le meilleur calcul possible, en définitive, certes, n'était la question de ce que j'avais mis de côté comme terreur, comme tristesse, comme lucidité non vécues, écartées de mon champ de conscience si je puis dire." 

Gallimard, 176 pages.

mercredi 11 octobre 2017

"Souvenirs de la marée basse" de Chantal Thomas



Je dois l'avouer je découvre cet auteur que je ne connaissais pas.

Dans ce livre assez court, Chantal Thomas nous raconte quelques souvenirs de son enfance, ce sont de petites scènettes, pas toujours en lien les unes avec les autres, poétique, mais ennuyeux...

On comprend de loin (très loin) que sa mère, qui adore nager, est aussi dépressive, malheureuse. C'est une femme-enfant qui n'arrive pas à se séparer de ses parents et notamment de sa maman, ce qui lui rend la tache bien ardu pour devenir elle-même mère. D'ailleurs l'auteur nous explique qu'elle a du mal à dire "maman" tellement ce nom est utilisé par sa propre mère en permanence. Le père est très absent des mots de l'auteur, on ne sait pas si elle ne veut pas en parler ou si à cause de sa disparition précoce elle n'a pas eu le temps de s'attacher à lui.

Dans une deuxième partie du livre elle nous parle plus de sa maman, de sa vieillesse... mais cela reste anecdotique.
Tout est survolé, rien est approfondi, il manque trop de choses pour moi, il manque des images, de la profondeur, de l'émotion. Pour moi c'est plus un catalogue de souvenirs, de moments.

Les "plus" de ce livre sont tout de même une écriture très belle, très littéraire, bien travaillée et donc très agréable à lire, c'est ce qui m'a permis de ne pas lâcher le livre ; ce sont aussi des chapitres très courts qui du coup donnent un rythme et permettent d'avancer.

Voilà, j'aurais du mal à "recommander" ce livre qui en soit ne m'a pas apporté beaucoup. Ne me convient pas, ou pas le bon moment, c'est comme ça...

"Je rêve à ses métamorphoses, tandis que je bois un verre de vin blanc et entame le plateau de fruits de mer. Je la chercher des yeux, ne la vois nulle part : elle a disparu. Je frémis dans l'émoi d'une huître voluptueusement gobée, dans le saisissement de son sel, de sa fraîcheur."
Le Seuil, 224 pages.

mardi 10 octobre 2017

❤️❤️ "Le Jour d'avant" de Sorj Chalandon


"Alors j'ai gravé le nom de mon frère dans ma tête, dans mon ventre et dans mon coeur, entre deux autres camarades tombés."
 "Michel, venge nous de la mine"

27 décembre 1974, c'est la date de la catastrophe de Liévin où 42 mineurs ont perdu la vie.
Ce jour-là Michel a perdu son frère, et toute sa vie il attendra le moment de se venger, de venger son frère, pour lui, pour son père qui le lui a demandé en lui laissant une dernière lettre, pour sa mère qui a fini sa vie bien seule.

Un an après la catastrophe Michel a quitté sa région du Nord, les mines, les corons, il est parti à Paris où il devient mécanicien puis chauffeur routier. Il rencontre Cécile, l'aime, l'épouse et l'accompagne jusqu'au bout.
Et lorsqu'il est à nouveau seul il retourne enfin au pays, 40 ans après, pour accomplir sa vengeance, qu'il attend et prépare depuis de si longues années.

C'est tout ce que je peux résumer de la première partie du livre et ne peux malheureusement pas en dire beaucoup plus sur la deuxième partie sans trop en dévoiler. Simplement il y a bien deux parties distinctes dans le roman. Un avant et un après, l'un qui peut-être explique l'autre.

Sorj Chalandon nous surprend encore une fois, il sait se renouveler tout en gardant une signature bien à lui.
Dans ce roman il nous emmène dans le nord, dans les bassins houillers, au fond des mines et de la misère, on vit la poussière qui colle partout, le noir sous les ongles, le cliquètement, le souffle, on apprend la mine, on apprend la peur.
Mais il y a aussi toute la dimension psychologique de Michel, de sa culpabilité, de cette vengeance à laquelle il tient plus que tout.
Une force de narration toujours aussi présente, avec quelques passages tout à fait incroyable, et qui nous touche au plus profond par l'écriture, le phrasé, le sens.

