"Car la lecture est un singulier dialogue qui ne rêve que de pluriel, celui du désir incandescent d'échanger, de partager et de confronter ses impressions de lecture, de les dire aux autres et au monde, un désir puissant de faire circuler les oeuvres et de donner aux mots aimés l'écho le plus long et le plus lointain possible" Manuel Hirbec pour "Page"
Je me suis beaucoup interrogée sur les articles que je souhaite écrire, les livres dont je veux parler.
Dois-je faire un article pour chaque livre ? Ou uniquement ceux qui m'ont vraiment plu ?
La réponse je l'ai trouvé en pensant à mon club de lecture ; nous y sommes pour parler de tous les livres que nous lisons, pour échanger, discuter, alors comme l'idée est de faire un peu pareil ici, j'ai décidé de tout mettre. Il y aura donc des articles courts, des plus longs, des passionnés et des plus ternes. Certains vous donneront peut-être envie de lire le livre concerné, d'autres vous donneront peut-être envie de me convaincre...
Alors soyez indulgents, et surtout n'hésitez plus à faire un commentaire !
Au plaisir de (vous) lire.
samedi 30 novembre 2019
"Ce que tu as fait de moi" de Karine Giebel
Ce thriller psychologique nous emmène dans les bas-fond de l'âme humaine, dans les pires distorsions des relations amoureuses, et même plutôt passionnelles.
Il y a de la perversité, de la dépendance, de l'obsession, de la manipulation.
Je ne peux pas trop en dire, mais tout démarre à la Direction Départementale de la Sécurité Publique, dans deux salles d'interrogatoire.
Dans la première se trouve Richard Ménainville le commandant de la brigade des Stups et dans la seconde Laëtitia Graminsky lieutenant dans cette même brigade ; tout au long de la nuit chacun raconte sa version des faits dans une synchronie parfaite et troublante.
C'est un roman fracassant qui m'a beaucoup perturbée, j'ai trouvé la psychologie des personnages très bien faite et très bien travaillée, on voit et on sent monter le drame, petit à petit, sans que rien ne puisse se faire pour l'empêcher.
On voit l'enlisement comme dans des sables mouvants, il n'y a aucune porte de sortie, en tout cas il ne semble pas.
Un livre sous tension, qu'on ne lâche pas, et en même temps oppressant.
Attention âme sensible s'abstenir, il y a de la violence, de la perfidie, de la dépravation...
J'ai cependant deux petits bémols, il y a un mécanisme de répétition très bien fait entre les deux personnages principaux qui va peut-être un peu trop loin à mon avis pour rester crédible, et je n'ai pas hyper adhéré à la fin et au dernier développement psychologique.... peut-être que c'était trop pour mon petit coeur vulnérable.
Mais ceci n'a aucunement gâché mon plaisir de lecture, et maintenant que j'ai découvert Karine Giebel j'y retournerai ! Ça reste un livre impressionnant !!
Belford, 552 pages. Novembre 2019.
lundi 25 novembre 2019
"Ceux que je suis" de Olivier Dorchamps
Le père de Marwann vient de mourir et une de ses dernières volontés est d'être enterré au Maroc, son pays de naissance.
Marwann et ses frères sont tous les trois nés en France et ne comprennent pas cette demande de leur père. Ils ne pourront jamais se rendre sur sa tombe, et leur mère non plus ; leur vie est ici à Paris ou à Clichy où ils ont grandi.
Le Maroc, ils ne l'ont connu que petits, pendant les vacances d'été, mais depuis quelques années ils ne s'y rendent plus trop. Chacun a son travail et mène sa vie.
Alors pour Marwann faire ce voyage à l'envers, avec son père, le ramener dans son pays natal, c'est le moyen de partir à la découverte de son histoire, l'histoire de la famille.
Ce premier roman est très réussi car le thème abordé n'est pas très facile, et surtout a déjà été traité de nombreuses fois.
Olivier Dorchamps parvient à nous entrainer dans la complexité des familles multiculturelles, la difficulté à trouver sa (bonne) place au sein de sa famille proche et élargie mais aussi au sein d'une société qui a encore du mal à gérer la pluriculturalité que ce soit ici ou ailleurs.
Et cette différence doit aussi apprendre à se gérer entre les générations, c'est à dire ceux qui ont quitté un pays pour s'installer ailleurs et commencer une nouvelle vie, et leurs enfants qui eux n'ont rien quitté, mais toujours vécu au même endroit et se sentent chez eux là où ils sont nés, ont grandi, ont été à l'école. Il faut se battre contre les préjugés, les délits de "sale gueule"...
