Je me suis beaucoup interrogée sur les articles que je souhaite écrire, les livres dont je veux parler.

Dois-je faire un article pour chaque livre ? Ou uniquement ceux qui m'ont vraiment plu ?

La réponse je l'ai trouvé en pensant à mon club de lecture ; nous y sommes pour parler de tous les livres que nous lisons, pour échanger, discuter, alors comme l'idée est de faire un peu pareil ici, j'ai décidé de tout mettre. Il y aura donc des articles courts, des plus longs, des passionnés et des plus ternes. Certains vous donneront peut-être envie de lire le livre concerné, d'autres vous donneront peut-être envie de me convaincre...

Alors soyez indulgents, et surtout n'hésitez plus à faire un commentaire !

Au plaisir de (vous) lire.

mardi 22 septembre 2020

"Vladivostok Circus" de Elisa Shua Dusapin

 



Nathalie, jeune costumière, part travailler à Vladivostok avec un trio qui pratique la barre russe. 

Deux hommes portent et soutiennent une barre souple et d’une grande élasticité sur laquelle une jeune femme saute et rebondit tout en faisant des figures.

 

 

Ce trio, composé d’Anna, Nino et Anton, se prépare à participer à un concours à Oulon-Onde, ils ont 6 semaines pour définir la chorégraphie, choisir la musique et les costumes. 

 

 

C’est l’occasion de découvrir un peu le milieu du cirque, en particulier en Russie, découvrir aussi un peu plus la vie des personnages qui accompagnent Nathalie.

 

 

Si l’écriture d’Elisa Shua Dusapin est toujours aussi belle et douce je n’ai malheureusement pas accroché ni avec l’histoire ni avec les personnages. Je dois reconnaître que je me suis un peu ennuyée. 

Bon ca ne peut pas fonctionner à chaque fois.

 

 

En revanche je recommande les yeux fermés son premier roman « Hiver à Sokcho ». 

 

ZOE, 174 pages. Août 2020

jeudi 17 septembre 2020

❤️❤️❤️ "Les déviantes" de Capucine Delattre

 



Un premier roman époustouflant de par sa maturité, sa force et la puissance qu’il dégage. 

Un roman très féminin sans tomber dans l'ultra-féminisme. 

 

 

Trois jeunes femmes bousculées par la vie ne vont pas réagir comme elles le « devraient », c’est à dire comme la société s’attend à ce qu’elles le fassent.

Chacune d’elle va vivre SA vie, et surtout décider de choisir ce qu’ELLE veut pour elle, et non pas ce qu’on attend d’elle.

Des choix pas toujours faciles car elles vont devoir aller à l’encontre de leur entourage, elles vont devoir se battre plus fort mais pour une finalité qui peut-être se rapprochera de leur bonheur.

 

 

Tout va démarrer avec Anastasia, une jeune femme de 29 ans, brillante et carriériste, son cancer du sein sera le détonateur de son changement de vie, de sa déviation ; puis son amie Iris prendra le relais car finalement le carcan de son couple l’étouffe trop. Et enfin Lolita qui ne veut pas faire les études qu’on veut lui imposer mais mener sa vie, avec ses envies, ses décisions.

 

 

Non seulement le récit est bien monté, mais la plume est très belle avec un vocabulaire riche, un rythme dynamique, vivant. Il n’y a pas de pause, on veut dévorer les chapitres les uns après les autres. 

C’est un texte d’une justesse impressionnante quand on sait que l’autrice n’a que 19 ans, les personnages sont tout à fait crédibles et attachants. 

En tant que femme je crois que l’on peut facilement se sentir proche de l’une ou l’autre, et partager leurs questionnements. 

 

 

Pour moi un très grand premier roman, une jeune écrivain à suivre !

 

 

« Sa bague.
C’est sa pénitence, sa marque, son signe d’asservissement, son âme vendue au diable.
C’est le corset miniature enserré autour de ses rêves de sauvagerie et de spontanéité. »

 

« Je veux pouvoir vous donner des réponses, moi aussi. Et c’est pour ça que j’ai besoin de partir. Pour voir des choses que vous ne connaissez pas, pour échapper à votre regard, pour avoir le temps de devenir quelqu’un que vous ne pourrez pas calibrer. »


Belfond, 270 pages. Août 2020

mercredi 9 septembre 2020

❤️❤️❤️ "La petite dernière" de Fatima Daas

 



Un récit court, incisif, rythmé comme une litanie où l’autrice se livre par petite touche. 

C’est comme un dessin qui apparaît trait après trait, une sculpture que l’on voit naitre sous les coups de burin, 

A chaque phrase, à chaque chapitre on découvre un peu plus la jeune femme. 

 

 

Fatima Daas vit une double voire une triple intégration.

Intégration avec sa famille algérienne en France

Intégration dans sa famille car elle est la seule à être née en France, son pays à elle c’est la France

Intégration dans son propre corps, car elle a toujours été ce qu’on appelle « un garcon manqué », elle se sent musulmane, mais sa foi, sa religion n’accepte pas ce qu’elle est. 

 

 

Comment faire face à sa propre vie, à sa famille, à son pays ? 