J'ai particulièrement aimé le chapitre qui raconte l'évènement, la catastrophe, c'est comme le temps qui passe au ralenti, on voit, on comprend ce qu'il se passe mais on ne peut rien y faire... On lit sur les visages des femmes du coron l'inéluctable.
Et lors du procès, autant le réquisitoire du procureur général qu'ensuite celui de l'avocate de la défense nous mette dans le vrai, dans le questionnement, dans le pourquoi, tente de nous expliquer l'inexplicable.

Sorj Chalandon avec brio réussit à faire parler les "oubliés", c'est beau, c'est dur, c'est fort.

Et grâce à lui j'ai réécouté "les corons" de Pierre Bachelet, et "Jojo" de Jacques Brel, et j'ai relu des passages de "Germinal", et je suis allée découvrir des photos de mines, des sites pour comprendre leur fonctionnement, j'aime ses livres qui me poussent hors de leurs pages pour aller plus loin, découvrir encore plus.
"Pour la première fois je me lavais, je me lavais vraiment. Je me lavais de tout. De Dravelle, de sa couverture rance, des menottes douloureuses, de l'attente infinie sur les bancs, du regard des policiers, de la lumière blanche du palais de justice, du tunnel de briques, des silences de ma juge, du regards de mon avocate et de son sourire. Je me lavais de la fosse 3bis, du souffle des chevalements, du 27 décembre 1974, des dizaines de cercueils alignés. Je me lavais du pain d'alouette. Je me lavais du mépris des Houillères, de ma colère, de ma haine de vie. Je me lavais de Liévin, de Paris, de ces rues sans Cécile, des mes jours privés d'elle. [...] Je nettoyais mon crime à pleine eau. Ma honte. Je disais adieu au charbon. Aux victimes de mon effroi. Aux morts, mon frère, mon père, ma mère, aux miens. Et aussi aux survivants, qui ne soupçonnaient rien. Je lavais mon âme tout entière, à l'eau tiède d'une mauvaise douche de prison."
Grasset, 336 pages.

vendredi 6 octobre 2017

"Sciences de la vie" de Joy Sorman



"La jeune Ninon Moise est l'héroïne et la dernière-née de cette famille qui s'est méthodiquement déglinguée à travers les siècles, l'héritière d'un imposant matériel génétique, et peut-être, qui sait, l'ultime maillon de cette chaîne, l'achèvement de la funeste lignée."
C'est une véritable malédiction qui frappe depuis des siècles la famille de Ninon et de sa mère Esther.
Tout a commencé au Moyen-Âge avec Marie Lacaze en 1518, elle fut la première touchée par une maladie inconnue et surprenante et après elle toutes les filles aînées, aucune n'y a échappé. À chaque génération sa maladie, sa tare, plus ou moins contraignante, plus ou moins douloureuse, à chaque fois différente.
Ninon, 17 ans, vit seule avec sa mère, et toute son enfance a été bercée par les histoires qu'elle lui contait, les histoires de leurs ancêtres. Il faut dire qu'Esther a fait beaucoup de recherches et connait chaque épisode de chacune de ses aïeules. Ninon rigole, parfois a peur mais toujours est passionnée et écoute attentivement sa maman.
Esther en tant que fille aînée n'est pas passée au travers de cette fatalité, elle souffre d'achromatopsie, c'est à dire d'une absence de vision des couleurs, elle voit la vie en noir et blanc ! Elle ne ressent pas de douleur et s'est plutôt bien accommodée de ce handicap particulier en devenant projectionniste de films d'art et d'essai ; elle vit la nuit et le jour se cache derrière des lunettes à l'abri de la lumière.
Pour toutes les deux il est évident qu'un jour Ninon aura elle aussi SON mal, elle ne peut pas échapper à cet héritage biologique.
Et en effet un matin de janvier Ninon se réveille avec une douleur insoutenable dans les bras ; du poignet jusqu'à l'épaule dès que sa peau entre en contact avec quelque chose c'est une brûlure intense et atroce. "Une souffrance inexplicable et disproportionnée [...]"
Débute pour Ninon une longue quête afin de découvrir ce qu'elle a, donner un nom à ce mal qui la ronge et lorsqu'enfin elle peut mettre un nom sur ce qu'elle éprouve (allodynie tactile dynamique) tout recommence pour trouver une solution et guérir. Rdv, entretiens, rencontres avec différents thérapeutes de toutes sortes, hospitalisations, cures, tout y passe, même les chamanes et voyants...
Peu à peu Ninon se renferme sur elle, dans sa chambre qu'elle ne quitte plus, elle s'éloigne de sa mère qu'elle tient pour "responsable" de son malheur.
Elle veut guérir à tout prix, elle veut rompre cette chaîne héréditaire, elle est plus que déterminée à sortir de ce destin soi-disant écrit pour elle.

