"Car la lecture est un singulier dialogue qui ne rêve que de pluriel, celui du désir incandescent d'échanger, de partager et de confronter ses impressions de lecture, de les dire aux autres et au monde, un désir puissant de faire circuler les oeuvres et de donner aux mots aimés l'écho le plus long et le plus lointain possible" Manuel Hirbec pour "Page"
Je me suis beaucoup interrogée sur les articles que je souhaite écrire, les livres dont je veux parler.
Dois-je faire un article pour chaque livre ? Ou uniquement ceux qui m'ont vraiment plu ?
La réponse je l'ai trouvé en pensant à mon club de lecture ; nous y sommes pour parler de tous les livres que nous lisons, pour échanger, discuter, alors comme l'idée est de faire un peu pareil ici, j'ai décidé de tout mettre. Il y aura donc des articles courts, des plus longs, des passionnés et des plus ternes. Certains vous donneront peut-être envie de lire le livre concerné, d'autres vous donneront peut-être envie de me convaincre...
Alors soyez indulgents, et surtout n'hésitez plus à faire un commentaire !
Au plaisir de (vous) lire.
mercredi 31 mai 2017
"L'Ile des chasseurs d'oiseaux" de Peter May
Après "Les disparus du phare" et les commentaires dithyrambiques sur Peter May que j'ai reçu sur Facebook, et après les articles et recommandations de ma collègue de lecture et de blog je me suis laissée tenter par la trilogie écossaise de Peter May en commençant donc par "L'Ile des chasseurs".
Dans ce premier opus nous rencontrons Fin McLeod, inspecteur à Edinburgh. Il est en plein deuil et après un mois d'arrêt de travail, est envoyé à Lewis son île natale des Hébrides où un cadavre a été retrouvé. Le modus operandi ressemble étrangement à une affaire sur laquelle il travaille à Edinburgh...
Le cadavre est celui d'Ange que Fin a connu lorsqu'il était enfant.
Non seulement Fin va se plonger dans cette enquête qui le touche personnellement mais il va re-plonger dans son enfance, son adolescence, sa vie d'avant, ici sur ses îles d'Écosse.
Il va se retrouver confronté à ses copains d'enfance, son premier amour aussi, ses peurs, ses erreurs....
Et les traditions de cette Écosse lointaine où l'on parle encore le gaélique, où l'on se réchauffe en brûlant de la tourbe, où l'on respecte le sabbat ; et puis il y a cette île, An Sgeir, ce rocher nu, lointain, battu par les vents et les flots, où une douzaine d'hommes se rendent chaque année dans des conditions extrêmes afin de récupérer des "gugas", ces jeunes poussins des "fous de Bassan".
Que se passe-t-il sur ce rocher ? Que s'est-il passé ?
Tout en suivant l'enquête mené par Fin, nous découvrons aussi petit à petit des bribes de son passé, jusqu'à la révélation finale.
Se lit d'une traite, je n'ai pas pu lâcher le livre une fois commencé ; j'ai été littéralement embarqué dans les paysages d'Écosse et dans cette enquête haletante.
Merci Aurore, merci Sophie, merci Thierry !
lundi 22 mai 2017
"Tropique de la violence" de Nathacha Appanah
"J'ai vingt-trois ans et le train arrive, bleu et sale. Je quitte la vallée de mon enfance où j'ai été une petite chose faible et perdue, écrasée par les montagnes. Je ne peux plus voir le noir de l'hiver dégouliner sur les maisons et les visages, je ne supporte plus l'odeur moisie dans l'air dès le matin, je ne supporte plus ma mère qui perd la tête, qui parle tout le temps et qui écoute Barbara à longueur de journée."
Ce n'est pas tout à fait le début du roman mais sur la première page.
Dès ce démarrage j'ai aimé le style d'écriture et tout de suite on est mis dans l'ambiance un peu glauque de ces vies que nous allons suivre dans ces petites îles de l'océan Indien.
Il s'agit donc de Marie, une blanche qui vit à Mayotte, elle va adopter Moïse, un enfant noir qui arrive des Comores. Moïse qui a un oeil vert et un oeil noir.
Et puis il y a Bruce, le chef de "Gaza" - un quartier défavorisé de Mamoudzou.
Olivier, un "flic", proche de la retraite qui se sent impuissant face à la montée de la violence.
Et Stéphane, le petit blanc qui arrive de la métropole pour faire un stage dans une ONG, il est là pour "aider" les jeunes dans les quartiers défavorisés...