Et puis le décalage avec les "cousins", la famille restée au pays, cette famille qui croit que ceux qui sont partis sont riches, doivent toujours rapporter des "cadeaux"...
O. Dorchamps décrit magnifiquement cette jolie famille marocaine, le regard des enfants qui se fait parfois dur, mais qui est aussi souvent tendre et surtout très reconnaissant.
C'est un roman d'une grande justesse, qui analyse avec finesse et sensibilité les différents décalages. Dans cette histoire il s'agit d'une famille franco-marocaine mais la situation pourrait s'adapter à toutes les autres configurations possibles. J'y ai vu tellement de parallèles avec tellement d'histoires croisées au gré de mes voyages et de mes rencontres.
On retrouve toujours cette ambivalence, pas toujours facile à vivre, pas toujours facile à expliquer et à comprendre.
Un joli premier roman qui mérite d'être découvert, un auteur à suivre !
"[...] ma mère en était sortie dans une belle djellaba neuve, turquoise, brodée de motifs floraux. [...] Mon père aussi portait une djellaba, brune, rayée de gris avec un liseré doré. Fouad était en jean et chemise rouge, beau comme la jeunesse le permet instantanément. Ils suscitaient sur leur passage les regards moqueurs de la foule des samedis matin. Cela m'avait d'abord irrité, puis j'avais réalisé que ces passants se demandaient sans doute comment on pouvait éclairer la vie d'autant de couleurs, eux qui oscillent du gris de la semaine au bleu marine des week-ends bon ton, et j'avais éprouvé un orgueil immense pour ma famille [...]"
"Si mes parents on quitté le Maroc, c'était pour commencer une nouvelle vie, pas pour prolonger celle qu'ils avaient ici."
Finitude, 253 pages. Août 2019
lundi 18 novembre 2019
❤️❤️ "Murène" de Valentine Goby
Mais quel roman !
J'ai eu beaucoup de mal à m'y mettre car le thème me faisait peur, disons-le m'effrayait, mais ayant une très grande confiance en Valentine Goby j'ai fini par me jeter à l'eau (sans mauvais jeu de mots) et je ne le regrette absolument pas. Il faut dire que les qualités narrative et d'écriture de Valentine Goby ne sont plus à démontrer, et entre nous je ne comprends pas bien pourquoi un tel roman n'a pas figuré en bonne place sur les listes des "grands prix" littéraires de la rentrée (mais ceci est un autre sujet/débat).
Alors ce roman !
Ce roman c'est l'histoire de François, un jeune homme de 22 ans, qui en cet hiver très froid de 1956, a un accident qui va le laisser amputé de ces deux bras. François va passer des mois à l'hôpital pour soigner ses brûlures ainsi que ses moignons.
Puis viendra le temps du retour à la maison, sans bras.... il faut tout réapprendre, il faut tout accepter avec une immense humilité, et surtout il faut imaginer une nouvelle vie car à 22 ans on a toute la vie devant soi.
Mais François est un jeune homme fort, vivant, qui va se battre pour trouver son nouveau chemin.
Il fourmille d'idées pour essayer de faire le plus de choses par lui-même, et petit à petit il va renaître à cette nouvelle vie.
Une visite dans un aquarium va le mettre face à une murène, cet être laid mais qui se déplace dans l'eau sans nageoire dorsale, qui se propulse grâce à tout son corps ; alors ça y est, François a trouvé, il va devenir murène !
Il va donc apprendre à nager, et découvrir une association de sportifs handicapés, c'est le début des premiers tournois, championnats et puis bientôt peut-être des Jeux Olympiques, qui sait ?!
C'est un roman difficile car il y a la souffrance physique du brulé, il y a la souffrance morale de la perte, perte d'un membre mais aussi de toute une vie qui ne sera pas, la souffrance des parents impuissants... mais il y a aussi et surtout une renaissance, une métamorphose, une acceptation, la résilience.
C'est un livre plein d'espoir, de joie, d'attente, de désir, de croyance.
On perçoit tout le travail de recherche qui a été fait en amont, la masse d'informations ingurgitée et qui nous est subtilement rendu ; j'ai tellement appris en lisant ce roman.
C'est un livre qui m'a beaucoup perturbé car en réalité c'est pour moi totalement inimaginable de vivre sans bras, pendant toute la lecture je n'arrêtais pas de voir tout ce que je fais avec mes bras, tous les jours tout au long de la journée, et je crois que je ne suis pas prête de ne plus y faire attention, on ne réalise pas combien ils sont précieux.
J'ai été tellement admirative de la force de ce jeune homme, et j'y ai cru, j'ai adhéré à 100% à cette histoire incroyable.