Je découvre Joy Sorman pour la première fois et j'avoue je suis très surprise par ce roman. Sans pouvoir dire que j'ai adoré je ne l'ai pourtant pas lâché jusqu'à la fin. Il est très prenant, surprenant, mordant.
Écrit sur un rythme rapide, saccadé, on est presque essoufflé de la vitesse. La description de la vie de Ninon est froide, clinique, on va à l'essentiel, on ne perd pas de temps, un peu comme Ninon qui ne vit plus que par et pour sa douleur sans temps ni espace pour le reste.

J'ai aimé l'évolution de la pensée de Ninon, son obstination malgré son jeune âge, la distance qu'elle prend avec sa mère pour se débrouiller seule mais aussi pour tordre le cou à sa destinée.

Et je dois dire que j'ai énormément aimé la fin que choisi Joy Sorman pour son héroïne, j'adhère totalement à l'idée et au concept mais je n'en dirai pas plus il vous faudra lire le livre !!

"Bien sûr il arrive que des anomalies héréditaires restent latentes, ignorées à vie de leur porteur, comme des dispositions du corps non activées, mais cela n'a jamais été le cas dans cette famille, les dispositions se sont toutes déclarées, peut-être, chaque fois, à la faveur aléatoire d'un évènement, d'une rencontre, d'un affrontement avec les difficultés de l'existence, mais qui peut le certifier ?"
"Pourtant Ninon a aussi l'étrange impression d'être plus vive, plus affûtée depuis ces quelques jours, depuis que sa peau la fait souffrir en continu, comme si l'expérience de la douleur physique vivifiait sa pensée, comme si cette nouvelle configuration du corps avait induit une nouvelle configuration de l'esprit, une accélération de ses  facultés intellectuelles, la sensation tout simplement d'être devenue plus intelligente, peut-être de cette intelligence épaissie, ramifiée, complexifiée par le temps, l'âge, la vie, comme si son cerveau s'était embrasé en même temps que sa peau."
"[...] alors les amis s'éloignent, elle les tient à distance, sans tristesse car anesthésiée, flux émotionnel interrompu, coupure générale des sentiments, tout est éteint sauf ses bras hypersensibles."
"L'interne avait posé un diagnostic : conversion d'une émotion sur le plan somatique, Ninon avait entendu sans accrocher l'information, la laissant dériver et s'échouer à l'arrière de la tête, puis ça lui était revenu d'un coup, la phrase s'était faufilée au-devant de la conscience, éclairant ce qu'elle savait sans le formuler, sans l'articuler - quelque chose clochait dans sa vie qui s'exprimait à travers cette douleur allodynique. L'interne avait ajouté : toutes les maladies sont biopsychiques."
"[...] qu'Esther a consignées sans répit, reproduisant avec minutie son arbre généalogique aux innombrables branches malades et tordues dans un cahier relié de cuir qu'elle entend bien léguer à sa fille - cahier lourd comme un grimoire, héritage aussi écrasant que cinq siècles de parenté, histoire sédimentée dans la roche du temps."
"[...] - pas l'innocence cependant car guérir ce n'est pas tout effacer, revenir à un état initial, guérir ce n'est pas reprendre les choses au début, identiques et préservées, entre-temps tout à bougé."
"Ninon a tué en elle l'animal rampant de l'hérédité, réduit à l'état de dépouille suspendue dans un coin sombre et poussiéreux de sa mémoire, elle a sauté hors du rang des maudits, des tarés, des dégénérés, et se jure de ne jamais avoir d'enfants." 
Le Seuil, 272 pages.