Nathacha Appanah nous raconte leur vie en nous faisant entendre leurs voix, l'une après l'autre.
Mayotte est donc un territoire français, au milieu de l'océan Indien, il y a tous les immigrés des îles voisines qui voient un salut en débarquant sur cette île providence. Malheureusement... ce n'est pas toujours si facile, et le c'est ainsi que gonfle la population dans les bidonvilles, que gonfle le chiffre du chômage, que gonfle le bruit sourd de la révolte et de la violence.
C'est un livre dur, mais probablement très vrai. On s'accroche à nos petits personnages qui voient leur vie se déliter, s'enfoncer... On sent la "petitesse" de l'île, l'étroitesse, l'impossibilité de partir, de rêver...
"Je ne sais pas qui a surnommé ainsi le quartier défavorisé de Kaweni, à la lisière de Mamoudzou, mais il a visé juste. Gaza c'est un bidonville, c'est un ghetto, un dépotoir, un gouffre, une favela, c'est un immense camp de clandestins à ciel ouvert, c'est une énorme poubelle fumante que l'on voit de loin. Gaza c'est un no man's land violent où les bandes de gamins shootés au chimique font la loi. Gaza c'est Cape Town, c'est Calcutta, c'est Rio. Gaza c'est Mayotte, Gaza c'est la France.""Oh, après tout, ce n'est peut-être qu'une vieille histoire, cent fois entendue, cent fois ressassée. L'histoire d'un pays qui brille de mille feux et que tout le monde veut rejoindre. Il y a des mots pour ça : eldorado, mirage, paradis, chimère, utopie, Lampedusa. C'est l'histoire de ces bateaux que l'on appelle kwassas kwassas, ailleurs barque ou pirogue ou navire, et qui existent depuis la nuit des temps pour faire traverser les hommes pour ou contre leur gré. C'est l'histoire de ces êtres humains qui se retrouvent sur ces bateaux et on leur a donné des ces noms à ces gens-là, depuis la nuit des temps : esclaves, engagés, pestiférés, bagnards, rapatriés, Juifs, boat people, réfugiés, sans-papiers, clandestins. Moi qu'est-ce que je raconte, moi, je ne suis qu'un flic qui applique la loi française sur une île oubliée. Devant le corps de Bruce, chef de bande de Gaza, tyran, voleur, voyou, j'ai gardé les yeux fermés et j'ai prié.""Je ne sais pas qui a baptisé ce quartier de Kaweni Gaza, je ne suis pas sûr de savoir où se trouve la vraie ville de Gaza mais je sais que ce n'est pas bon. Est-ce que si cette personne avait baptisé ce quartier avec un nom doux, un nom sans guerre, un nom sans enfants morts, un nom comme Tahiti qui sent les fleurs, un nom comme Washington qui sent les grandes avenues et les gens en costume cravate, un nom comme Californie qui sent le soleil et les filles, est-ce que ça aurait changé le destin et l'esprit des gens ici ?""J'ai quatorze ans ou déjà quinze je ne sais plus. Quelle importance après tout puisque chaque jour est le même. La peur, la faim, la marche, le sommeil, la faim, la peur, la marche, le sommeil. Je mangeais ce que je trouvais, je me lavais quand je pouvais, je dormais sous les varangues, un oeil ouvert."
jeudi 18 mai 2017
"Les jours de mon abandon" de Elena Ferrante
mardi 16 mai 2017
"Vincent qu'on assassine" de Marianne Jaeglé
dimanche 14 mai 2017
"Les résistants de Tombouctou" de Joshua Hammer
Joshua Hammer est un journaliste américain qui nous livre ici un magnifique reportage/documentaire sur les manuscrits de Tombouctou, la montée du djihadisme au Mali et le sauvetage de ses fameux manuscrits.
Au début il faut un petit s'accrocher car cela peut sembler un peu rébarbatif mais de manière très intelligente il pose les bases du livre ; ce qui implique un peu d'histoire.
Histoire de Tombouctou avec son âge d'or, ses universités, ses sages, jusqu'à l'invasion marocaine à la fin du XVIème siècle, mais cette invasion ne mettra pas fin à la frénésie intellectuelle de Tombouctou, elle passera simplement dans la clandestinité, et de nombreux manuscrits seront cachés, disséminés parmi les familles de Tombouctou.
Histoire de ces fameux manuscrits au cours des siècles, manuscrits de physique, mathématiques, astrologie, philosophie, droit, des corans.... bref toute une culture datant de plusieurs siècles, un trésor incommensurable.