Comment se construire lorsque sa foi ne rencontre pas la personne que l’on est ? Lorsque son prénom, Fatima, est celui d’une femme symbolique de l’islam, lorsque ce prénom porte toute la puissance de Dieu.

 

C’est délicat et féroce à la fois, touchant et bouleversant. 

J’ai aimé la sincérité de ce texte, j’ai aimé la forme avec la petite rengaine de chaque début de chapitre, j’ai aimé cette voix féminine si particulière.

 

N’attendez plus et lisez ce texte brillant !!


Les Éditions Noir sur Blanc, 190 pages. Août 2020

dimanche 6 septembre 2020

"La fièvre" de Sébastien Spitzer

 


Memphis, 1878, une violente épidémie de fièvre jaune frappe la ville, un mal qui tue, vite et beaucoup. 

Très rapidement une partie des habitants fuient la ville, c’est un peu la débandade, quelques-uns restent pour soigner, d’autres pour surveiller et défendre. 

 

 

Memphis est une des capitales du coton, au bord du Mississipi ; la guerre de Sécession est passée par là, les esclaves ont été affranchis, le Ku Klux Klan est né, le racisme est puissant.

 

 

Tout au long de l’histoire on suit principalement 3 personnages dont les trajectoires vont se recouper. 

Anne Cook, la tenancière d’une maison close ; Keathing qui tient le journal local et fait partie du KKK, et puis la jeune Emmy, une métisse de 13 ans qui attend le retour de son père. 

 

 

C’est un livre intéressant, distrayant, une lecture agréable, mais mon petit bémol est que j’aurais aimé un peu plus de densité dans l’histoire, plus de consistance dans les personnages, j’aurais aimé aller plus loin plus en profondeur, ça m’a manqué, j’aurais facilement pu lire 100 ou 200 pages de plus, je suis un peu restée sur ma faim. 


A lire absolument son premier roman qui reste pour moi son plus réussi jusque là, "Ces rêves qu'on piétine" 

 

 

« La vérité ? Quelle drôle d’idée, répète-t-elle. J’ai appris à mes filles à dire oui, jamais non. J’ai appris à mes filles à voir la vie en mieux, pas telle qu’elle est. Je voudrais qu’elles sachent rêver leur vie. Les geignardes, les pleurnichardes, toutes celles qui s’encombrent de vérités trop lourdes, qu’elles aillent donc voir ailleurs, au couvent ou dans le lit d’un bon petit mari. La vérité, Keathing, c’est comme une lune de mie ou une épiphanie. Faut pas s’y attacher, sinon, c’est une chute assurée, le grand désenchantement. Combien de fois a-t-il fallu que je lui torde le coup à cette putain sordide, Keathing ? »

 

Albin Michel, 320 pages. Août 2020

❤️❤️ "Mon père, ma mère, mes tremblements de terre" de Julien Dufresne-Lamy

 


Après le bouleversement produit par « Jolis jolis monstres » j’attendais avec impatience ce nouveau roman de JDL.

La transformation sexuelle est un thème qui me fait peur, que je ne maitrise pas du tout, loin de mon quotidien et de mes préoccupations, n’ayant jamais été concernée de près ou de loin, il me sort totalement de ma zone de confort.

Le roman « Point cardinal » de Léonor de Récondo m’avait déjà ouvert l’esprit sur ce thème et la confiance que j’ai dans l’écriture de JDL m’a permis d’aborder ce nouveau roman de la rentrée littéraire avec sérénité.

 

 

Charlie, 15 ans, est assis sur une chaise en plastique dans une salle d’attente d’un hôpital.

Dans 4 heures son père renaitra, il sera Alice.

Au cours de ces quelques heures que dure l’intervention, Charlie se remémore les deux dernières années écoulées depuis l’annonce faite par son père. 

Avec sa mère ils ont vécu des vagues émotionnelles intenses, ils ont tenté de comprendre et d’accepter ce bouleversement, pour eux, pour lui, pour Alice.

 

 

La transidentité est abordée avec pudeur et délicatesse, et en particulier du point de vue de l’ado. Comment un jeune homme de 15 ans qui a besoin de grandir avec une figure paternelle peut-il réussir à se construire ? Comment peut-il accepter son père et celle qu’il devient ? Que ressent-il face à ce « tremblement de terre » ? 

 

 

A nouveau JDL nous offre un roman magnifique de sensibilité et d’émotion, un texte vibrant. 

Il y a un tel respect de l’humain, de la différence, on ressent tellement d’amour. De l’amour dans l’histoire, de l’amour dans les mots, de l’amour pour nous lecteur aussi. 

Il n’y a pas de jugement, juste une constatation, des émotions, des bouleversements, des secousses, des tremblements de terre…

 

 

Merci @JDL d’ouvrir nos esprits, notre conscience à ces réalités, merci de cette douceur et de cette délicatesse pour nous amener à réfléchir sur des sujets importants de notre société. 

 

        « M’man, tu t’es jamais demandé pourquoi on voit toujours les mêmes trans à la télé ? […]                             Les mêmes trans ? 

        Les trans en difficulté, placardées, abandonnées, agressées, prostituées. 