mardi 3 octobre 2017

"Elle marchait sur un fil" de Philippe Delerm



Marie a la cinquantaine passée, l'homme de sa vie, Pierre, l'a abandonné.
Entre son appartement parisien et sa maison en Bretagne, elle navigue, se sent seule et cherche un but à sa vie. Elle est attachée de presse dans le monde de l'édition et travaille un peu pour son amie Agnès qui a une galerie/restaurant en Bretagne.
Elle a un fils unique, Etienne, ancien acteur de théâtre et maintenant décorateur d'intérieur avec sa femme Sarah. Léa la petite fille passe beaucoup de temps avec sa grand-mère.
Et il y a aussi le voisin de la maison de Bretagne, André le vieil ami, qui part s'installer en maison de retraite. Et dans cette maison voisine vont arriver les nouveaux occupants, des jeunes venus préparer leurs auditions pour entrer au conservatoire. Marie va se lier à eux et grâce à eux créer le grand projet de sa famille, celui auquel elle a toujours rêvé, celui qu'elle a tenté de transmettre à son fils, à sa petite fille. Mais ce projet ne fera pas l'unanimité dans son entourage et elle devra se battre pour tenter d'y arriver.

Un peu gnangnan au départ, on fini par s'attacher à cette quinqua qui fait sa petit crise (ou pas).
Y a du bon et du moins bon.
J'ai aimé que l'auteur ne s'enlise pas dans une mièvrerie de la solitude, dans le pathos de la femme quittée ; j'ai aimé toute la partie un peu philosophique sur ce que nous faisons pour nos enfants, où nous les poussons, si ils réalisent nos rêves ou les leurs, si ils peuvent comprendre, nous reprocher notre attitude, en voulant faire bien ne faisons-nous pas parfois plus de mal. J'ai aimé l'antagonisme de la vie dans une entreprise qui nous broie, et la vie, peut être plus difficile, de vivre ce que l'on aime...

J'ai moins aimé le côté un peu trop bobo des personnages, et peut-être un peu trop caricatural.
L'écriture est facile, chapitre court, rapide, incisif. Un peu trop facile ?

Une fin surprenante à laquelle honnêtement je ne m'attendais pas et qui aurait peut-être méritée qu'on s'y attarde un peu plus.

Bref, une lecture rapide, facile, non douloureuse, et qu'à mon avis on oublie rapidement. Mais parfois des petits plaisirs rapides et faciles c'est bien aussi non ?!

Le Seuil, 224 pages.

❤️❤️❤️ "Taba-Taba" de Patrick Deville





Tout commence avec la petite fille en blanc née au Caire, elle monte sur un bateau et quitte l'Égypte pour la France, nous sommes en 1862, de l'autre côté de la Méditerranée, plus au nord, en face de Saint-Nazaire, la construction du lazaret de Mindin se termine, il servira aux pestiférés, aux quarantaines des bateaux qui ont traversé plusieurs mers.

Et puis il y a ce petit garçon, tout mal agencé, "le petit monstre recroquevillé auprès du grand taré", il a à peine 4 ans mais une malformation congénitale de la hanche l'empêche de se développer normalement, alors il sera opéré, enchâssé dans un plâtre pendant près d'une année. Le petit monstre deviendra, le chevalier noir, mais aussi à force de lecture et de contemplation, hypermnésique.

Le grand taré, c'est lui, Taba-Taba, car le petit chevalier noir vit au Lazaret, devenu hôpital psychiatre et dont son père est le directeur. Taba-Taba qui toujours accompagnera le petit monstre jusqu'à ce qu'il puisse enfin se séparer de lui.

Il y a aussi Paul, le gymnaste, le père (pas celui du narrateur), fils de l'instituteur et de la petite fille en blanc. Paul qui avec son épouse, Eugénie-Alexandrine, aura subi les 2 grandes guerres, aura vécu l'occupation, la déportation, la fuite.
Et il y a le fils Paul-Eugène, dit Loulou, qui lui est bien le fils de Paul et le père du narrateur, et le frère de Simonne dite Monne, la tante par qui tout est arrivé et a réellement commencé.

En effet, cette tante au fil des années a conservé tout un tas de papiers, de souvenirs, de lettres, d'archives, de journaux, qui ont permis à l'auteur de retracer l'histoire familiale. Un miracle car certaines archives ont passé quelques années dans un coffre au Crédit Lyonnais de Soissons après le départ de la famille pour le sud au cours de la seconde guerre et récupérées seulement après de longues années.