Et nous arrivons à l'histoire de nos jours, avec Abdel Kader Haïdara qui pendant des années à sillonner l'Afrique, le long du Niger et dans le désert afin de récupérer un maximum de ces manuscrits (des centaines de milliers) et créer une bibliothèque-musée ; puis il s'est attelé à la création de sa propre bibliothèque avec les volumes hérités de son père.
Et puis c'est la montée du djihadisme, notamment au Mali, et la prise de Tombouctou, alors il faut sauver ces milliers de manuscrits qui ont tenu des siècles mais pourraient partir en fumée en quelques instants à cause d'une poignée de fanatique.
J'ai eu un petit peu de mal à entrer dans le sujet mais très vite je me suis retrouvée happée et passionnée, on apprend beaucoup sur l'histoire de l'Afrique, sa culture, sa connaissance.
"Tombouctou, «perle du désert», était depuis des siècles un foyer de culture islamique, et l'islam sous sa forme pervertie avait tenté de la détruire. Mais la force même de cette culture et la détermination de gens qui, comme Haïdara, s'étaient passionnés pour ses richesses et son rayonnement avaient, au bout du compte, sauvé les précieux manuscrits.
"L'un de ces chefs-d'oeuvre est particulièrement cher à Haïdara, car il le conforte dans sa conviction que l'islam, dans sa forme la plus pure, est une religion de paix. C'est un manuscrit sur la résolution du conflit entre les royaumes de Borno et de Sokoto (deux régions de l'actuel Nigéria), oeuvre d'un intellectuel et guerrier saint soufi qui régna brièvement sur Tombouctou au XIXème siècle. Haïdara voit en cet auteur un djihadistes au sens premier - et noble - du terme : un homme qui lutte contre ses pensées impures, ses désirs malsains, ses colères et ses démons intérieurs et les soumet à la raison et aux commandement de Dieu."
"En découvrant les manuscrits, Emily a été frappée par ce qu'ils révélaient : une société libérale traversée d'influences divers, une culture artistique et scientifique qui s'était développée parallèlement aux ferventes traditions musulmanes de Tombouctou."
"Ces manuscrits attestent d'une communauté au sein de laquelle science et religion faisaient bon ménage et s'influençaient mutuellement. Une telle vision du monde était incompatible avec celle d'Al-Qaïda."
mardi 9 mai 2017
"Les délices de Tokyo" de Durian Sukegawa
Sentarô travaille dans une échoppe où il fabrique et vend des dorayaki - petits beignets fourrés à la pâte de haricots rouges "azuki".
Bientôt une vieille femme, Tokue, le sollicite pour travailler avec lui ; elle sait fabriquer depuis tant d'années le an, cette fameuse pâte de haricots. Elle va lui apprendre le secret de sa fabrication, comment "écouter" la vie de ces haricots.
Tokue cache un secret derrière ses mains tordues et bientôt elle va disparaitre comme elle est apparue.
Pour ceux qui me connaissent vous savez que j'aime la lenteur, la douceur, la nonchalance de l'écriture japonaise (même coréenne), mais là je n'ai pas réussi à accrocher, à y croire, a m'attacher aux personnages.
Je suis déçue parce qu'on m'avait tellement bien "vendu" ce livre qu'il a failli me tomber des mains. J'ai trouvé l'écriture très enfantines (la traduction ?), je ne suis pas certaine que cela soit nécessaire pour exprimer de la douceur.
Oui le thème de la maladie est intéressant, et les conséquences à une certaine époque, cependant la manière dont cela est traité n'a pas fonctionné avec moi.
Tant pis...
Je crois que j'essaierai tout de même de voir le film, peut-être serais-je touchée cette fois.
lundi 8 mai 2017
"Les disparus du phare" de Peter May
mercredi 3 mai 2017
"Règne animal" de Jean-Baptiste Del Amo
De la fin du XIXème siècle aux années 1980 l'histoire d'une famille et de sa ferme dans le Sud-Ouest de la France ; famille et ferme qui traversent les deux guerres, ainsi que la révolution industrielle avec la modernisation de l'agriculture et notamment de l'élevage, ici de porc.
Dans cette petite ferme vivent côte à côte la génitrice, le père et la fille Éléonore. Simplement avec le terme génitrice tout est dit sur les relations que peuvent entretenir la mère et la fille. Le père lui est souffreteux, faible, il est bientôt contraint de demander de l'aide à un neveu, c'est Marcel qui viendra vivre avec eux.