Je veux vraiment dire ici un grand merci et un grand bravo à Valentine Goby, je suis éblouie et fascinée par son travail.
(et merci à Valérie H de mon club lecture qui m'a "poussé" vers cette lecture 😉)
Actes Sud, 380 pages. Août 2019
samedi 16 novembre 2019
"Avant que j'oublie" de Anne Pauly
Dans ce premier roman très réussi, Anne Pauly se dévoile en nous livrant une partie de son intimité à un moment difficile de sa vie.
Son père vient de mourir, il faut préparer les obsèques, la cérémonie à l'église, vider la maison et faire son deuil.
Avec un style très juste et sans auto-apitoiement elle nous raconte les derniers instants à l'hôpital, la maladie et la fin de la vie du père ; ce père dont il faut faire le deuil et qu'il faut laisser partir.
Pourtant ce père a fait endurer à sa famille une vie teintée d'alcool et de violence, et malgré tout aussi d'amour et de reconnaissance. En tout cas de son point de vue à elle, car pour le frère il ne reste que la violence et l'amertume.
Avec une pointe d'humour, de la tendresse et de la finesse on passe les étapes ; il faut vider la chambre de l'hôpital, rencontrer les Pompes Funèbres, passer par la préparation de la cérémonie à l'église avec des personnes toujours très bienveillantes de la paroisse, jusqu'au petit frichti à la maison où l'on ne parle même plus du défunt, parfois sarcastique le ton est également parfois piquant, ironique et sans complaisance.
Mais lorsque l'on vide la maison de ses parents c'est aussi le moment de replonger dans ses souvenirs, de découvrir des choses que l'on ne soupçonnait pas, cela pourrait être le temps des regrets, et nécessairement il y en a mais c'est cela qui fait avancer, car c'est indécent certes mais la vie continue pour les autres.
Verdier, 144 pages. Août 2019.
jeudi 14 novembre 2019
❤️ "Baïkonour" de Odile d'Oultremont
En Bretagne, Anka, une jeune femme qui travaille dans un salon de coiffure, vient de perdre son père, marin-pêcheur, disparu alors qu'il était seul à bord de son bateau, le Baïkonour.
Bateau dont Anka a toujours rêvé de devenir un jour le capitaine.
Depuis qu'elle est toute petite elle aime la mer, la pêche, le bateau, et rêve d'accompagner son père lors de ses sorties. Elle aussi veut devenir marin-pêcheur mais ses parents ne sont pas de cet avis là, c'est bien trop dangereux...
Marcus est un homme libre, indépendant.
Ayant été "abandonné" par sa mère enfant, il a vécu seul avec son père, un fainéant de première classe qui n'a jamais rien fait de sa vie.
Mais Marcus est volontaire, actif et ne veut se reposer que sur lui-même. Il est grutier, et là-haut, au sommet de sa grue il se sent encore plus libre, seul, mais libre, il n'a besoin de personne...
Les chemins de ces deux êtres plein d'émotions vont se croiser, de haut, de loin... puis peut-être un peu plus près.
Chacun d'eux a son univers pour se sentir vivant, la mer bleue et immense, la hauteur et le silence.
Des personnages particulièrement attachants qui nous emmènent par la main, avec délicatesse, dans leur solitude, dans leur obsession, dans la beauté de leur liberté.
Un roman remarquablement bien écrit qui sait toucher notre sensibilité à l'endroit juste.
Juste, pour voir la beauté des douleurs de ces êtres blessés, la beauté de leur liberté, de leur désinvolture face aux aléas de la vie qui les poussent à continuer comme ils le veulent eux, dans leur esprit.
Cette liberté, l'expression de cette liberté et de cette indépendance m'ont marqué. J'ai aime, tellement, leur vision de leur propre vie, cette facilité pour eux à se laisser toucher par la simplicité.
Je découvre Odile d'Oultremont avec ce roman et suis impatiente de pouvoir lire son premier roman qui, si il est du même acabit, me plaira nécessairement 😊
Les éditions de l'Observatoire, 219 pages. Juin 2019
mercredi 6 novembre 2019
❤️❤️❤️ "Boom" de Julien Dufresne-Lamy
Tim(othée) et Étienne sont amis
Depuis 3 ans
Une amitié forte, belle
Comme elle peut l'être à l'adolescence
Mais voilà
Timothée meurt
Et Étienne se retrouve tout seul
Un texte court, fort, intense
Un roman sur l'amitié
sur l'adolescence
sur le deuil
Ça fait boom dans le coeur
Des phrases simples
des mots justes
Encore une fois la plume de Julien Dufresne-Lamy
a fait briller mes étoiles
a illuminé mon esprit
par sa sobriété, sa délicatesse et sa beauté.