Dans ce roman foisonnant, Patrick Deville, en suivant le fil de son histoire familiale, nous emmène en voyage à travers la France et à travers le monde, c'est un voyage autant historique que géographique. Lui-même parcourt le monde et à chaque étape un passage de la vie de ses aïeux. Il nous livre son passé mais aussi celui du lieu où il se trouve, des monuments qui croisent sa route, il y a des rappels de notre Histoire mais aussi les faits divers, les anecdotes, et il lie et relie tous ses évènements d'une main magistrale et magique. Il est le "dieu marionnettiste" qui retrace l'histoire de "la bande des quatre".

Ce récit très documenté est passionnant, il va, il vient, prend le train, l'avion, voyage dans le temps, c'est un peu "brouillon" tout en étant très méthodique, et donc tout à fait déroutant.
Patrick Deville a su rendre son texte vivant, intéressant, dans le sens le plus profond du terme ; et tout en gardant une certaine distance avec les membres de sa famille - qu'il nomme soit par leur prénom soit par leur fonction (le père, le fils...) - on sent une grande chaleur, une grande tendresse. Ce côté très pudique est aussi présent lorsqu'il évoque son amoureuse, qu'il n'appelle que Yersin pendant une grande partie du livre pour finalement lui rendre son prénom, Véronique, et tout l'amour qu'il éprouve apparemment pour elle.

Bref vous l'aurez compris, j'ai aimé, beaucoup, énormément, et je recommande cette lecture qui peut paraître un peu difficile voire rébarbative au début. Une fois lancée on est passionné, pris, mordu et on ne le lâche plus. Qu'est ce que j'aimerais être assise en face de lui et l'écouter...

Quelques citations que j'ai essayé de limiter.... mais en fait j'aurais voulu recopier tout le livre.

"Si je ne faisais qu'apercevoir certains psychopathes agités, ceux dont le visage blême, la bouche ouverte, le regard révulsé vers le centre de leur cerveau et leur propre énigme étaient coiffés de casques de cuir brun, les autres déambulaient sur le sable des allées sous les pins, vêtus de drap bleu, avec des allures songeuses de philosophes antiques ou de traîne-savates, s'asseyaient sur les bancs pour deviser, se rendaient visite de pavillon en pavillon en fin d'après-midi. Parmi ceux-là se recrutaient mes grands camarades."
"... Ça n'est pas que la situation internationale lui soit indifférente, il lit les journaux, mais là il trépigne. Ça n'est pas le moment. Mettons fin à son impatience, laissons-le démarrer sa moto d'un coup de talon. Passons de la photographie au cinéma, regardons-le s'éloigner sur le chemin de ronde et quitter le Lazaret pour aller retrouver sa fiancée. Dans un an ils se marieront. De là à enfanter un boiteux il n'y a qu'un pas."
 "Ces deux-là auront connus au cours de leur existence davantage d'inventions magnifiques que les Européens n'en avaient vu depuis le Moyen Âge, l'automobile et le paquebot, le téléphone et l'avion, l'ascenseur et le tramway, le tracteur agricole et la vaccination, le sparadrap et le char d'assaut, les gaz de combat et le fil de fer barbelé."
"Ainsi je tournais en rond et à petite vitesse, dans ces parages où la disparition des industries sidérurgique et textile avait entraîné celle de la classe ouvrière et quasiment du salariat. 0ù de vieux retraités pouvaient s'étonner que ce fameux dieu Turbin qui avait été leur cauchemar ait pu devenir le rêve inaccessible de leurs petits-enfants."
"Les services de la Protection civile détruisaient encore en cette année 2015 plusieurs centaines de milliers d'obus et estimaient que, sauf nouvelle catastrophe, les champs de bataille de la Première Guerre devraient être dépollués dans sept cents ans. "
"[...] C'est sous celui de Romain Gary qu'il avait écrit cette phrase : « Je n'ai pas une seule goutte de sang français mais la France coule dans mes veines.» Alors qu'une alliance de fait entre les islamistes djihadistes et l'extrême droite nationaliste tentait d'entraîner la France dans une guerre civile, j'aimais cette définition simple donnée par ce juif de Lituanie : «Le patriotisme c'est l'amour des siens, le nationalisme c'est la haine des autres.»" 
Le Seuil, 432 pages.