Il y a quelques vaches, des cochons, des poules, des lapins et les champs ; beaucoup de travail à une époque où la modernité n'en est qu'à ses débuts. On vit sans l'eau courante, sur un sol en terre battue, les dents sont sales, l'haleine lourde.
L'atmosphère est pesante, oppressante, peu de parole, peu de reconnaissance et visiblement peu d'amour.
Puis nous passons aux années 80, la famille s'est agrandie et surtout la ferme est devenue une exploitation d'élevage porcin intensif. Éléonore est toujours présente - l'aïeule mémoire de la famille ; c'est son fils Henri qui a repris l'exploitation et l'a fait s'accroître, il est aidé par ses deux fils Serge et Joël. Il y a aussi dans la maison Catherine et Gabrielle, et les enfants, Marie-Julie, Jérôme ainsi que les jumeaux Pierre et Thomas.
Jean-Baptiste Del Amo nous décrit une ambiance "hyperréaliste", c'est suffocant, l'air est poisseux, collant, tout y est de la violence quotidienne, dans les relations humaines et avec les animaux.
Oui, il y a un message sur le mal que l'on fait aux animaux dans l'hyperproduction, ce besoin de manger de la viande tant et plus, et aussi le besoin de faire de l'argent pour les producteurs, alors on oublie que ses animaux sont des êtres vivants qui ressentent la douleur et la souffrance. Leur vie n'est qu'une longue torture jusqu'à l'abattoir.
Et puis il y a la violence de la campagne, du travail laborieux, ingrat, de la pauvreté, de l'inculture.
L'auteur n'y va pas avec le dos de la cuillère, âme sensible s'abstenir...
C'est cru, réel, violent, difficile, révulsant, mais j'ai aimé ce livre.
J'ai aimé le style, propre, soigné, tellement en opposition avec le propos, j'ai aimé "vivre" cette vie paysanne d'avant guerre, j'ai aimé comprendre ce que c'était que la (sur)production animalière.
C'est un roman, mais c'est aussi une trace d'histoire, une occasion de réflexion sur notre évolution passée et à venir.
"Le visage du père est un masque mortuaire affaissé sur les reliefs du crâne. La pièce est empuantie par une odeur de charogne et de transpiration aigre, les vapeurs de geôle et de soupe que l'on sert pour se réchauffer, les haleines que les gueules cariées et les estomacs ulcéreux ont recrachées tout le jour, ressassant le même air confiné dont le suint embue les vitres des fenêtres. Lorsqu'ils voient Éléonore passer enfin la porte, les veilleurs se taisent. L'enfant est immobile, échevelée, sa petite robe de deuil froissée, maculée de traînées de poussière, de brins de paille et de touffes de poils desquamées ; ses bras lacérés."
lundi 1 mai 2017
"Premières neiges sur Pondichéry" de Hubert Haddad
Hochéa Meintzel est un violoniste virtuose, né à Lodz en Pologne où il a passé son enfance dans un ghetto juif. Depuis la seconde guerre mondiale il vit en Israël.
Invité à Chennai à l'occasion d'un festival de musique, Hochéa quitte Jérusalem avec l'intention de ne plus jamais y retourner ; il est âgé, a trop souffert, en particulier depuis un certain attentat ...
Ce voyage l'emmenera de Pondicherry aux côtes de Malabar et à Fort Cochin où il passera une nuit de tempête dans la synagogue bleue à écouter l'histoire de l'arrivée des Juifs sur cette côte.
C'est un beau texte, plein de poésie, d'une grande sensibilité.
C'est un voyage puissant dans l'exotisme de l'Inde, on y retrouve le bruit, l'odeur, les couleurs, toutes ces particularités qui rendent ce pays à la fois attachant, déboussolant et horripilant.
Mon seul bémol est qu'il y a parfois des passages incompréhensibles, un peu fouillis.
L'incipit nous met tout de suite dans l'ambiance. Est-ce d'avoir vécu en Inde qui permet ce ressenti ?
"Madras la nuit - poix et goudron. L'air a une épaisseur d'huile. Une puissante odeur de putréfaction chargée de poussière et de cendres animales s'infiltre sous l'épiderme, dans la gorge et les bronches."
"Cloches, gongs et klaxons, chants et disputes, appels du muezzin, feulements et rumeurs, les bruits de l'Inde remontaient du fond des siècles. Ce vacarme continu l'avait surpris d'emblée à Chennai. C'est le coeur monstrueux du temps qui bat. Il faut bien qu'un dieu danse jour et nuit : s'il oubliait un instant la misère du monde, son réveil consterné vaudrait une apocalypse. C'est le qui-vive de Shiva !"