"L'Algérie les appellera des rats. Des traîtres. Des chiens. Des terroristes. Des apostats. Des bandits. Des impurs. La France ne les appellera pas, ou si peu. La France se coud la bouche en entourant de barbelés les camps d'accueil. Peut-être vaut-il mieux qu'on ne les appelle pas."
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Ali est un petit garçon qui vit dans la montagne d'une Algérie française. En grandissant il devient, avec ses frères, entrepreneur ; ils possèdent une plantation d'oliviers qui leur permet de fabriquer de l'huile.
Au cours de la seconde guerre mondiale il se bat en Italie "pour" les français.
Sa vie est suit son cours, lentement, des enfants naissent, poussent, grandissent, jusqu'à ce que les premiers attentats secouent le pays, le FLN, l'indépendance réclamée et tout à coup ne plus savoir où l'on doit se placer, qui l'on est ; la peur qui entre en jeu, la confiance envers un peuple pour qui l'on s'est déjà battu... devenir un traitre sans le vouloir quel que soit le camp.
Et voilà Ali qui quitte l'Algérie pour protéger et sauver sa famille, ses enfants.
Une famille qui du jour au lendemain perd tout, sa maison, ses repères, sa langue, un patriarche qui devient juste un vieil homme sans plus aucun pouvoir ni autorité ; une chute violente, inattendue, impossible.
Et puis c'est Hamid, le fils ainé, né en Algérie mais qui finalement grandira en France, dans la honte des camps, dans la honte de la déchéance de son père, dans l'incompréhension de ses choix.
Mais aussi un jeune homme qui grandira en France, à l'école, loin de la religion et de sa langue maternelle. Un jeune homme qui épousera une française, une "blanche", qui sera proche du reniement de sa famille, de sa foi, de "son" pays.
Et la petite fille, née en France, mais baignée dans une culture qu'elle ne sait pas être sienne, une ambivalence compliquée, un prénom sans ambiguïté mais une langue qu'on ne sait pas parler.
La possibilité d'un retour, d'une rencontre ... ou pas.
Sur 3 générations Alice Zeniter nous emmène dans l'intimité de cette famille, mais aussi et surtout dans l'intimité de la vie de milliers de harkis, d'un peuple qui s'est retrouvé face à des choix cornéliens, qui n'est "ni...ni...", et surtout pas les deux, bref comme un immense sacrifice d'âmes humaines sur plusieurs générations avant de (re)trouver sa place.
Je partais très méfiante sur ce roman car mes premières rencontres avec Alice Zeniter n'ont pas été très réussies. Mais là je dois reconnaître qu'elle mérite son prix et pour plusieurs raisons.
Dans la société actuelle il est plutôt intéressant de rappeler ce que la France a fait dans ses "colonies", rappeler d'où certaines personnes viennent et l'importance de ne pas faire d'amagalme sur une couleur de peau, un nom ou une origine.
Finalement je ne connaissais pas grand chose de cette guerre d'Algérie et on découvre peu à peu de plus en plus de choses pas très jolies qui ont été faites pendant et après le conflit. Les promesses, les mensonges, une certaine honte.... (on peut relire "Un loup pour l'homme" de Brigitte Giraud)
Un livre important pour l'Histoire, pour la Mémoire.
"Ils attribuent ce nouveau déchirement à leur malchance, à la cruauté du hasard ou aux nécessités d'un monde du travail qu'ils connaissent mal. Personne ne leur explique que le Service des Français musulmans, rattaché au tout nouveau ministère des Rapatriés, a recommandé qu'on veille « à ne pas mettre dans les hameaux des familles de même origine » car cela « amène inévitablement, en cas de difficulté, les membres de cette famille à faire bloc, et de ce fait à opposer une résistance accrue en cas d'application de mesures de discipline »."
"Ils parlent de moins en moins à leurs parents, de toute manière. La langue crée un éloignement progressif. L'arabe est resté pour eux un langage d'enfant qui ne couvre que les réalités de l'enfance. Ce qu'ils vivent aujourd'hui, c'est le français qui le nomme, c'est le français qui lui donne forme, il n'y a pas de traduction possible. [...] Ali et Yema regardent l'arabe devenir langue étrangère pour leurs enfants, ils entendent les mots qui échappent de plus en plus, les approximations qui se multiplient, le français qui vient truffer la surface des paroles."
"Le soir du 13 novembre, Naïma est au cinéma [...] Elle pleure sa mort puis, tout en se reprochant son égoïsme, elle pleure sur elle-même, ou plutôt sur la place qu'elle croyait s'être construite durablement dans la société française et que les terroristes viennent de mettre à bas, dans un fracas que relaient tous les médias du pays et même au-delà. [...] Ce n'est pas, comme le croit Naïma, un dommage collatéral, c'est précisemment ce qu'ils veulent : que la situation devienne intenable pour tous les basanés d'Europe et que ceux-ci soient obligés de les rejoindre."Flammarion, 506 pages.
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