C'est décidé je vais lire tout de cet auteur qui en deux livres a su me conquérir
A lire absolument, ainsi que mon coup de coeur de la rentrée 2019 "Jolis, jolis monstres".
Actes Sud Junior, 110 pages. Avril 2018
mardi 5 novembre 2019
"Surtensions" de Olivier Norek
Troisième enquête de la brigade de l'inspecteur Coste qui démarre en (sur)tension et ne nous lâche plus !
Un enlèvement, des prisonniers, un casse de bijouterie, un mercenaire, un pédophile, une équipe corse et bien sur Coste et ses acolytes.
Je n'ai pas lu les deux premières aventures de cette bande de flic et je découvre cet auteur qui se trouve être lui-même de la partie puisqu'il est lieutenant de police au SDPJ 93.
Cela explique certainement que l'on soit plongé dans l'enquête et que pas une seconde on ne se pose de questions, on suit les enquêteurs dans leurs investigations mais aussi dans leurs doutes, leurs émotions. C'est criant de vérité, j'ai eu l'impression de regarder un film tellement j'ai été prise dans l'histoire. Je ne peux pas trop en dire car avec un roman policier il vaut mieux l'aborder en en sachant le moins possible.
Ce qui est certain c'est que plusieurs malfrats vont se retrouver liés, que les rouages de la justice et des tribunaux sont mis à mal ainsi que la résistance de policiers pourtant endurcis.
Bref un très bon polar, comme je les aime. Je vais donc me précipiter pour lire les deux premiers de cette petite série et continuer à suivre cet auteur, car non seulement il sait de quoi il parle mais en plus il l'écrit et le raconte très bien !
Une lectrice de polar heureuse 😊
Pocket, 473 pages. Mars 2017
lundi 4 novembre 2019
"Bienvenue au club" et "le Cercle fermé" de Jonathan Coe
Ayant lu récemment "le coeur de l'Angleterre", qui reprend les personnages principaux de ce diptyque initial, je me suis dit que je pouvais me rafraichir la mémoire, et du coup j'ai réalisé que j'avais bien lu le premier volet il y a de nombreuses années mais que bien qu'étant en possession du second je ne l'avais pas encore découvert.
Je me suis donc replongée avec plaisir et délectation dans l'Angleterre des années 70 pour commencer et j'ai refais la connaissance de Benjamin Trotter, cet adolescent un peu coincé, timide, réservé (?) aimant la littérature et la musique autour duquel gravite un certain nombre de personnages dont Philip Chase, le meilleur copain avec lequel il veut créer un groupe de musique et qui partage sa passion de l'écriture ; Doug Anderton le fils du syndicaliste Bill Anderton, réputé dans la région et pro-actif notamment dans l'entreprise locale de voiture (dans laquelle le père de Benjamin travaille aussi) ; Sean Hardy est le trublion de service qui ne rate pas une occasion de faire des blagues, pas toujours très drôle. Claire et Cicely sont les filles du lycée à côté qui intéressent beaucoup les garçons...
Benjamin a aussi un petit frère Paul, très intelligent et qui n'a pas froid aux yeux, et une grande soeur Loïs.
Nous suivons donc cette petite troupe jusqu'à la fin du lycée pour le premier roman.
Dans le deuxième nous les retrouvons quelques années plus tard, ils sont mariés, ont des enfants et un travail... mais leurs liens sont toujours aussi forts et les ramènent souvent à leurs années lycée.
Tony Blair est maintenant au pouvoir et la guerre en Irak menace.
C'est l'heure des bilans, la quarantaine sonne et on remet en question sa vie personnelle et/ou professionnelle. On fait un petit bilan sur son histoire alors que l'Histoire de l'Angleterre elle-aussi avance.
Cette saga nous donne une belle image de l'Angleterre des années 70 jusqu'au début des années 2000, en suivant cette multitude de personnages on pénètre dans toutes les couches de la société anglaise et surtout on vit les questionnements, les conséquences, la politique locale et à plus grand niveau. C'est aussi une belle histoire d'amour, et de très belles amitiés qui survivent aux années qui passent.
Une traversée passionnante de plus de 30 années, emmenée avec fluidité par la plume de Jonathan Coe qui ne passe rien à ses personnages. C'est drôle, caustique, satirique, tellement bien mené. Je me suis régalée ☺️
"Bienvenue au club" Folio, 537 pages.
"Le cercle fermé" Gallimard, 537 pages.
Traduction de Jamila et Serge Chauvin.