        Elles existent, Charlie. Il faut en parler. 

        Et les autres alors ?

        Les autres ?

        Les trans professeurs, les trans dentistes, les trans ouvriers ….[…] 

        Parce que ce sont des histoires normales ! Et alors quelle idée ça susciterait ! Quel dangereux exemple pour la société ! »

 

« Cette nuit-là, je prenais conscience que dans mon cahier, je ne parlais jamais de ma mère. Je prenais conscience que depuis les tremblements de terre, j’avais abandonné ma mère. » 

« Et pour le courage de tout recréer, y a un mot quelque part, tu crois ? » 


Belfond, 256 pages. Août 2020.

mardi 1 septembre 2020

"Le fumoir" de Marius Jauffret

 




Dans ce texte autobiographique Marius Jauffret nous fait partager son expérience de l’institution hospitalière, en psychiatrie. 

Ce jeune homme, visiblement mal dans sa peau, boit et prend quelques comprimés pour pallier son mal-être, il se connaît et sait parfois s’arrêter…jusqu’au jour où ayant encore trop bu son frère l’emmène à Sainte Anne (hôpital psychiatrique) et où comme dans un cercle infernal il voit son frère signer, presque à son insu, une hospitalisation sur demande de tiers. Il faut dire que le médecin leur a fait peur et leur a fait valoir tous les bienfaits d’une hospitalisation.

Seulement Marius pense sortir dès qu’il sera sevré de sa dernière grosse cuite (2,5g quand même…) et là il découvre qu’il ne peut pas sortir comme ça, il est enfermé alors qu’il n’a rien fait.

Il n’est pas le seul à être enfermé, certains sont là depuis des mois voire des années, sans vraiment d’espoir de se voir sortir. 

Il y a les chanceux qui ont de la famille et des connaissances, et de l’argent, et puis il y a les pauvres, seuls, sans domicile, sans travail, qui n’ont que peu d’espoir de sortir.

C’est pire que la prison dise certain, pas de travail, pas d’occupation, hormis le « fumoir » haut lieu de rencontre avec les autres enfermés et le personnel. 

 

 

Une description effrayante du système, de l’engrenage dans lequel nous pouvons tous glisser sans nous rendre compte…
Si tout ce qui est raconté est vrai alors il y a de sérieux problèmes.

Quand l’innocent a plus à prouver que le coupable qui n’est même pas en prison.

Un texte qui fait réfléchir sur nos institutions et leur fonctionnement. 

 

 

Pas de misérabilisme ni d’apitoiement, une simple constatation, un témoignage effrayant. 

À découvrir absolument !

"La plupart du temps, boire m'évite de subir mes cogitations de plein fouet. Elles se font plus vagues après quelques verres, le point central de mon attention s'accroche à l'histoire futile d'une série feel good ou, pire, à un débat politique. La plus grande partie de mes journées est consacrée à la réflexion, une terrible et intense plongée inutile dans mon for intérieur. Boire n'est pas un loisir. Boire est une nécessité sans saveur. L'alcool m'apporte une sérénité qu'il m'est impossible de trouver dans la lucidité, qui charrie inévitablement avec elle toutes les horreurs et les injustices de la société. Des injustices que j'absorbe et métabolise en acide sulfurique. Quand à l'idée de crever à cause du whisky, si je me pose la question, elle s'étiole à mesure que je bois. Avec un litre d'alcool fort par jour, c'est le foie qui s'épuisera. À moins qu'un autre organe ne lui vole la vedette, ce qui serait une injustice de plus." 

"Mais moi, le dépressif, l'excessif, le jouisseur solitaire, le handicapé social, je ris, je pleure, j'exulte, je me morfonds, je suis en haut de l'échelle ou au fond du puits, mais je suis vivant. Et j'ai le droit de vivre. Je ne suis pas une construction rectiligne. Je suis un morceau de viande flanqué de neurones qui s'agitent. Les psychiatres sont faits de la même manière que moi. Pourtant, ils croient dur comme fer que la raison les fait agir, qu'ils obéissent à une logique naturelle et en parfaite symbiose avec les attentes cartésiennes de la société. Ils se placent au-dessus de ceux qu'ils soignent. Comment être lucide lorsqu'on se sent supérieur, supérieur non par l'intellect, non par l'éducation, mais supérieur tout court, humainement ?"

"Le nombre de personnes internées sans consentement a doublé en dix ans. Aujourd'hui elles sont quatre-vingt-deux mille. Soit douze mille de plus qu'en prison. Sommes-nous devenus deux fois plus fous ? Ou vivons-nous dans une société deux fois plus sécuritaire ? Liberticide ? Plus de trois quarts des patients ne sont pas atteints par une pathologie précise. Plus de trois quarts des patients ne sont pas malades. Et dans la plupart des asiles, la chance de recouvrer la liberté après le passage devant le juge est de zéro pour cent. Les innocents sont plus nombreux dans les chambres blanches des asiles que les criminels derrière les verrous. Et, contrairement à ces derniers, ils y restent. Ils y crèvent."

 

Éditions Anne Carrière, 192 pages. Septembre 2020.